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Justice et handicap : Un cas pratique qui questionne la réforme du droit

Justice et handicap : Un cas pratique qui questionne la réforme du droit
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Réforme du droit, réforme de sa pratique : Quand la justice refuse au justiciable en situation de handicap ses droits légitimes.

Par Handilex. Scène de violence ordinaire au Tribunal judiciaire de C*. Au début de ce mois de février, Monsieur S*, 76 ans, doit être entendu par le Juge des tutelles car une décision doit être prise concernant sa propre situation. Monsieur S* n’a pas d’avocat mais deux filles : l’une souhaite son maintien à domicile, l’autre son placement en EHPAD et ce, sur fond de conflit familial extrêmement lourd (la justice pénale est saisie). Déjà dans cette affaire, tout appelait à la prudence et à la délicatesse. Pour couronner le tout, Monsieur S* souffre d’aphasie à la suite d’un AVC. Son seul handicap : avoir de très grande difficulté à s’exprimer. Une situation qui implique de concilier justice et handicap.

Comme l’article 76 de la si fameuse loi de 2005 l’y autorise, il a donc demandé à Madame M*, son orthophoniste, de l’accompagner à l’audience pour palier ses difficultés de communication. La juge est prévenue un mois avant par un courrier qui, d’abord, rappelle l’article 76 de la loi précitée et désigne ensuite, en déclinant ses nom et qualité, la personne qui se tiendra aux côtés de Monsieur S* pendant l’audience. Madame M* a donc fermé son cabinet pour la matinée et plus que bénévolement, puisqu’en y perdant financièrement, elle se présente au Tribunal avec Monsieur S*.

Mais voilà, la juge refuse la présence de Madame M* aux côtés de Monsieur S*. Elle ne veut rien savoir. Au contraire, elle veut l’entendre seul, se prévalant du fait « qu’elle avait l’habitude, qu’elle recevait même des sourds » (sic !). On se demande encore ce qu’elle a pu entendre et comprendre. Évidemment, Monsieur S* sort en larmes du cabinet du Juge.

Surcharge de travail de la juge ? Manque d’information, de formation ? Pouvoir discrétionnaire du juge qui décide de la tenue de son audience ? Aucun de ces arguments trop souvent avancés pour justifier le comportement révoltant de certains magistrats ne résiste à l’analyse. D’abord, parce qu’il est évident que la présence de l’orthophoniste, qui a l’habitude de travailler avec son patient, aurait permis un gain évident de temps et d’efficacité. Ensuite, parce que la juge avait été prévenue un mois avant. Enfin, parce qu’un magistrat n’a pas le pouvoir de décider s’il accepte qu’à son audience une personne aphasique soit ou non accompagnée. Cette décision appartient à la personne aphasique et à elle-seule. Le juge n’a pas le pouvoir de s’y opposer. Toute autre interprétation reviendrait, purement et simplement, à neutraliser la loi.

Un vide juridique à combler en matière de justice et handicap

Il y a bien sûr des réformes de fond nécessaires comme celle de l’AAH individualisée dont la proposition de loi, grâce à la pétition lancée par Madame TIXIER, va être examinée par le Sénat le 9 mars prochain. Mais la méconnaissance des droits des personnes handicapées ne résulte pas, le plus souvent, d’un vide juridique qu’il faut à tout prix combler par de nouvelles mesures, de nouvelles réformes, de nouvelles lois. La plupart de ces atteintes résultent, dans la pratique, de la méconnaissance volontaire ou non, du droit déjà en vigueur, notamment par ceux qui, comme la juge du Tribunal de C*, a la charge de le faire respecter.

Des exemples comme celui-ci, nous en connaissons tous des dizaines. Le récit de ces violences ordinaires remplit les colonnes de nombreux articles, les pages de nombreux livres. Pourtant, notre système juridique, en comparaison de nombreux autres pays, européens ou non, est très protecteur envers les personnes en situation de handicap. Avant d’envisager de nouvelles réformes du droit en matière de handicap, ne serait-il pas opportun d’envisager d’abord une réforme de sa pratique ?

Veiller à ce que les personnes en situation de fragilité soient défendues par un professionnel du droit

Une mesure procédurale simple devrait au moins être examinée : rendre, par principe, le ministère d’avocat obligatoire pour les personnes en situation de handicap pour toute démarche judiciaire les concernant. Compte tenu de la situation de fragilité dans laquelle celles-ci se retrouvent trop souvent, le fait pour elles d’être accompagnées, assistées et défendues par un professionnel du droit dont la mission et la responsabilité sont de veiller au respect de leurs droits n’est pas qu’une mesure cosmétique. Loin de là.

Il existe une différence fondamentale entre, d’une part, être seul par principe devant le droit, le subir et, peut-être, chercher un professionnel du droit pour comprendre et être aidé avant qu’il ne soit trop tard et, d’autre part, être automatiquement accompagné et défendu par celui-ci, même si c’est pour estimer ensuite ne pas ou ne plus en avoir besoin et vouloir faire, mais sans en toute connaissance de cause. Seule la deuxième option permet réellement de s’assurer que les personnes en situation de handicap sont suffisamment informées quant à leurs droits face à la justice, de la manière de les exercer et donc, de veiller à la conformité du droit et de sa pratique.

Jean-Armand Megglé

(Pour des raisons évidentes, les circonstances de l’affaire citée en exemple ont été rendues anonymes.)

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