Vendée Globe : Témoignage de Damien Seguin à l’issue de son arrivée triomphante au Vendée Globe
Damien Seguin, c’est notre héro à nous, celui qui défie toutes les règles, les modes de pensées et les éléments. Damien Seguin a accepté de répondre à quelque unes de nos questions à la suite de son exploit au Vendée globe 2020. Une course extrême de plus de 80 jours en solitaire sur les océans.
Damien Seguin est originaire de Briançon (Hautes-Alpes), une ville qui ne le prédestinait pas à la compétition en haute mer et pourtant. Né avec une main en moins, cela ne l’a en rien privé d’une vie suractive et d’un esprit de compétition hors norme. C’est à l’âge de 10 ans, alors que ses parents déménagent en Guadeloupe, que Damien troque ses skis contre un bateau, sans se douter qu’il embrasse une passion et une vie d’aventures. La même année, il voit l’arrivée de la Route du rhum et sa conviction est faite.
Comment en êtes-vous arrivée à ce niveau de compétition ?
J’ai une longue carrière dans le domaine de la voile. J’ai commencé la compétition à l’âge de 13 ans et tout s’est enchainé. J’ai participé quatre fois aux Jeux Paralympiques et j’en ai rapporté deux médailles d’or. Parallèlement, j’ai commencé la course au large en 2006, sur des bateaux modestes, pour aller vers des bateaux de plus en plus grands. J’ai fait trois routes du Rhum, trois Transats Jacques Vabre. C’est en 2017, après ma victoire sur le Tour de France à la voile, que nous avons, avec mon équipe, commencé à écrire le projet du Vendée Globe. Nous avons rencontré un partenaire prêt à nous suivre, le Groupe Apicil, et acheté un bateau de catégorie *IMOCA. C’est sur cette classe de bateau que j’ai fait la Route du Rhum et la Transat Jacques Vabre afin d’obtenir ma qualification au Vendée Globe – qui est une course en solitaire.
Damien Seguin, comment arrivez-vous à diriger un tel bateau avec une seule main quand la mer vous secoue dans tous les sens ?
C’est très compliqué à expliquer. Je me suis adapté au bateau qui ne possède qu’une seule compensation technique. Il y a un manchon sur la manivelle de winch pour que je puisse utiliser mes deux bras, rien de plus. J’ai une façon de naviguer forcément différente des autres skippers. C’est l’expérience de toutes ces années qui a forgé ma façon personnelle de naviguer. Handicapé ou non, il faut dompter l’IMOCA qui est un bateau surpuissant.
Qu’est-ce qui fait la puissance d’un bateau à voile ?
Sa longueur : un IMOCA fait 18,60 mètres de long, il déploie plus de 500m² de voiles pour un poids de seulement 8 tonnes. Dans les phases difficiles, la puissance du bateau prend le dessus sur le skipper, ce qui demande de toujours anticiper. C’est d’ailleurs le maître mot sur ce type de bateau, qui génère tellement de force que lorsque le vent monte et que le skipper a mal évalué les tâches à accomplir au bon moment, il y a un risque de casse. Cela demande une grande connaissance de soi afin de savoir ce que l’on peut faire, avec quelle force physique disponible et en combien de temps. La course au large, c’est un sport mécanique où la machine et mise à rude épreuve durant 80 jours ou plus et ce 24 sur 24. Il est impératif de préserver son matériel.
Mais que faire face aux éléments impondérables ?
C’est là que l’on juge la qualité d’un bon navigateur.
Quelles sont vos plus grandes craintes dans une telle compétition ?
La grosse crainte c’est la casse matérielle et bien sûr le risque de tomber à l’eau, car là il n’y a personne pour venir vous chercher. Il faut en avoir conscience tout le temps et adapter sa gestuelle. Lorsque je fais une manœuvre à l’extérieur, je suis toujours attaché avec le harnais de sécurité, mais le risque zéro n’existera jamais.
À l’issue de cette performance, pensez-vous que votre handicap a été incapacitant ?
Je crois avoir prouvé sur le Vendée Globe, comme lors des précédentes courses, que malgré le handicap, quand on se connait et que l’on connait son bateau on est capable de trouver des stratégies de contournement, et cela m’a permis d’être au moins aussi efficace que les autres. C’est ce que je voulais me prouver sur ce Vendée Globe et que je pense avoir réussi. Je ne me mets pas de limite en fonction de mon handicap qui reste assez léger. Le principal c’est surtout d’avoir envie de faire les choses.
Damien Seguin, comment vous perçoivent les autres skippers ?
J’ai gagné mes galons de skipper, je n’ai plus grand-chose à prouver et aujourd’hui je suis considéré au même niveau que les autres. Si nous leur posions la question avant le départ, je pense qu’ils me considèrent comme un compétiteur plutôt que comme un skipper avec un handicap. J’ai réussi à gommer les différences.
Aujourd’hui vous êtes un navigateur professionnel ?
Oui, tout à fait. Mes ressources financières dépendent de mon sponsor, je n’ai pas d’autres sources de revenus.
Comment s’est déroulée la rencontre avec votre sponsor ?
La rencontre s’est faite de manière assez simple, nous nous sommes rencontrés sur le festival du film « Regards Croisés » à Saint Malo. Apicil est déjà, et depuis longtemps, sensible aux questions d’intégration et d’insertion autour du handicap, et lorsque je leur ai proposé le projet Vendée Globe, la connexion a eu lieu immédiatement car nous portons les mêmes valeurs.
Quels sont vos projets à court terme ?
Le but, c’est de repartir pour une campagne de quatre ans qui me mènera jusqu’au prochain Vendée Globe en 2024, avec l’intention de faire un meilleur résultat sportif, même si cette année c’est déjà très bon. Les négociations sont en cours avec le Groupe Apicil mais il y a aura certainement d’autres sponsors à aller chercher. Pour cela je vais aussi investir dans un bateau plus performant. À court terme, je vais participer à la Transat Jacques Vabre cette année, en novembre 2021 ; à la Route du Rhum en 2022 ; et puis au Vendée Globe en 2024. J’ai terminé ma carrière paralympique mais je continue à animer des interventions auprès l’équipe de France paralympique, parce que je pense que j’ai encore quelque chose à apporter à cette équipe.
Damien Seguin, avez-vous un message pour ceux qui se passionnent pour la mer, avec ou sans handicap ?
La voile projette quelquefois l’image d’un sport dangereux et difficile, mais moi qui fait naviguer des personnes avec différents types de handicap, je peux dire que la voile est un sport accessible à tout type de handicap. C’est vraiment quelque chose de super et mon message c’est que si vous avez envie de faire de la voile, renseignez-vous ! Il y forcément un club près de chez vous qui possède des bateaux adaptés.
Qu’est-ce que vous retirez d’une telle aventure de 80 jours, seul en mer ?
C’est un sacré challenge mais quand on sait s’entourer, quand on sait monter ses projets, tout est possible et le handicap n’est qu’une petite composante de tout ça. Ce n’est pas le plus gros de soucis quand on se lance dans un tel projet. Sur ce Vendée Globe j’ai pris beaucoup de confiance et j’ai envie d’aller encore plus vite et plus loin, et on verra où cela me mènera.
*IMOCA est une association internationale fondée en 1991. Elle gère la classe de voiliers monocoques de 60 pieds qui sont principalement destinés aux courses océaniques en solitaire ou en double, comme la Route du Rhum et le Vendée Globe et sont considérés comme étant parmi les plus rapides du monde.
Propos recueillis par JMMC
Le palmarès hors du commun de Damien Seguin
Courses au large
2009 : 4e de la Solidaire du Chocolat en Class40
2010 : 10e (44 inscrits) de la Route du Rhum en Class40,
2011 : 2e de la Transat Jacques-Vabre en Class40 à bord de ERDF –
2013 : 7e de la Transat Jacques-Vabre en Class40 à bord de ERDF –
2014 : 8e (43 inscrits) de la Route du Rhum – Destination Guadeloupe en Class40, sur ERDF
2018 : 6e (20 inscrits) de la Route du Rhum – Destination Guadeloupe en IMOCA , Groupe Apicil
2019 : 14e de la Transat Jacques-Vabre en classe IMOCA sur Groupe Apicil
5e du Défi Azimut et 16e de la Fastnet Race
2020 : 10e du Défi Azimut sur Groupe Apicil
7e du Vendée Globe sur Groupe Apicil
Jeux paralympiques
– 2004 : Médaillé d’or à Athènes en 2.4m
– 2008 : Médaillé d’argent à Pékin en 2.4 m
– 2012 : 4e à Londres (Weymouth) en 2.4 m et porte drapeau de la délégation Française
– 2016 : Médaillé d’or à Rio en 2.4 m
Championnats du Monde
– 2005, 2007, 2012, 2015 et 2019 Champion du Monde en 2.4mR (support paralympique)
Coupe du Monde de Voile
– 22 victoires sur des Coupes du Monde
Tour de France à la voile
– 2017 : vainqueur du Tour de France à la voile sur le bateau Fondation FDJ –