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Épilepsie : Plus d’1% de la population serait concernée

Patrick Baudru explique l' épilepsie maladie neurologique
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« La plupart des crises d’épilepsie sont très peu visibles » 

Rencontre avec Patrick Baudru, informaticien et patient épileptique diagnostiqué depuis 26 ans, également administrateur de l’association Épilepsie France au niveau national et délégué du département 92 et de l’Île-de-France.

Pouvez-vous nous présenter l’association Épilepsie France ?
C’est une association issue de la fusion d’autres associations il y a 11 ans. Elle fonctionne par délégations et correspondances locales dans le but de couvrir l’ensemble du territoire.
C’est une association de patients dans laquelle les rôles des professionnels sont bien délimités afin qu’Épilepsie France reste bien une structure pour les patients au service des patients.
Nous organisons des permanences locales, lors desquelles les patients peuvent nous contacter pour poser des questions, rechercher un médecin, faire de la sensibilisation en entreprise ou à l’école…
En parallèle, notre association est agréée pour représenter les patients auprès des services de santé. Cela signifie que l’on peut siéger dans les hôpitaux pour servir de médiateurs entre les établissements de santé et les patients. Nous sommes aussi amenés à intervenir auprès d’agences étatiques, comme l’ANSM, un ministère… Nous avons donc des interactions avec les pouvoirs publics.

L’épilepsie, qu’est-ce que c’est ?
L’épilepsie est une maladie neurologique, et uniquement neurologique. C’est le système nerveux central – le cerveau – qui peut être amené à dysfonctionner. Normalement les échanges entre neurones électriques sont organisés en fonction de ce qu’on fait (les réflexes, la mémorisation…) mais chez un épileptique on peut avoir le cerveau qui s’emballe, un peu comme un moteur. La coordination entre les neurones n’est plus là et cela fait qu’une zone du cerveau ou plusieurs dysfonctionnent à un moment donné.
Les effets des crises d’épilepsie vont être extrêmement variable d’un patient à l’autre, suivant la zone du cerveau qui est touchée. Par exemple si cette zone sert à gérer les mouvements des bras, la personne ne pourra plus bouger les bras et elle pourra avoir des mouvements involontaires sans pour autant perdre conscience. D’autres personnes vont avoir une grande partie ou l’ensemble du cerveau touché, dans ce cas on parlera de crise généralisée avec une possible perte de conscience. Les crises les plus connues (tonico-cloniques) avec chutes, convulsions, bavage, ne sont pas les seules crises généralisées, ni les plus fréquentes. Il peut s’agir simplement d’une perte de tonus, d’une absence où le plus souvent on se fige, on ne bouge plus, on n’entend plus… on parle de perte de contact. Il y a des dizaines de sortes de crises d’épilepsie et la plupart sont très peu visibles. Vous pouvez d’ailleurs avoir des personnes épileptiques autour de vous sans le savoir. On peut également être soi-même épileptique sans le savoir.
Le diagnostic, de par les multiples formes de la maladie, est souvent compliqué.

Quels sont les différents symptômes associés à cette maladie ?
Les différents symptômes se manifestent par les crises, car le fait d’être épileptique c’est justement le fait d’avoir fait déjà fait des crises, et qu’il y ait une probabilité qu’elles surviennent à nouveau. Certaines personnes font une crise d’épilepsie à un moment de leur vie – parce qu’elles sont fatiguées, ont bu un peu ou accumulé plusieurs facteurs – mais cela ne les rend pas pour autant épileptiques. L’épilepsie c’est quand il y a de grandes chances que si l’on ne soigne pas, une crise revienne.
Il y a d’autres conséquences. Par exemple, si quelqu’un a des crises nocturnes – la nuit étant le moment où le cerveau organise la mémoire – il peut avoir des troubles de la mémoire. Ce sont des effets secondaires aux crises mais pas les crises elles-mêmes. Ainsi tout ce qui est lié au cerveau peut être impacté par les crises. Le panel d’impacts dans la vie est donc considérable.

Justement, qu’en-est-il de l’impact sur le quotidien et la vie sociale des patients ?
Au niveau social, cela varie forcément beaucoup d’un patient à l’autre. Chacun réagit à sa manière et va être plus ou moins résistant moralement à l’idée de devoir supporter cette maladie, parfois tabou, cachée et/ ou mal vécue. Ce qui rend l’épilepsie difficile à vivre au quotidien n’est pas toujours la crise en elle-même, mais plutôt le fait de savoir qu’un jour on va avoir une crise, sans savoir quand… comme une épée de Damoclès. On ne sait pas si ça se produira mais du coup il y a une appréhension continue. Il y a aussi un retentissement pour les épileptiques qui ne peuvent pas conduire – et qui sont quand même très nombreux. Pour quelqu’un qui habite à la campagne et à qui on annonce du jour au lendemain qu’il ne doit plus conduire, le retentissement est très fort. Cela peut mener à un isolement, une perte d’emploi…
C’est difficile psychologiquement, avec une image de soi parfois détériorée pour les personnes qui vivent très mal la maladie. Le nombre de personnes qui sont épileptiques et dépressives est très largement supérieur à ce qu’on trouve dans la population non épileptique. C’est un constat assez alarmant qui démontre une sous-évaluation des risques psychologiques et psychiatriques engendrés par l’épilepsie. La scolarité peut aussi être troublée chez les enfants, avec des professeurs qui ne sont pas toujours sensibilisés.
Comme l’épilepsie est une maladie essentiellement handicapante au moment des crises, mais en soi pas en dehors de ces périodes, on peut avoir des personnes qui sont en pleine forme en dehors des crises mais qui doivent adapter leur vie en fonction du moment où elles craignent qu’une crise arrive. Certaines personnes qui ont les compétences requises pour un poste se retrouvent alors parfois dans l’impossibilité d’occuper ce poste à cause du simple risque de crise – ce qui est extrêmement frustrant. La limitation est basée sur une probabilité, elle-même très difficile à déterminer. De fait c’est aussi très difficile à prendre en compte pour des collègues ou des proches.

« Les effets des crises d’épilepsie vont être extrêmement variable d’un patient à l’autre »

Comment réagir lorsqu’on voit quelqu’un faire une crise d’épilepsie ?
Cela dépend de la forme d’épilepsie. La première problématique est donc de reconnaître la crise.
Si c’est une crise partielle, très peu étendue dans le cerveau, la personne ne perd pas connaissance et garde un minimum ses réflexes. Elle est capable de se mettre à l’abri, de se protéger et de se rendre compte qu’il y a un problème. Elle peut également communiquer avec les gens autour d’elle pour éventuellement leur dire quoi faire.
Si c’est une crise généralisée, il y a un risque de perte de connaissance partielle ou totale. Pour les personnes qui savent être sujettes à des crises de ce type, l’idéal de s’y préparer, notamment en prévenant les gens avec qui l’on est qu’une crise peut se produire, et que si l’on se met à marcher d’une manière anormale, sans faire attention aux obstacles, il faut intervenir, par exemple en plaçant la personne en sécurité le temps de la crise.

Les crises tonico-cloniques – les plus connues – sont très impressionnantes mais il y a de bons réflexes à avoir :
1. Il faut mettre la personne à l’abri, idéalement en mettant un coussin ou un pull sous sa tête, pour qu’elle ne cogne pas le sol. Si elle tombe à un endroit où il y a des choses qui coupent, des fils électriques, un meuble ou une chaise avec des pieds… il faut éloigner tout ce qui peut être dangereux pour une personne qui a des mouvements involontaires.
2. Après il y a des choses que beaucoup de personnes pensent être bien, comme « mettre quelque chose dans la bouche du malade », non ! On ne met jamais rien dans la bouche de quelqu’un qui est épileptique. La puissance musculaire qui est déployée lors de ce type de crise est énorme. C’est comme si vous faisiez un marathon en cinq minutes. Donc si vous mettez quelque chose dans la bouche du malade (une cuillère, un doigt…), vous risquez de casser les dents ou la mâchoire de la personne et vous risquez vous-même de vous faire trancher le doigt. Il existe un instrument qui peut être mis dans la bouche, mais qui est un instrument d’urgentiste, et qui doit être manié uniquement par des urgentistes dans des situations bien déterminées et relativement rare. Donc il faut réserver ces pratiques aux urgentistes, pas aux collègues, ni aux amis.
3. Une crise tonico-clonique s’appelle ainsi car pendant la phase « tonico), la personne devient dure comme du bois. Dans ce cas ce n’est pas la peine d’essayer de bouger la personne. Les muscles sont extrêmement contractés et c’est alors quasi-impossible de forcer une personne à se mettre dans une position donnée. Cela ne sert à rien.
4. Vient ensuite la phase « clonique », faîte de convulsions et de mouvements involontaires. À la fin de cette phase, on met la personne en position latérale de sécurité, c’est-à-dire allongée sur le côté, avec la tête légèrement en arrière, ce qui évite que la langue ne reste collée au palais et ne gêne la respiration.
5. Certains patients épileptiques ont sur eux des médicaments à prendre pour éviter que les crises ne durent trop longtemps, mais c’est réservé aux personnes à qui on a expliqué auparavant comment fonctionnent ces médicaments et comment les administrer. Ce n’est pas forcément réservé aux médecins mais il faut quand même que ce soit quelqu’un qui ait lu le mode d’emploi, qui connaissent les risques et qui sachent bien dans quelles circonstances les utiliser.
6. Lorsqu’on assiste à une crise d’épilepsie, il peut être très utile de noter les éléments importants, à commencer par la durée de la crise : lorsqu’une crise dure plus de 5 minutes, on a un risque de séquelles, voire un risque vital si ça dure encore plus longtemps. Dans ce cas il faut appeler les secours, quoi qu’on ait fait avant.

La plupart des crises durent moins de 5 minutes et ne nécessitent pas d’intervention des secours. Par exemple, si la personne tombe sans se faire mal et va s’asseoir à l’abri, si on appelle les pompiers, il y a de grandes chances que la crise soit terminée le temps qu’ils arrivent. Mais ils n’ont pas le choix, dès lors qu’ils sont là, ils doivent emmener la personne aux urgences. Le patient va parfois attendre plusieurs heures aux urgences alors que l’intervention des soignants ne sera plus nécessaire.
Toutefois, si vous voyez une personne faire une crise d’épilepsie et que vous avez le moindre doute sur sa gravité, il est préférable d’appeler les secours. Ceux qui n’appelleront pas les secours parce qu’ils savent que ce n’est pas la peine, sont ceux qui connaissent l’épilepsie du patient ou ne sont pas en terrain inconnu. Dans les autres cas, il ne faut pas hésitez à appeler les secours. Il vaut tout de même mieux les appeler pour rien que ne pas les appeler alors que c’est une urgence.

L’épilepsie est-elle facilement diagnostiquée aujourd’hui ?
Si quelqu’un a des crises très impressionnantes, le diagnostic sera relativement facile et rapide – cela représente moins de la moitié des patients. En revanche, ce sera plus complexe pour quelqu’un qui a des formes de crises plus rares, ou plus discrètes, ou qui a une forme d’épilepsie associée à d’autres pathologies – le mélange des symptômes va rendre l’épilepsie moins visible pour des non-spécialistes et le diagnostic pourra parfois être très long, avec une errance thérapeutique avant d’arriver chez un neurologue parfois plusieurs années après le début des recherches.

Quels sont les traitements de l’épilepsie ?
Le traitement de base, ce sont les médicaments. Il y en a environ 30 différents sur le marché, dont beaucoup qui sont arrivés ces dernières années. Ceci dit les médicaments anciens ne sont pas moins efficaces que les médicaments récents. Les plus récents ont pour but de réduire les effets secondaires pour les personnes qui ne supportent pas les anciens.
C’est justement la grosse problématique : Pour chaque médicament antiépileptique, les listes d’effets secondaires sont gigantesques et particulièrement angoissantes (atteintes de la vision, de l’ouïe, problèmes oculaires, osseuses, gastriques, psychiatriques…). Étant donné que l’on touche au cerveau, tout peut amener des effets secondaires. Ceux-ci ne sont pas forcément visibles pour les tierce-personnes. De fait, chez beaucoup d’épileptiques, le traitement est plus problématique que la maladie en elle-même. L’idée est de parvenir pour chacun à trouver un traitement qui produira les effets secondaires les plus supportables. Par ailleurs, on compte 30% des épileptiques qui malgré les traitements ne sont pas stabilisés.
Il existe d’autres formes de soins : parfois la chirurgie, si l’on a bien isolé la zone du cerveau dans laquelle démarrent les crises, il y a la possibilité d’enlever cette zone, mais cela demande beaucoup de conditions (que cette zone soit petite, bien atteignable, ne touche pas de fonctions vitales, n’affecte pas des capacités motrices ou du langage…). Cela concerne une minorité d’épileptiques mais on voit effectivement des personnes qui sont totalement guéries après une telle opération.
D’autre part, chez certains patients l’épilepsie disparaît d’elle-même, sans que l’on sache réellement pourquoi. Il y a lors une discussion entre le patient et le médecin pour décider s’ils tentent de diminuer le traitement jusqu’à atteindre des doses qui ne sont plus significatives et donc arrêter le traitement. Cela reste peu courant.
En dehors des soins strictement médicaux, on constate que la dépression nourrit l’épilepsie et vice versa, et ainsi, qu’un patient épileptique qui va bien moralement, qui fait du sport, ou qui maintient des activités sociales régulières va globalement aller mieux.

Où en est-on en matière de recherche ?
Du point de vue des patients, la recherche avancera toujours trop lentement. Mais malgré tout, la neurologie, qui est une discipline très récente (les épileptiques étaient encore soignés en psychiatrie il y a 60 ans !), connaît des progrès énormes. Pendant longtemps on a avancé en essayant de soigner l’épilepsie en la prenant seule, et maintenant la recherche avance aussi dans d’autres directions avec notamment de la recherche fondamentale pour essayer de comprendre réellement le fonctionnement du cerveau. Pourquoi telles personnes ont un effet secondaire et d’autres ne l’ont pas ? Pourquoi un médicament fonctionne sur certaines personnes et d’autres non ? Il y a beaucoup d’inconnus et la recherche se penche dessus en repartant de la base. Il faut commencer par bien connaître un organe pour trouver comment bien le soigner.
Il y a aussi des axes de recherche sur les traitements non-médicamenteux, du matériel qui permet de compenser l’épilepsie, ou qui permet de détecter à l’avance les crises. Le but de la recherche reste soit de soigner, soit d’améliorer le quotidien de la personne épileptique.

Quelle est la proportion de personnes touchées en France ? Et dans le Monde ?
En France, on estime qu’un peu plus d’1% de la population est concernée par l’épilepsie, sachant que ce chiffre représente des réalités très différentes, avec des patients qui ont un suivi pour un passé épileptique mais qui ne prennent plus de traitements et sont bien stabilisés et d’autres qui voient la maladie se manifester dans ses aspects les plus sévères.
Dans le monde, cela concerne 50 millions de personnes si l’on se réfère aux chiffres de l’OMS. Un chiffre qui nous semble absurde puisque rien qu’en France plus d’1% de la population est touchée… il y a plus de 7 milliards d’habitants dans le monde, et on sait qu’il y a un véritable désert médical en termes de neurologie dans certains pays, avec donc un sous-diagnostic. D’autant plus que certains pays sont plus touchés que d’autres par l’épilepsie, par exemple elle est plus présente au Maghreb et en Afrique noire qu’en Europe… et ce sont aussi les endroits où il y a moins de neurologues.

Y a-t-il des préjugés particuliers associés à cette maladie ?
Il y en a beaucoup. À la base le fait que cette maladie ait été suivie en psychiatrie pendant très longtemps n’a pas aidé et contribue au fait qu’elle soit encore considérée par certains comme une maladie de fous. Mais il s’agit bien d’une maladie uniquement neurologique et absolument pas psychiatrique, et elle ne recouvre aucune déficience intellectuelle. En France, on a interdit beaucoup de métiers aux épileptiques pendant très longtemps, par exemple ils n’avaient pas le droit d’être fonctionnaires. Forcément, si vous entendez que les personnes ayant telle maladie n’ont pas le droit d’exercer le métier de gendarme ou de professeur et sont suivies par des psychiatres, cela peut faire naître et alimenter de graves préjugés. De même, certains traitements pour l’épilepsie sont communs à ceux de maladies psychiatriques, ce qui entretient les préjugés. Aujourd’hui les choses ont évolué mais il y a des reliquats et certains peuvent encore en faire les frais au niveau professionnel ou personnel.
En parallèle, il reste aussi un tabou autour de cette maladie. Parmi les personnes qui en parlent, beaucoup le font parce qu’elles n’ont pas le choix. Celles qui ont des crises discrètes et peuvent les dissimuler n’en parlent pas. Du coup quand les gens entendent parler d’épilepsie ils ne pensent qu’aux personnes faisant des crises graves et très visibles, potentiellement discriminantes. Ils ne voient pas que ce sont des personnes « ordinaires » comme elles.

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Si vous êtes concernés par l’épilepsie, je vous recommande de ne pas vous isoler, de ne pas vous fermer à la vie amicale et amoureuse… car c’est parfois ce qui se produit sans qu’on le veuille, par peur d’être gêné ou pointé du doigt. N’ayez pas honte de votre pathologie et essayer de rester moteur de votre qualité de vie car personne ne le fera à votre place.
Quant aux personnes qui ne sont pas directement concernées, il ne faut pas avoir peur de l’épilepsie. Ce n’est pas non plus une source d’incompétence au travail ou à l’école, ni un sujet de moquerie. Il y a des gens qui en meurent et le risque de tentative de suicide chez les épileptiques est dix fois plus élevé que la moyenne. Il faut simplement considérer les personnes épileptiques comme tout un chacun.

Plus d’infos sur : www.epilepsie-france.com

En photo : Patrick Baudru, informaticien et patient épileptique.

L’épilepsie
• Une maladie neurologique, et uniquement neurologique.
• C’est le système nerveux central – le cerveau – qui peut être amené à dysfonctionner au niveau de la coordination entre les neurones, et ainsi provoquer des crises d’épilepsie.
• Des crises partielles ou généralisées avec des effets très variables d’un patient à l’autre, selon la zone du cerveau touchée.
• De nombreux traitements médicamenteux mais avec beaucoup d’effets indésirables.
• La plupart des crises d’épilepsie durent moins de 5 minutes.
• Si vous voyez une personne faire une crise d’épilepsie et que vous avez le moindre doute sur sa gravité, il est préférable d’appeler les secours.

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