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Garder du plaisir à se mettre à table : La chronique de Catherine Sanches

Garder du plaisir à se mettre à table : La chronique de Catherine Sanchès
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En faire tout un plat ! Ou comment garder plaisir à se mettre à table ?

Image d’illustration © Apolline Sanches Rodrigues – Comment garder du plaisir à se mettre à table

Par Catherine Sanches. Se nourrir est une réponse à un besoin primaire. S’alimenter est une démarche complexe qui peut devenir bien compliquée. Et contrairement aux idées reçues, les besoins nutritionnels ne baissent pas avec l’âge. Après 70 ans, le risque majeur est de ne pas manger assez. Et dès 55 ans, on vous invite à « optimiser » vos apports alimentaires notamment dans le cadre du Programme National Nutrition Santé avec des livrets spécifiques à disposition (*). Si l’équilibre alimentaire peut devenir précaire, c’est aussi l’équilibre relationnel qui pourrait être en danger tant l’affect est présent dans nos assiettes. D’où cette chronique sur l’importance de garder du plaisir à se mettre à table.

Quand une pathologie s’invite dans la gestion des repas, ceux qui accompagnent au quotidien leurs proches se demandent parfois si en plus de devenir infirmier, masseur… on ne leur demanderait pas aussi de passer un diplôme de diététicien. Au-delà d’un mouvement d’humeur, le regard des professionnels de santé sur ce qui se passe dans la cuisine peut être lourd de conséquences. Sans compter le fait que les troubles du comportement alimentaire ne sont pas réservés aux adolescents et qu’ils bouleversent tout autant la vie de famille des plus âgés.

Avoir l’envie de manger… ou la perdre

Dernièrement, la détresse d’un vieux monsieur devant la balance du ménage m’a touchée. Son épouse a toujours été maigre. Sans le savoir, il me décrit quelqu’un qui a vieilli avec des TCA* sans qu’il n’y ait jamais eu de diagnostic posé ni de décompensation trop grave. Il me parle d’une épouse qui a toujours « chipoté » avec la nourriture, qui oubliait de prendre une pause repas quand elle travaillait… Le couple, sans enfant, est encore très amoureux. Monsieur prend soin de Madame comme une évidence. Décrite comme facilement inquiète, madame T. est aujourd’hui envahie par des bouffées d’angoisse, a beaucoup maigri, ne veut plus se mettre à table.

Et le conflit s’invite au moment du repas car monsieur ne supporte pas de voir sa femme dépérir. Il ne sait plus comment s’y prendre pour que son épouse garde du plaisir à se mettre à table, ni quoi faire à manger. Comment rester calme, ne pas s’inquiéter quand la personne « chouchoutée » perd encore du poids, refuse ce qui a été préparé, gémit et tourne la tête à chaque présentation de « bons petits plats » ? Ces refus ont fait basculé l’époux dans le doute, la culpabilité… Et la crainte d’en parler au médecin…  Il y avait l’appréhension supplémentaire d’être dévalorisé et vu comme incompétent. Heureusement, il a finalement demandé de l’aide et le médecin traitant a fait appel au réseau de professionnels en gérontologie pour avoir des idées de prise en charge.

Le plus urgent était de retrouver un tant soit peu de sérénité et d’évaluer les projets possibles en tenant compte des attentes des deux personnes… sans précipitation. Avec une collègue infirmière, nous avons pris le temps d’être à leur écoute. Nous avons eu ce luxe et il s’est avéré déterminant pour la suite. En premier lieu, ma collègue a pu identifier un problème de santé qui pouvait modifier l’appétence de madame. Un traitement a été proposé avec efficacité. Ensuite, avec monsieur, nous avons convenu qu’il pouvait faire appel à une aide à domicile pour l’aider dans l’élaboration des repas et être présente avec lui sur « le temps du midi ». Il n’avait pas idée qu’il soit permis de demander ça.

Le service, intervenant déjà au domicile pour de l’entretien, a pu missionner une personne qui s’est montrée respectueuse et assez astucieuse pour améliorer la situation sans tout bouleverser. Il n’était pas raisonnable de provoquer une transformation radicale. L’intervenante a joué un rôle de tiers pour faciliter un retour du plaisir à la préparation des repas, un apaisement. Puis, madame a pu être de nouveau invitée à partager ces préparatifs, trouver goût à penser agréablement à un rendez-vous auparavant redouté. Cet arrangement a permis de réduire les risques pour la santé de madame et éviter l’épuisement de monsieur.

Illustrations © Apolline Sanchès Rodrigues - En faire tout un plat ! Ou comment garder plaisir à se mettre à table ?
Illustration © Apolline Sanches Rodrigues – En faire tout un plat ! Ou comment garder plaisir à se mettre à table ?

Illustration © Apolline Sanches Rodrigues – En faire tout un plat ! Ou comment garder plaisir à se mettre à table ?

Rendre son tablier… ou le prendre

Les hommes sont volontiers « chefs » en cuisine, mais encore peu volontaires pour cuisiner au quotidien. Même si les émissions télé, et la société dans son ensemble, s’évertuent à modifier les codes, il n’empêche que bien des femmes n’ont souvent pas eu d’autres choix que d’assumer leurs « fonctions nourricières ». Aussi, je me souviens d’un homme désemparé à l’idée de prendre le relai de sa compagne aux fourneaux : « Je ne sais même pas à quoi ça sert tous ces trucs… », disait-il en montrant robots et ustensiles ménagers dans le placard de la cuisine. Cet espace, il l’avait bien aménagé. Mais lui, il s’était occupé du contenant… pas du contenu !

Alors quand le médecin de l’hôpital lui a dit : « Vous penserez bien à enrichir l’alimentation. » Il n’a pas osé lui répondre qu’il n’avait pas compris ce qu’il devait faire pour Nathalie et pour lui permettre de garder du plaisir à se mettre à table. D’ailleurs, il n’avait pas non plus réfléchi qu’elle n’irait pas faire les courses en rentrant. Il était simplement soulagé qu’elle puisse rentrer à la maison. Il n’avait pas rempli le frigo. Il a d’abord pris un temps fou à parcourir les rayons de la grande enseigne du coin. Il s’était dit qu’en allant là, il trouverait tout ce qu’il fallait. Il n’avait pas imaginé qu’il lui faudrait faire des kilomètres pour tout trouver. Et encore… Il n’est pas parvenu à mettre la main sur le thé préféré de Nathalie. Il y avait trop de boîtes différentes.

Il me décrit une situation qu’il a abordé comme le service militaire : « obligé de faire face ». Il s’est mobilisé. Cependant, dans l’aventure d’apprenti cuisinier, il a rencontré trop d’obstacles. Quand je le rencontre, il fait un bilan sur ton fort déprimé de son engagement. Il n’arrive pas à s’organiser, il se sent comme un incapable. Je l’aurais volontiers invité à un atelier cuisine entre aidants. Il n’est pas le seul désemparé par ces enjeux et on aurait pu imaginer un temps entre « pairs aidants ». En attendant la bonne formule, nous avons échangé sur tous ces ressentis provoqués par ce changement de rôle au sein de son couple. Puis, il s’est renseigné. Avec les ordonnances, il y avait bien des documents mais il ne les avait pas exploités. Avec internet, il se débrouille mais il ne savait pas quoi chercher. Avec quelques indices et une nouvelle motivation, il s’est formé. Il a trouvé des recettes, suivi des tutos et a pu trouver une certaine fierté à pouvoir inviter ses enfants à partager un repas dominical en famille.

Garder du plaisir à se mettre à table : Du kit cuisine… au kit créatif

Pour Nathalie, Roger ne savait pas quoi chercher sur internet… Et pour d’autres, c’est aussi ne pas savoir quoi demander à la pharmacie. Je fais là référence à cette prescription de produits riches en protéines que le médecin confie aux proches et pour laquelle ils ne savent pas toujours tout le choix à leur disposition. En plus des crèmes desserts, il y a beaucoup de références. Il m’est régulièrement arrivé d’évoquer l’existence de plats préparés « prêts à être réchauffés ». Même si la présentation du produit n’est pas très appétissante, elle peut offrir un peu de répit dans la gestion quotidienne. Et rien n’empêche de l’apprêter ; une assiette bien dressée sur une jolie table aide à prendre plaisir à manger !

Catherine Sanches Rodrigues

(*)https://www.mangerbouger.fr/Manger-mieux/Manger-mieux-a-tout-age/Seniors

TCA = troubles du comportement alimentaire

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