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Karine Gros : « Agir pour la formation sur le handicap et mieux la définir »

Karine Gros : "Agir pour la formation sur le handicap et mieux la définir"
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Nous avons eu la chance d’interviewer Karine Gros, Maître de Conférences Habilitée à Diriger des Recherches, et Titulaire de la Chaire Handicap, Emploi et Santé au travail à l’UPEC (Université Paris-Est Créteil).

Spécialiste des questions de l’emploi des personnes en situation de handicap, Karine Gros elle répond à nos questions à propos d’un paysage de l’emploi particulièrement trouble depuis plus de deux ans. Les personnes en situation de handicap pourront-elles tirer leur épingle du jeu ?

Quel est votre regard sur la situation actuelle de l’emploi des personnes en situation de handicap ?

Karine Gros : Nous sommes au cœur d’une problématique importante avec des impacts forts et des défis majeurs qu’il convient de relever pour construire une société que nous souhaitons tous plus inclusive.

En toute logique, mon regard se porte d’abord sur les chiffres clés et l’analyse que l’on peut en faire : le taux de chômage des personnes handicapées est passé de 18% à 14% (8% tout public), le recrutement des personnes en situation de handicap (PSH) a augmenté de 26% en une année, et le nombre d’apprentis en situation de handicap a été approximativement multiplié par 2. Cependant, au-delà de ces chiffres, la réalité est la suivante : le nombre d’inscriptions à Pôle Emploi des PSH est bien supérieur aux taux d’inscrits de l’ensemble de la population et l’on dénombre seulement 8 000 apprentis déclarés en situation de handicap sur un total d’apprentis avoisinant les 850 000.

On constate une dynamique gouvernementale en faveur des personnes en situation de handicap dans la droite ligne de l’engagement « Cap vers l’entreprise inclusive » de 2018-2022, de la stratégie « Osons l’emploi » de 2019 » et du plan de France Relance, mais l’insertion et la reprise d’emploi des BOE restent difficiles. Avec le contexte social et économique actuel, la situation des personnes handicapées comme celle de la population en général est loin d’être sereine et l’évolution des modalités de travail (le télétravail par exemple) peuvent être des opportunités pour des PSH, mais aussi un renforcement de leur isolement.

Depuis la crise du Covid et la fameuse vague de démission, les entreprises ont-elles changé de posture ou de regard sur l’emploi des personnes en situation de handicap ?

Karine Gros : En effet, suite à la vague de démissions, au développement du télétravail, aux métiers en tension, les entreprises changent de regard sur ce sujet. Elles mesurent l’importance de revoir les process de recrutement et les critères d’employabilité. Certes, les diplômes ont leur importance et en tant qu’universitaire je ne dirai pas le contraire. Cependant, les entreprises ont compris que pour faire face à la crise du recrutement, les savoirs expérientiels, l’expertise, le savoir-être, les savoir-faire acquis au fil d’un parcours atypique, les capacités inventives et organisatrices peuvent répondre aux besoins d’innovation et de créativité des entreprises. Ce changement de posture offre des opportunités sérieuses pour les PSH qui ont souvent des parcours atypiques et des savoirs expérientiels très riches et divers, et pour qui l’innovation et la persévérance font partie intégrante de la vie quotidienne.

Vous êtes à l’origine de la Chaire Handicap, Emploi et Santé au travail. Parlez-nous de son rôle, ses ambitions et son financement.

Karine Gros : La Chaire Handicap, Emploi et Santé au travail, que je dirige depuis juin 2021, développe un programme de travail structuré autour de 3 thématiques : la formation des PSH et la formation au handicap du collectif de travail ; l’insertion, le maintien en emploi, la sécurisation des parcours, la prévention de la désinsertion professionnelle ; enfin de la thématique de la qualité de vie et de la santé au travail.

La chaire, sous le parrainage de Marie-Anne Montchamp, est construite sur une gouvernance extrêmement participative puisque ses partenaires et mécènes – la Fondation Malakoff Humanis qui préside la Chaire, OnePoint, Thales, 5Discovery, Handiprint, l’Agefiph, le FIPHFP – sont réunis au sein d’un comité de pilotage qui décide de l’orientation des travaux.

La chaire développe des formations accessibles à toute personne en situation de handicap (le DU Référent handicap, secteur privé, fonctions publiques, secteur associatif et prépare un nouveau DU, le DU Référent Emploi accompagné). La chaire, c’est également 4 thèses de doctorat, des bourses d’excellence, le projet COOKINUM, lauréat de l’appel à projet DEFFINUM, dont l’objectif est d’accompagner les pôles de formation aux métiers de la restauration dans leurs démarches d’accessibilité numérique des formations. Et n’oublions pas les 4 ouvrages publiés aux éditions ESF Editions Législatives.

Karine Gros, quels sont, selon-vous, les facteurs sur lesquels il faut agir urgemment pour que l’emploi des personnes en situation de handicap soit un réflexe ?

Karine Gros : Le facteur essentiel sur lequel nous nous devons d’agir urgemment est la formation et la définition de ce qu’est une formation. Beaucoup d’organismes ont tendance à appeler toute action « formation ». Or, il ne s’agit pas de formation mais seulement d’information ou de sensibilisation.

Sensibiliser, c’est rendre sensible à une question, à une situation, c’est faire appel à la sensibilité et agir sur les opinions. Donc être sensibilisé à la société inclusive, à l’accompagnement, au handicap, c’est être amené à questionner ses opinions.

Informer, c’est donner, diffuser des informations sur des faits, des procédures… c’est donc recevoir ces données, en mesurer leur fiabilité, leurs pertinences, leur utilité et les mobiliser.

Former, c’est faire acquérir des connaissances, des compétences, rendre capable de, c’est engager celui qui apprend dans un processus d’acquisition et d’évolution de ses conceptions et représentations, c’est inscrire son action dans le temps.

Une information permet de mieux se situer dans son environnement. Une formation permet d’agir sur son environnement. Ces distinctions sont fondamentales pour construire les conditions favorables à un meilleur emploi des PSH.

Avec la mise en œuvre d’un référent handicap dans chaque entreprise de 250 salariés et plus, votre action est-elle devenue plus déterminante que jamais ?

Karine Gros : Oui, notre formation DU Référent handicap, innovante en 2015, est désormais déterminante car elle répond aux besoins de professionnalisation dont ont désormais conscience les entreprises et les organismes privés. Les organisations, quels que soient leur taille et leur statut, ont besoin d’embaucher des référents handicap, par le biais de recrutements externes ou internes.

Parallèlement, elles ont besoin de professionnaliser les référents handicap en poste. Aux problématiques de recrutement s’ajoutent des problématiques de professionnalisation des référents handicap qui expriment le besoin et la nécessité d’être mieux outillés afin d’acquérir des compétences et savoir-faire, et d’être opérationnels. Dans une entreprise, un organisme public, le référent handicap est l’acteur principal pour impulser, définir et déployer une politique handicap. Il joue un rôle majeur pour l’insertion des travailleurs et l’accueil des publics. Selon ses missions et son lieu d’exercice professionnel, il favorise l’insertion et le maintien en activité des travailleurs (salariés, agents publics, apprentis), l’accueil et la formation des étudiants, leur orientation et leur insertion professionnelle, ainsi que l’accueil d’une clientèle handicapée. De ce fait, il contribue ainsi à l’évolution des mentalités et aux mutations des pratiques professionnelles.

Quels sont les profils des étudiants qui bénéficient de votre chaire ?

Karine Gros : Notre formation attire des publics variés : certains sont référents handicap dans leur entreprise ou organisme public à temps complet, d’autres consacrent 10 à 20% de leur temps de travail. Ce sont des référents handicap, chargés d’insertion, médecins, infirmiers, assistants sociaux, DRH, enseignants, directeurs des écoles, ergonomes, personnels de Cap Emploi, MDPH, Ministères, PME, grands groupes, membres d’associations, retraités…

Selon les promotions, 30 à 60% des étudiants sont en situation de handicap, tout handicap, y compris maladies invalidantes (maladies chroniques, diabète, cancer etc.). Nous nous attachons donc à répondre aux besoins des étudiants en situation de handicap tout au long de la formation et des examens. L’accessibilité étant une préoccupation importante de l’équipe pédagogique.

Quels sont leurs débouchés ?

Karine Gros : Nos lauréats deviennent Référents handicap, Correspondants handicap, Chargés d’insertion handicap, Chargés de mission handicap. Ils peuvent être employés dans tous types de secteurs (privé, public/parapublic, associatif – et en indépendants) et occupent des postes visant les niveaux de responsabilité importante : rôle de pilotage, de conception de politique insertion-handicap et de conduite du changement; rôle de conseil, d’expertise et d’aide à la décision ;rôle d’accompagnement des PSH dans le champ de l’insertion.

Dans le secteur privé, les employeurs sont les PME, les PMI, les ETI et les grandes entreprises. Dans le secteur public ou parapublic, les employeurs sont des établissements scolaires et universitaires et des organismes institutionnels dans le champ de l’insertion : services de l’État, fonction publique hospitalière, fonction publique territoriale (région, département, métropole ou communauté de communes).

Les résultats obtenus en termes d’insertion professionnelle globale (100% des lauréats sont en activité six mois après l’obtention du diplôme) et d’atteinte des activités visées par la formation (plus de 94 % six mois après) sont positifs, et révèlent que l’obtention du diplôme constitue un vecteur positif en matière d’insertion professionnelle.

Quelles sont les structures privées ou professionnelles qui font appel à vos services ?

Karine Gros : Des entreprises ou organismes publics nous sollicitent pour que nous assurions des formations à la carte (un ou quelques jours). D’autres, comme l’entreprise Thales, le ministère de la Justice, les ministères sociaux et le ministère des armées ont signé une convention triennale pour que nous professionnalisions tous leurs référents handicap dans le cadre du DU Référent handicap.

Le DU leur assure la certitude de disposer d’un référent handicap ayant les connaissances, les savoirs et les savoir-être pour maîtriser sur le terrain des pratiques lui permettant d’assurer son rôle, de répondre aux attentes de l’entreprise ou de l’organisation et de ses salariés/agents publics afin d’exercer son métier et les capacités et compétences pour mener des actions efficaces en se positionnant avec le bon niveau d’intervention comme l’interlocuteur crédible des managers et directeurs fonctionnels et opérationnels, des partenaires internes et externes, des organisations syndicales, et d’intégrer la politique handicap comme faisant partie de la politique RH.

Karine Gros, quel serait votre message à destination des acteurs politiques ?

Karine Gros : Mon message serait le suivant : nous devons travailler ensemble. Les politiques, grâce à une collaboration étroite et sur le long terme avec les entreprises et les enseignants-chercheurs, œuvreraient plus efficacement. Il est important que les enseignants-chercheurs, en particulier ceux qui sont à l’écoute de la société et qui développent des recherches opérationnelles et des formations professionnalisantes sur l’emploi et l’accompagnement des personnes en situation de handicap, puissent s’investir à leur côté pour contribuer à une meilleure insertion professionnelle des personnes.

Les acteurs politiques peuvent nous rejoindre au sein de la Chaire Handicap, Emploi et Santé au travail qui rassemble des chercheurs, des entreprises, des acteurs de l’emploi, des experts du handicap, des personnes en situation de handicap. Et nous pouvons aussi les rejoindre car nous pouvons être porteurs de politique, de questionnements, de réponses aux problèmes de société, d’éclairages majeurs pour mieux comprendre les problèmes de société et y répondre, notamment dans le champ de l’emploi des PSH.

Biographie de Karine Gros

Karine Gros, Maître de Conférences Habilitée à Diriger des Recherches, est Titulaire de la Chaire Handicap, Emploi et Santé au travail à l’UPEC. Elle développe des projets de recherche, de formation et de publication pour l’insertion professionnelle et le maintien en emploi des personnes en situation de handicap. Personne qualifiée au CNCPH et à la CIPH de la ville de Créteil, elle a été nommée, par le Grand Chancelier, au grade de Chevalier dans l’Ordre national de la Légion d’honneur.

*PSH : Personnes en situation de handicap

En photo : Karine Gros, Maître de Conférences Habilitée à Diriger des Recherches, et Titulaire de la Chaire Handicap, Emploi et Santé au travail à l’UPEC (Université Paris-Est Créteil).

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