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Autisme et Covid-19 : Des personnes déstabilisées et laissées de côté

Autisme et Covid-19 : Des personnes déstabilisées et laissées de côté
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Comment les personnes autistes, leurs aidants et les associations ont-elles œuvré pour concilier au mieux autisme et Covid-19 ? Rencontre avec Christine Meignien, présidente de Sésame Autisme.

Face au Covid-19 les personnes souffrant de troubles de l’autisme ont une place à part, car elles sont susceptibles d’être les plus perturbées et les plus désorientées par les périodes de confinement, et par les mesures sanitaires à la fois contraignantes, excluantes et souvent peu claires, pour ne pas dire contradictoires. Dans le cadre de notre dossier “Handicap et Covid” et à l’occasion de la Journée mondiale de l’autisme de ce vendredi 2 avril, découvrez le témoignage de Christine Meignien, présidente de Sésame Autisme.

Pour comprendre ce que les personnes autistes et leur entourage ont pu vivre depuis le mois de mars, nous avons rencontré Christine Meignien, présidente de Sésame Autisme, et elle-même mère d’une enfant autiste. Son témoignage sur l’autisme et le Covid-19 dépeint une situation qui a pris par surprise tout un secteur, qui, au-delà de l’aspect sanitaire, a été livré à lui-même au milieu du chaos national généré par le mesures sanitaires et sociales. Mesures qui semblent avoir été prises par un gouvernement dépassé par la situation et incapable de prendre en compte la souffrance des populations les plus vulnérables.

Que pouvez-vous nous dire des impacts de la crise sanitaire sur les personnes atteintes de troubles de l’autisme ainsi que sur leur entourage ?

Il y a plusieurs niveaux à prendre en compte, la situation de la personne elle-même, celle des familles et celle des professionnels sur le terrain.
Les personnes autistes ont perdu leurs repères, sans anticipation, et cela se traduit par une totale incompréhension et de grandes angoisses. Pour certains il était difficile de comprendre pourquoi ce qui faisait leur quotidien, avec des repères et des relations bien installées, a disparu tout à coup.
C’est un fait majeur pour les personnes autistes, de leur résistance au changement peuvent naître des crises d’angoisse importantes, des troubles du sommeil ou de l’alimentation, et même des épisodes violents. Cet arrêt brutal a donc été un énorme facteur de perturbation. Les personnes se sont soudainement retrouvées chez elles coupées de tout, de leur foyer, de leur établissement ou de leur activité en ESAT. Ce fut paradoxalement moins compliqué pour les personnes restées en établissement, même si la continuité des relations avec les familles s’est rompue, surtout au détriment et au désespoir des familles. Les adultes en établissement sont ceux qui ont le mieux résisté à cette période alors même que le confinement s’est prolongé 3 mois d’affilée. La bonne gestion des établissements par unités y est pour beaucoup car les professionnels ont su créer un cocon protecteur autour de ces personnes.

Quid des autorisations de déplacements ?

Nous avons dû faire appel au ministère pour élargir le périmètre autorisé des attestations de déplacement et permettre à ces personnes d’avoir plus de mobilité, élément indispensable pour leur bien-être. Le rayon d’un kilomètre autour du domicile n’était pas viable, surtout en zone urbaine pour des personnes atteintes de tels troubles. En effet, elles ont besoin de courir, de sauter, de crier et de faire beaucoup de gestes pour s’extérioriser. Il y a eu des remontées de cas dramatiques qui ont fait réagir rapidement le ministère. Ce dernier a mis en place une dérogation pour résoudre le problème. En parallèle, le port du masque a posé également un problème pour ces personnes et a donc nécessité une autre dérogation.

Il a fallu du temps pour que tout cela se mette en place, et ce que je constate, c’est que le gouvernement n’a pas pris conscience, au moment du confinement, que des personnes pouvaient souffrir de cette situation du fait de leur handicap.

Paradoxalement, le déconfinement a été catastrophique et non pas libératoire. C’était au bon vouloir des établissements et certains n’ont pas déconfiné avant le mois de juillet. Certains IME ne voulaient pas reprendre les enfants avant septembre. Il n’y avait pas de règle claire et sur le terrain cela s’est traduit par une grande cacophonie sur la manière d’accompagner les personnes. Pour le retour à l’école, les enfants en situation de handicap n’étaient pas prioritaires et même au moment de la rentrée, certains n’ont pas pu reprendre, compte tenu des mesures barrières. Bien d’autres problèmes sont aussi apparus du fait de l’absence de nombreux AESH.

Quel a été le bilan de cette première période de confinement ? 

Nous avons pu constater une véritable régression chez les enfants qui n’avaient plus de prise en charge depuis plusieurs mois. Des professionnels ont maintenu le contact via des outils de visioconférence avec des méthodes, des tutos et des approches pédagogiques adaptées, mais ce n’était pas suffisant. Il ne faut pas oublier les parents qui, avec un enfant noyé de difficultés, ont fini par s’épuiser et ne plus être aussi disponibles que nécessaire pour les accompagner dans ce suivi en mode numérique.
Par ailleurs, le côté vertueux de la situation, c’est que beaucoup de parents ont mieux compris les différents niveaux d’intervention dont leur enfant était l’objet.
Ce déconfinement à la carte a duré des mois et sur le terrain, c’était incompréhensible. Nous avons reçu de la part des familles de nombreuses remarques et questions du type : « Est-ce que je peux revoir mon enfant qui est resté confiné dans son établissement ? », « Est-ce que je peux le reprendre ou pas ? ». Ces demandes ont donné lieu a des menaces de la part des établissements qui leur répondaient : « Si vous le reprenez, à son retour il restera en chambre durant 7 jours ». Les familles ont vécu une période très dure et ce, au moins jusqu’a fin septembre. En tant que parent d’enfant autiste, je me suis de mon côté confinée 3 mois avec ma fille, au premier semestre, et aujourd’hui cela fait 2 mois que je suis confinée avec elle. 
Noël a heureusement été l’occasion de pouvoir rejoindre les familles mais avec des protocoles de retour dans l’établissement extrêmement stricts, avec test obligatoire et quarantaine en chambre. Encore une fois pour les parents ce fut douloureux de faire ce choix.

Comment s’est passé l’été ?

Trois semaines après le début du confinement, la Direction générale de la cohésion sociale a annoncée à tous les établissements et tous les opérateurs qu’il n’y aurait pas de vacances adaptées pour les personnes handicapées ! Sous prétexte qu’il s’agissait de « personnes fragiles ». J’ai dû remonter au plus haut niveau de l’État pour critiquer cette décision car le handicap n’est pas, en soi, une maladie, une fragilité face au Covid. J’ai été entendue par Jacques Toubon, défenseur des droits, et Sophie Cluzel, secrétaire d’État en charge des personnes handicapées, ainsi que la Délégation interministérielle de l’Autisme. La DGCS est finalement revenue sur cette décision mais de façon très technocratique, avec de multiples réunions et comités pour en débattre. Ils n’ont pas pris la mesure de cette décision, en détruisant complètement l’offre de vacances adaptées. Il a fallu attendre le 24 juin pour qu’une directive arrive auprès des opérateurs, qui de fait n’avaient plus les moyens d’organiser quoi que ce soit pour l’été.

En réponse, la DGCS a commencé à négocier avec de grosses associations du médico-social avec ce discours : « Pour pallier aux demandes de vacances adaptées, nous allons demander au milieu du médicosocial d’organiser des vacances pour les personnes en situation de handicap ». Mais partir avec un organisme spécialisé en vacances adaptées et proposer des vacances dans des établissements médicosociaux, cela n’a plus rien à voir et ce n’est pas acceptable. Comment imaginer les remettre en établissement en leur disant simplement : « Vous êtes en vacances ! ». Cette décision a impacté les opérateurs de vacances adaptées et va être fatale pour certains d’entre eux qui ne pourront pas s’en relever en 2021. L’offre sera fortement et durablement réduite. Les différents organismes ont publié un bilan qui chiffre à 3500 le nombre de séjours organisés en 2020 au lieu de 31 000 habituellement. Je vois cela comme un véritable mépris des personnes en situation de handicap et cela nous montre à quel point ils n’ont aucune notion de ce qu’est la vie des personnes en situation de handicap, de ce que sont leurs besoins et leurs choix.

Autisme et Covid-19 : Isolés en Belgique

Une autre faille sur laquelle je me suis battue alors que le silence régnait, c’est celle des personnes handicapées hébergées en Belgique. J’ai fait remonter ce problème durant des mois, car je suis en lien avec de familles qui n’ont pas vu leur enfant depuis février, ce qui est totalement insupportable. Le gouvernement n’a pas pris le temps de discuter avec ses homologues en Belgique, alors même que c’est déjà un sujet très sensible en temps normal. Ce n’est que depuis octobre que Sophie Cluzel a nommé une personne en charge de ce dossier, alors que des enfants sont retenus dans leur établissement depuis février sans pouvoir revoir ou recevoir leur famille. Des parents étaient prêts à faire une grève de la faim pour avoir des réponses, car ils n’avaient aucune nouvelle de leur enfant et aucune possibilité d’aller le voir, c’est vous dire jusqu’à quel point ils étaient désespérés. Rappelons qu’il s’agit de 7000 personnes que le gouvernement français a laissé tomber. Des parents réclament aujourd’hui que soit mis en place dans ces établissements un conseil de la vie sociale comme en France, afin de savoir comment leur enfant est pris en charge, quel est son quotidien, quels sont les professionnels qui s’en occupent. Au sein de Sésame Autisme nous avons créé un groupe « Familles France/Belgique » pour qu’elles puissent avoir un lieu d’échanges. Depuis le 28 décembre, le gouvernement a enfin mis en place un numéro d’appel pour les familles. En ma qualité de mère, je n’ose pas imaginer si ma fille et moi avions dû vivre cela.

Des tests Covid à outrance et des vaccins en attente pour les personnes autistes

J’aborde maintenant un autre sujet important, celui des tests. Il y a un abus de tests antigéniques dans les établissements. Ils veulent tester les résidents tous les 7 jours. Or, pour une personne autiste, se faire mettre en bâtonnet dans le nez, ça passe par de la contention et ça ce n’est pas acceptable.
J’ai fait une demande au gouvernement sur ce sujet, qui a modifié le texte sur la pratique du test. Cette modification précise que les tests doivent se faire, si et seulement s’il y a des symptômes et/ou des cas identifiés dans l’établissement avec la réserve que le test Covid soit adapté à la personne autiste – qui bien souvent, du fait de son handicap, n’est pas capable de supporter un tel test. Les établissements ouvrent le parapluie autant qu’ils le peuvent mais ils le font au détriment du bien-être de personnes incapables de comprendre ce qui se passe. Je ne reviens pas sur le caractère grave de la maladie mais il suffit de voir comme nous sommes tous usés et épuisés par cette situation. Et malgré cela, aux personnes autistes, on ne demande rien et on impose tout. J’espère aujourd’hui que cette folie du test et de l’isolement va diminuer. Quant aux vaccins, ce que l’on constate, c’est que ce sont les professionnels qui sont les plus inquiets et les plus demandeurs.

La distanciation liée au Covid, quant à elle, va dans le sens des personnes autistes qui ne sont pas à l’aise avec la proximité des autres. Il y a différents niveaux de troubles autistiques et les jeunes autistes qui ont le moins de troubles comprennent pour la plupart qu’il faut garder ses distances et qu’il faut faire preuve d’énormément de précautions. Mais pour les autistes Asperger, qui sont angoissés de nature, cela devient totalement obsessionnel et anxiogène. Le nombre d’interdictions, de contradictions et d’injonctions paradoxales prend des proportions importantes pour des personnes psychologiquement plus fragiles.

Je ne vais pas plus loin dans cette description mais chacun peut constater les conséquences, la plupart du temps dramatiques, de cette année 2020 et du Covid sur les personnes autistes et leur entourage. Je regrette ce constat mais remonter la pente sera long et difficile.

Pour en savoir plus sur Sésame autisme : https://www.sesame-autisme-ra.com/

En photo : Autisme et Covid-19. Christine Meignien, présidente de Sésame Autisme.

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