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Accompagner vers l’emploi ceux qui en ont vraiment besoin

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Handirect s’intéresse à la politique de l’emploi que Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées, envisage dans les années qui viennent.  Entretien avec Wenceslas Baudrillart, son conseiller.

 

Au regard de votre carrière, pourriez-vous nous faire partager votre cursus dans les grandes lignes afin que nos lecteurs en sachent plus sur vous ?

Je suis entré au ministère du travail en 1974 avec comme mission de créer une équipe d’analyse économique et financière pour permettre au ministère d’adapter ses prévisions budgétaires à la montée du chômage. J’ai mis en place une comptabilité de programme pour avoir une vision du coût complet d’une politique publique. Jusqu’alors les dépenses étaient éclatées dans divers ministères et services et personne ne pouvait dire combien coûtait la politique de lutte contre le chômage. Il fallait donc mesurer le coût complet de cette politique et évaluer chacune des actions en fonction de ses résultats.

 

Le Parlement a voté la loi de 1975 qui était une loi cadre qui devait entrer en fonction rapidement. Le ministère avait à rédiger plusieurs décrets d’application et il m’a donc demandé de leur faire une étude sur l’insertion professionnelle des adultes handicapés et de proposer des actions à mener. On m’a alors confié la charge de la préparation des décrets sur le thème de l’emploi. Avec deux collaborateurs, nous avons travaillé durant un an et visiter plus de 120 établissements et au final nous avons proposé une vision cohérente des différents volets de la politique Handicap du ministère. À la suite de cette étude nous avons rédigé tous les décrets d’application du ministère (sauf celui sur le statut des ateliers protégés) avec une grande marge de liberté puisque la loi de 1975 était une loi-cadre. L’un des principaux qui concerne la garantie de ressources des travailleurs handicapés a été l’objet d’une haute lutte avec le ministère du budget. Je rêverai de mettre aujourd’hui en place le même principe pour les travailleurs handicapés qui touchent l’AAH et qui hésitent à travailler pour éviter de perdre brutalement leur allocation.

Ensuite j’ai continué à m’occuper des affaires du handicap et en 1980 j’ai eu la proposition d’entrer dans la CA d’une association, ce qui m’a offert un regard différent sur la vie des travailleurs handicapés et la gestion d’un établissement de travail protégé.  Plus tard, j’ai été nommé directeur des statistiques et du contrôle de gestion des l’ANPE. Je suis entré au Cabinet de Laurent Fabius quand il était ministre de l’industrie pour m’occuper des conséquences sociales de restructurations industrielles. J’ai continué avec Edith Cresson sur ce sujet puis Michel Delbarre, ministre de l’emploi et de la formation professionnelle. Puis j’ai totalement changé de métier en 1986, pour devenir DRH  dans une filiale de Thomson, puis vice-président Corporate de ST Microelectronics. J’ai découvert un monde très différent, conditionné par la notion de résultat économique qui est très différente de ce que j’avais connu.

En 1991, j’ai fait un retour dans le monde politique avec Edith Cresson qui était devenu Premier ministre et qui m’a demander de devenir son conseiller social ce qui était une très vaste mission. Ce fut une époque très enrichissante pour moi. À Matignon j’ai beaucoup travaillé sur les problématiques liées aux personnes handicapées même s’il ne s’agissait pas de refondre la loi. Puis je me suis occupé durant quelques années d’une entreprise de conseils et de formation que j’ai fait passer de 17 collaborateurs à 130 consultants.

Un événement familial m’a décidé à considérablement réduire mon rythme de travail. Ceci jusqu’à mon départ à la retraite. En 1992 j’avais créé un atelier protégé avec des ex-salariés de Renault. Ils sont partis les uns après les autres à la retraite et remplacés par d’autres personnes handicapées. Cet atelier existe toujours mais a changé d’activité, j’en suis toujours président et nous avons fêté fin 2012 son 20ème anniversaire.

Plus récemment, j’ai participé à la campagne de François Hollande et on m’a proposé de travailler dans un cabinet. Madame Carlotti a été intéressée par mon profil et c’est comme ça que je suis entré dans son cabinet.

Ce que j’ai toujours trouvé passionnant dans le travail avec les personnes handicapées c’est que son utilité sociale est absolument évidente. Je suis animé par deux thèmes, le handicap et le chômage de longue durée. Ce sont deux sujets producteurs d’exclusion qui vous propulsent aux marges de la société. Assister à la résurrection grâce au travail de personnes qui ont eu des années d’inactivité accompagnées de nombreuses souffrances physiques et psychologiques, est quelque chose de formidable. Dans l’entreprise adaptée que je préside, nous avons un niveau de qualité de travail exceptionnel grâce à l’implication des travailleurs qui ont connu auparavant des situations tellement difficiles.

 

Comment voyez-vous la progression de l’insertion des personnes handicapées depuis 1975 ?

Je vais répondre de manière banale, quand un verre n’est pas plein, il est soit à moitié plein soit à moitié vide. Une chose n’est pas contestable : il n’y a rien de commun entre l’acceptation sociale du handicap en 2012 et le rejet du handicap au début des années 70. La loi de 75 n’avait pas prévue grand chose pour l’emploi des personnes handicapées en milieu ordinaire. Le taux d’embauche était de 10 % et les pénalités étaient très élevées au point que l’État ne les percevait plus. De plus elles ne servaient pas à la réinsertion professionnelle des travailleurs handicapées mais étaient perdues dans le puits sans fonds de la dépense publique. En 1987, il y a eu un compromis pour arriver à 6 % de travailleurs handicapés et le paiement d’une contribution qui sert directement à l’insertion des personnes handicapées. On voit aujourd’hui toutes sortes d’aménagement pour les personnes handicapées dans l’espace public, ce qui n’était pas le cas il y encore quelques années. Mais nous sommes encore loin d’avoir une situation vraiment satisfaisante. Il y a de nombreux lobbies professionnels qui sont mobilisés pour faire assouplir la loi de 2005 ou en faire annuler certains articles. Les cafetiers se sont notamment ligués pour obtenir des dérogations, tout comme d’autres. Madame Carlotti, nous a demandé de nous mobiliser pour que tous les décrets d’applications en suspens sortent rapidement. Mais on est encore très loin du compte, même pour les lieux de travail neufs.  

 

Depuis 1987 le taux d’embauche des personnes handicapées semble bloqué à 4%. Sommes-nous condamnés à rester à ce niveau ?

Je crois qu’il y a plusieurs raisons, la principale étant la faiblesse du niveau de formation et de qualification de nombreux travailleurs handicapés. Pôle emploi dénombre 340 000 personnes handicapées en recherche d’emploi mais ce chiffre est probablement sous évalué à cause du système d’information entre Pôle emploi et les MDPH qui ne fonctionne par forcément bien. Mais sur ce chiffre au moins 200 000 sont de niveau 5 ou inférieur. Or aujourd’hui s’il y a encore beaucoup d’emplois non qualifié, peu d’employeurs acceptent de dire qu’ils recrutent des salariés non qualifiés. Que ce soit dans les aéroports, le nettoyage industriel ou les aides à la personne, le niveau du recrutement s’élève car en période de crise les recruteurs deviennent plus sélectifs. Mais malgré tout le nombre de travailleurs handicapés dans le privé comme dans la fonction publique monte régulièrement. On peut aussi dire que si le taux n’évolue pas plus c’est aussi à cause du niveau de qualité exigé par les recruteurs. Pour les PME, les difficultés sont souvent bien plus importantes et par exemple intégrer une personne avec un handicap psychique demande une bonne préparation et un bon encadrement, ce qui n’est pas si évident pour une PME qui vit sous tension.

 

Les différentes lois successives qui ont fixé les obligations d’embauche pour les employeurs ont été dans l’esprit du législateur mise en place pour des personnes handicapées qui connaissent de vraies difficultés pour trouver un travail du fait de leur handicap. Le président sortant du FIPHFP a une expression : « j’aimerai bien que l’on compte un peu moins les amputés du petit orteil gauche ». Il y a des handicaps qui n’ont presque aucune conséquence sur l’exercice du métier que la personne handicapées occupe. Dans les déclarations interne des entreprises il y beaucoup de personne qui font part d’un handicap qui jusqu’alors était resté invisible. Or s’il était resté invisible c’est parce qu’il n’avait pas de conséquence professionnelle. Donc parmi les questions que notre ministre se pose c’est comment recentrer l’obligation d’emploi pour qu’elle serve effectivement aux personnes dont les difficultés de santé entraînent de difficultés professionnelles. Cela me parait un sujet tout à fait crucial même s’il est difficile, mais il y a déjà eu de véritables scandales dans ce domaine.

 

La reconnaissance de qualité de travailleur dans les Ésat n’est-elle pas devenue nécessaire à la place de la qualité d’usager ?

Il y deux sujets dans cette question. Le premier est de nature philosophique comment fait-on travailler dans un même collectif de travail deux catégories de personnes avec deux statuts totalement différents. D’un coté les encadrants avec tous les droits liés au droit du travail et de l’autre les usagers qui se retrouvent dans la même situation de dépendance dans leur institution qu’un malade dans un hôpital. Même si objectivement dans les Ésat les gens sont bien traités. Puis il y a le deuxième sujet du revenu des personnes handicapées en Ésat. Celui-ci semble poser un problème puisque l’usager est payé un certain pourcentage du smic entre 8 et 12 % auquel s’ajoute la garantie de ressource et l’Allocation aux Adultes Handicapés. Avec cela la personne se retrouve avec le niveau de salaire d’un employé de basse qualification du milieu ordinaire. Cela est dû à l’historique des Ésat nés des associations de parents d’enfant handicapés intellectuels qui ne bénéficiaient d’aucune formation et d’aucune qualification. Nous héritons aujourd’hui de cet historique alors que les personnes en Ésat n’ont plus rien à voir avec cela et ont maintenant un niveau de formation nettement plus élevé. Donc pour une bonne partie de ces personnes on peut se demander si la qualité d’usager n’est pas une forme de sous citoyenneté sur laquelle il faudrait réfléchir. Mais peut-on faire évoluer les personnes vieillissantes en Ésat vers un statut de salariés en fin de carrière ? C’est une autre question. Dans ce domaine, il faut marcher sur des œufs.

 

Propos recueillis par JMMC

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