UniLaSalle – Enseignement supérieur et handicap : « Améliorer la transition entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur »
Xavier Quernin, référent handicap de l’école UniLaSalle, et co-animateur du groupe de travail handicap de la Conférence des Grandes Écoles a répondu à nos questions sur l’accessibilité des Grandes Écoles aux étudiants en situation de handicap. Il nous fait également part de sa stratégie pour concilier Enseignement supérieur et handicap.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis chargé de la Mission handicap de l’école d’ingénieurs UniLaSalle depuis un peu plus de 8 ans. Je suis également co-animateur du groupe de travail handicap de la Conférence des Grandes Écoles. Éducateur spécialisé de formation, j’ai travaillé dans le secteur médico-social avant d’arriver à UniLaSalle.
Pouvez-vous nous présenter UniLaSalle ?
UniLaSalle est une école d’ingénieurs en agronomie, agro-industrie, alimentation et santé, environnement et géologie. Nous sommes basés sur trois campus : Beauvais, Rennes et Rouen.
Combien y a-t-il d’étudiants en situation de handicap identifiés dans votre école ?
Lorsque je suis arrivé à mon poste en 2011, on recensait 7 étudiants déclarés en situation de handicap, sachant qu’il n’y avait alors que le campus de Beauvais. Aujourd’hui il y en a plus d’une centaine (109) à Beauvais et une trentaine (34) sur les deux autres campus. On note donc une forte augmentation ces dernières années, toutes situations confondues, et particulièrement depuis l’année dernière avec 26% d’étudiants supplémentaires accompagnés.
Nous accompagnons beaucoup d’étudiants qui ont des troubles dys et associés. Leurs difficultés correspondent à leur fonctionnement cognitif, et ils ont souvent besoin, pour apprendre plus facilement, d’avoir une formation qui allie la théorie et la pratique. Et c’est justement le cas dans la plupart des filières d’UniLaSalle, notamment en géologie et en agronomie. Parmi les autres étudiants accompagnés, les situations sont très variables (selon leurs déclarations), certains présentent un handicap moteur, visuel, ou auditif, d’autres ont des maladies invalidantes ou des troubles du spectre autistique.
Comment s’organise l’accompagnement que vous mettez en œuvre ?
Concernant plus particulièrement la formation et les cours, nous travaillons sur l’aménagement des cursus à travers différentes mesures :
– un système de transmission des cours à l’avance avec le soutien des enseignants ;
– un suivi à distance pour les étudiants qui seraient hospitalisés ;
– un interprétariat en langue des signes pour les étudiants sourds, ou grâce à l’application Ava qui sous-titre les dialogues en temps réel (application de transcription à distance).
Nous mettons également en place des tutorats « preneurs de notes » avec des étudiants qui s’engagent à transmettre leurs notes à leurs camarades.
La plupart des Grandes Écoles ont peu ou pas de subventions publiques, nous passons par des subventions privées et donc il est plus compliqué d’embaucher des accompagnants (AESH), sachant qu’en plus il faudrait trouver des accompagnants qui soient qualifiés dans le même domaine de compétences que celui de l’étudiant et à un niveau supérieur pour prendre les notes sans faire d’erreur… donc ce n’est pas évident de trouver quelqu’un qui aurait un niveau d’ingénieur en géologie ou en agronomie. C’est pour cela que nous avons lancé ce tutorat étudiant, qui fonctionne plutôt bien. Nous avons également des étudiants qui s’investissent pour donner bénévolement des cours de soutien à d’autres étudiants. Les enseignants peuvent également transmettre leurs cours en amont pour ceux qui en ont besoin.
Des aménagements sont également possibles lors des passages d’examens, où l’on pourra privilégier la passation d’oraux plutôt que d’écrits en fonction du type de handicap.
Par ailleurs, il faut savoir que parfois les étudiants n’ont pas besoin d’aménagement pour la partie académique, mais ont besoin d’une aide pour leur vie quotidienne, leur logement ou leur vie sociale – des aspects sur lesquels nous les accompagnons également.
Quand un étudiant souhaite s’inscrire à UniLaSalle, comment peut-il signaler son handicap ?
Je fais en sorte de mettre en place un stand handicap lors de chaque opération portes ouvertes de l’école, afin que les candidats en situation de handicap puissent échanger avec moi le plus tôt possible. C’est une première prise de contact. Ensuite je suis leur dossier de candidature s’ils en font un. Cela me permet aussi, dans des situations de handicap qui nécessitent des aménagements plus conséquents, de bien me préparer en amont, même si je ne saurais qu’en juin si l’étudiant est admis ou non à la suite de son concours.
Par exemple, il y a quelques années, une étudiante sourde qui passait le concours s’était présentée à moi. C’était la première fois que cette situation se produisait et donc je n’avais pas encore d’expérience similaire. Pour préparer son éventuelle entrée à UniLaSalle, je suis allé passer une journée dans son lycée pour voir quels aménagements avaient été mis en place pour elle et comment nous pourrions les reproduire sur notre campus. Cette étudiante a finalement été retenue et a été diplômée l’année dernière.
Parfois nous proposons aux nouveaux étudiants en situation de handicap de venir faire une semaine de « stage » sur le campus pendant les vacances de printemps, pour se projeter dans la vie de l’école pendant quelques jours et ainsi évaluer ce qui pourrait être compliqué pour eux au niveau du suivi des cours et au niveau de la vie sociale étudiante. Cela leur permet de prendre leurs premières marques et nous aide à anticiper les aménagements nécessaires pour leur permettre de conjuguer enseignement supérieur et handicap.
Selon vous, quel état des lieux peut-on faire aujourd’hui en matière d’enseignement supérieur et handicap, et notamment pour l’accessibilité des Grandes Écoles aux étudiants en situation de handicap ?
On constate aujourd’hui qu’il y a une forte augmentation du nombre d’écoles qui ont des référents handicap depuis 2008, avec un engagement qui se développe de plus en plus. Les référents s’impliquent au sein du groupe de travail handicap de la Conférence des Grandes écoles, participent aux formations… Les choses avancent.
Nous avions signé une première charte handicap en 2008 demandant aux écoles membres de la CGE de mener des réformes sur leurs campus. Là nous venons d’en signer une deuxième en février 2019, qui propose de nouveaux axes complémentaires :
– Le développement de l’accueil des étudiants sportifs de haut niveau en situation de handicap, dans la lignée des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 de Paris, car nous avons constaté que ces étudiants avaient dû mal à trouver une école pour les accueillir.
– L’accès à la vie sociale étudiante : nous recommandons aux écoles de proposer aux associations étudiantes la mise en place de référents handicap parmi leurs équipes, pour travailler sur l’accessibilité des activités et événements qu’elles organisent.
– La continuité entre l’enseignement secondaire, l’enseignement supérieur et l’emploi.
– La mobilité internationale : La Conférence des Grandes Écoles porte depuis plusieurs années un plaidoyer en faveur de la mobilité des étudiants en situation de handicap et pour la création d’un Statut International d’Étudiant en Situation de Handicap (SIESH). Nous portons ce projet avec notamment la Fédéeh et Hanploi CED. C’est l’un de nos grands thèmes de travail actuellement.
Qu’en est-il en matière de débouchés et d’intégration sur le marché du travail des étudiants en situation de handicap ?
Quand les étudiants en situation de handicap obtiennent leur diplôme Bac+5, ils sont autant chassés que les autres étudiants ! Ils sont tous embauchables et embauchés de la même manière que les autres en termes de rapidité d’intégration sur le marché du travail. Certains vont même oser démissionner pour rechercher un autre poste si le premier ne leur convient pas. En l’espace de 8 ans, il y a eu en tout deux étudiants pour qui les choses ont été plus difficiles, mais sur 250 qui ont été accompagnés à UniLaSalle, c’est plutôt un bon taux d’insertion.
Il faut savoir aussi que nous avons tout un réseau d’entreprises partenaires[1], qui cherchent à embaucher. Je peux être un relais pour organiser des temps de rencontres, même avant que les étudiants soient sur le marché de l’emploi, car une fois diplômés ces étudiants, avec ou sans handicap, sont recherchés et très rapidement embauchés.
Quand il s’agit d’une situation de handicap complexe, nous pouvons encourager les étudiants à faire un apprentissage à partir de la troisième année. Cela leur permet de montrer leur potentiel et de rassurer les employeurs avant d’arriver sur le marché du travail.
Quelles actions mettez-vous en œuvre pour améliorer l’accessibilité des étudiants en situation de handicap à votre école ?
Ce qui est important aujourd’hui, c’est le développement de la transition entre le secondaire et le supérieur. Nous essayons donc de communiquer et de travailler en réseau avec les établissements du secondaire au niveau du département, voire au niveau de la France. Aujourd’hui il faut vraiment que les Grandes Écoles présentent bien leur dynamique inclusive et renseignent davantage les conseillers d’orientation… car lorsqu’on est présents sur des salons d’orientation, beaucoup de jeunes viennent nous voir et nous disent : « On m’a dit que comme je suis handicapé, je ne pourrai pas faire des études supérieures ». Cela révèle un vrai problème au niveau de la communication et de l’aide à l’orientation dans les lycées. Et en même temps cela nous interroge nous aussi, Grandes Écoles, sur les actions que nous devons mettre en place pour remédier à ce problème. C’est pour cela que nous sommes en train de créer, au sein des Grandes Écoles, un réseau de référents handicap ambassadeurs dans chaque département, qui vont consacrer quelques heures pour être présents à des réunions d’associations de parents d’élèves, comme l’APEL notamment.
En tout cas il faut que l’on communique davantage sur l’accessibilité des grandes écoles, sur la possibilité de ces jeunes de poursuivre des études dans les parcours qu’ils souhaitent et non pas en fonction de leur handicap.
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Je recommande aux lycéens en situation de handicap de faire le tour, dès la classe de première, des écoles qui les intéressent, pour voir s’ils s’y sentent bien et faire connaître leurs besoins d’aménagements aux référents afin qu’ils anticipent. Il vaut toujours mieux qu’ils aient connaissance de tous les éléments à l’avance pour ne pas être stressés en commençant leur année de terminale.
Nous commençons à avoir une expertise et à trouver des solutions même dans des situations très complexes, notamment en matière mobilité internationale des étudiants car il y a un semestre à l’étranger obligatoire dans nos cursus. Cette année, trois personnes d’UniLaSalle que nous accompagnons sont parties au Mexique… L’une d’entre elles avait absolument besoin d’un médicament spécifique qui ne pouvait pas passer les douanes. Nous avons finalement réussi à le faire fabriquer localement dans un hôpital de sa région d’accueil au Mexique.
Pour en savoir plus sur le thème « Enseignement supérieur et handicap » et sur UniLaSalle : https://www.unilasalle.fr/
En photo : Xavier Quernin – Enseignement supérieur et handicap © Bastien Touraine
[1] Nestlé France, MSA, Isagri, Silliker Mérieux NutriSciences, Ginger CEBTP, Elior, Neovia