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Handicap et loi travail : Un responsable de mission handicap réagit

Handicap et loi travail réaction François Seille
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Handicap et loi travail : « Les entreprises vont se sentir une fois de plus visées et taxées »

L’adoption de la loi travail le 1er août 2018 comporte des réformes qui impactent fortement le paysage de l’emploi des personnes handicapées installé depuis la loi de 2005. Ces réformes ne sont pas du goût de tous car leurs conséquences sont importantes et vont perturber ou supprimer des modes de fonctionnement et des politiques qui comportaient de nombreux aspects positifs en matière de handicap et loi travail. Ces réformes remettent en question l’engagement des entreprises sous accord. François Seille, pilote d’une mission handicap dans la grande distribution, depuis 20 ans, réagit là, à titre personnel. 

Noyer une refonte aussi importante que celle de la loi de 2005 dans une loi sur la réglementation du travail signifie déjà que la politique handicap n’est plus une politique à part entière. C’est l’impression générale qui s’en dégage.

L’une des mesures annoncées impose aux établissements de moins de 20 salariés faisant partie d’un groupe de répondre aux obligations d’emploi des travailleurs handicapés, une pratique qui d’après François Seille est en œuvre depuis bien longtemps dans des entreprises multi-sites sous accord, et en particulier dans la Grande distribution : « Nous sommes à plus de 6% depuis plus de quatre ans et nous avons conservé la formule de l’accord pour maintenir l’implication interne de tous nos sites, même avec le peu de budget que nous avons à disposition.

La réforme du mode de calcul des EA qui annule tout impact sur le taux d’emploi n’est pas comprise, et inquiète au plus haut point.
« Nous passons d’une approche RH à une approche financière et cela change totalement les interlocuteurs en interne et donc la philosophie. Cette mesure devrait contribuer de manière évidente à une baisse des engagements avec le STPA (Secteur du Travail Protégé et Adapté). Dans la même ligne, ce qui est aussi un non sens c’est que le Président de la République remette en question le statut des TIH qu’il a lui même créé il y a 3 ans lorsqu’il était ministre. La traduction purement financière de la sous-traitance avec le STPA et/ou les TIH fait perdre aux entreprises la possibilité de valoriser leur niveau d’engagement à travers le taux d’emploi qui traduit le volume de travail fourni aux personnes en situation de handicap dans le STPA et les TIH. De plus, l’idée de croire que toutes les personnes qui travaillent dans le STPA peuvent trouver leur place en milieu ordinaire du travail est illusoire et relève de l’exception, au vu de l’accompagnement que nécessitent certaines d’entre elles, l’aménagement de poste ne suffisant pas toujours ; et les intervenants spécialisés pour ces accompagnements individualisés n’étant pas en assez grand nombre pour faire face, demain, à une telle demande de la part des entreprises. Cela aboutit à une remise en cause complète de l’existence de ces structures de même que l’on ne peut pas reprocher à une EA de chercher à garder ses meilleurs éléments au sein de ses propres effectifs. Aujourd’hui, grâce à la réforme, un plus grand nombre de personnes pourra trouver un emploi dans une entreprise adaptée, y compris pour les personnes affectées par un handicap « lourd ». C’est une bonne évolution afin de tendre à réduire les effectifs demandeurs d’emploi. Mais les entreprises ne pourront pas accueillir en continu tous les publics issus du STPA et ceci malgré quelques expériences très réussies de collaborations, inscrites dans la durée, et sur des volumes importants. Le fait d’augmenter le nombre de places en EA ne va pas faire croître d’autant le nombre de transferts en milieu ordinaire.

Et concernant l’appel aux prestataires extérieurs qui fonctionnaient avec le budget de l’accord ?
« Tout va s’arrêter, ces prestataires seront les premiers pénalisés par la fin des accords agréés, et bien sûr le STPA (en prestations de services) comme les TIH seront concernés ».

Comment réagit une entreprise comme la vôtre face à l’impossibilité de renouveler son accord ?
« Les entreprises ne seront pas forcément pénalisées par cette orientation mais vont se sentir une fois de plus visées et taxées par des sanctions financières. C’est vrai que l’action de recrutement d’une personne handicapée n’est pas supérieure à celui d’une personne valide, sauf à devoir aménager le poste de travail et sur cet aspect l’entreprise ne sera pas pénalisée. Par contre, si pour une entreprise comme la nôtre l’aménagement de poste dès l’intégration du salarié est une priorité, la donne va terriblement changer. Il y a une réalité des coûts et nos capacités de dépenses de plus en plus étroites vont de paire avec des marges bénéficiaires qui, dans la grande distribution, sont de plus en plus serrées. Or la grande distribution fut le premier secteur à s’impliquer massivement dans le recrutement des personnes handicapées et notamment à travers les accords. Je pense que nous aurions dû être plus nombreux à être auditionnés par les instances ministérielles, et si possible entendus lors des tables rondes préliminaires à la loi. En l’état, je ne sais pas comment je vais pouvoir maintenir la politique de maintien dans l’emploi et cela même si nous avons des subventions car elles ne seront pas à la hauteur des investissements que nous faisions hier… Il faudra se battre pour trouver du budget avec des moyens humains que nous n’aurons pas. En ce qui me concerne, si mon poste n’était pas auto- financé par la mission handicap, il ne serait pas pérenne. À défaut il serait disséminé sur plusieurs personnes qui s’en occuperaient quand elles en auraient le temps car ce ne serait pas le cœur de leur métier, ni leur priorité ».

L’obligation d’un référent handicap dans les entreprises de plus de 250 salariés est-elle judicieuse ?
« C’est une très bonne mesure car dans chaque entreprise de plus de 250 salariés une personne va porter la parole sur ce sujet et va devoir rendre des comptes à l’autorité publique sur les résultats de l’entreprise. Une personne qui, par conséquent, devra s’impliquer avant tout. Aujourd’hui seules les entreprises sous accord avaient ce type de contrainte. J’espère que cette fonction sera nominative afin que l’on sache vraiment à qui s’adresser, car il ne faut surtout pas que ce soit purement administratif ».

Qu’est-ce que le fait de ne plus avoir la possibilité de renouveler votre accord peut générer en termes d’organisation ?
« Cela signifie que l’entreprise n’inscrit pas dans ses comptes et dans ses objectifs un budget équivalent, dédié au handicap. Ce qui est le cas des entreprises qui ont signé une convention avec l’Agefiph, mais ce n’est vraiment pas aussi impliquant qu’un accord, particulièrement sur la durée. C’est un choix qui relève d’une politique interne. Dans le cas de nos entreprises “alimentaires”, les marges sont tellement chahutées que nous mettons nos moyens en priorité sur le commerce, parce que nous devons maintenir notre rang, notre part de marché, et nos emplois. Nous n’allons donc pas mettre ces moyens sur des budgets sans retour direct de nos clients. Et il en sera de même pour tous les secteurs d’activité où les entreprises sont confrontées à une concurrence très rude. Les acquis d’une politique Handicap pourraient vite se dégrader et je suis très inquiet des effets que la fin de notre accord risque de produire en interne, car la mission handicap ne sera jamais la priorité d’une entreprise dans les secteurs de plus en plus concurrencés par de nouveaux marchés. Où irons-nous chercher les budgets qui nous permettent aujourd’hui de mettre les collaborateurs handicapés en situation de « confort » ? Un salarié qui a bénéficié d’un aménagement de poste ne quitte plus son entreprise ! Mais tout cela n’a pas été observé et débattu dans le cadre de cette loi. Continuer à maintenir des budgets récurrents de maintien dans l’emploi semble illusoire car comment financer, par exemple, des transports quotidiens extrêmement coûteux et ceci toute l’année sans budget dédié ? Si des dépenses récurrentes sont engagées, l’entreprise arrêtera de financer tout ce qui n’est pas obligatoire ou prescrit par le médecin du travail. Certains salariés vont faire face à de grosses difficultés, sauf si l’Agefiph prend en charge ces dépenses. Ce sera au collaborateur lui-même de négocier avec l’Agefiph ses remboursements de transports ou autres charges, ou il l’imputera sur son budget personnel, donc en diminution de son pouvoir d’achat ».

La nécessité d’un aménagement de poste peut être un frein à l’embauche finalement ?
« 
Bien sûr, on peut même dire que la décision de ne pas poursuivre se fera avant l’embauche. Si je prends l’exemple d’une personne qui nécessite lors de son entretien un interprète LSF, quel budget supportera le coût de l’interprète LSF ? Et bien ce salarié ne sera sans doute pas reçu pour un entretien. Si un besoin d’aménagement important est perçu dans le courrier de candidature, il n’y aura peut-être pas de premier rendez-vous car nous ne sommes pas dans de petites dépenses quand on fait bien les choses… L’évolution des aides techniques et leur prix très élevé deviendront inaccessibles aux entreprises qui les finançaient jusqu’à présent et l’Agefiph ne pourra pas suivre non plus ».

Le taux révisable tous les 5 ans est l’une des autres mesures phare de la réforme.
Selon la ministre du travail la France n’est pas très bonne dans l’emploi des personnes handicapées à coté de certains de nos voisins européens…
« Je m’inscris en faux car les indicateurs TH de nos pays ne sont pas sur des indicateurs comparables, et surtout très différents dans leur calcul, pour cause les meilleurs d’entre eux ne se préoccupent pas de l’insertion professionnelle des personnes handicapées car c’est dès la petite enfance que le handicap est inclus à l’école de manière « naturelle », sans aucune différence avec les élèves valides. Le corps professoral est sensibilisé, et même éduqué, donc à même de comprendre et gérer le handicap comme un « facteur » ordinaire de la vie en société. Dans ces pays les taux n’ont donc rien de comparable avec les nôtres car leurs bases de calcul sont très différentes. Ces pays font ce qu’il faut pour que le handicap ne soit plus un problème dès l’enfance, le public comme les entreprises ne les perçoivent donc pas comme tels. Voilà pourquoi ils sont meilleurs que nous. Les gens ne parlent pas de leur handicap dans le cadre du travail car ce n’est pas un sujet. Les entreprises ne sont donc pas pénalisées sur ce sujet, ou pour certains pays, n’ont pas le sentiment de l’être. En France nous n’en sortirons pas tant que l’Éducation Nationale ne se remettra pas en question face au handicap. Nous ne nous intéressons aux personnes en situation de handicap que lorsqu’elles entrent dans le monde du travail, mais c’est bien trop tard ».

Qu’est-ce que cette loi que peut changer dans vos habitudes d’ici la fin du prochain accord ?
« Selon l’expression consacrée, ne plus avoir les moyens de notre politique. Si prochain accord il y a, nous serons donc sur une approche minimaliste en matière de maintien dans l’emploi »

Pour François Seille : « Toutes ces mesures vont banaliser la politique handicap qui sera noyée parmi d’autres politiques et ne sera suivie qu’à travers des statistiques. Il sera difficile demain de témoigner sur des actions qualitatives puisque ce n’est pas ce qui semble être attendu par le gouvernement ».

En photo : François Seille – Handicap et loi travail

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