Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Le non-dit dans la relation d’aidant : L’analyse de Catherine Sanches

Le non-dit dans la relation d'aidant : L'analyse de Catherine Sanchès
Écouter cet article

Le non-dit et ses conséquences analysés par Catherine Sanches : Ne rien dire pour ne pas souffrir ou faire souffrir… Mais souffrir du non-dit.

Par Catherine Sanches Rodrigues. « Je ne l’ai pas dit, c’est tout… ». Il ne s’agit pas de mentir puisqu’on ne cherche pas à masquer la vérité. Il ne s’agit pas d’un secret puisqu’on n’a pas caché volontairement l’information. Il n’y a donc pas de mensonge ou de dissimulation, il y a juste une absence de parole. C’est le principe du « non-dit », on n’en parle pas. Cette histoire est vieille comme le monde et bien des familles voient leurs relations perturbées par cette impossibilité. Plus tard, comme le soulignent les travaux de Serge Tisseron (1), un non-dit pour une génération peut devenir un secret à la suivante, et lester de plomb bien des existences.

Régulièrement, je rencontre des aidants empêtrés avec la question du non-dit notamment à l’occasion du diagnostic de maladie grave. Une véritable révolution culturelle a eu lieu ces dernières années dans le milieu hospitalier permettant un accompagnement de l’annonce des diagnostics. Cependant, il existe encore des « trous dans la raquette ». Ainsi, Maryse* ne sait plus comment faire. Elle est très investie dans l’accompagnement de sa sœur Annie mais les tensions s’accentuent. Tout est devenu trop fatiguant. Nous évoquons des passages de professionnels au domicile. Solliciter un cabinet infirmier, un service d’aide à domicile serait une manière de pouvoir être relayée : « Ah oui, mais elle n’acceptera jamais des soins. Pour elle, pas besoin, elle n’est pas malade. Moi, je suis sa sœur, alors c’est normal que je l’aide. »

Certaines pathologies comme les maladies neurodégénératives peuvent entrainer une anosognosie. Ce trouble neurologique empêche la personne malade de reconnaître la maladie et ses symptômes. Est-ce qu’il ne faudrait pas le prendre en compte dans la prise en charge ?  Mais, au fil de l’échange, Maryse éclaire ses difficultés autrement : « Bien sûr, que je suis au courant qu’elle ne va pas guérir et que ça va empirer. Mais sa maladie, elle ne la sait pas, et ce n’est pas à moi de lui dire. Je ne suis pas toubib ! ». Et derrière la parole du médecin qui a manqué ou qui n’a pas été comprise, l’incompréhension s’est installée. Comment sa sœur a-t-elle pu comprendre les perturbations de son quotidien ? Pourquoi rester tout le temps auprès d’elle si elle ne court aucun danger ?

Prendre conscience des difficultés et accepter de demander de l’aide

En demandant de l’aide, Maryse s’est remise à réfléchir à la situation. Avec du soutien, elle a redirigé son courage en ne gardant pas tout pour elle. Toutes les deux ont rencontré un médecin qui a pu parler de sa maladie à celle qui était malade, et ainsi permettre à l’aidante d’en parler. Elle a sollicité des ressources pour renforcer l’accompagnement. Elle s’est sentie légitime pour demander de l’aide et cheminer différemment.

Quand on ne veut pas faire souffrir l’autre, il arrive qu’on prenne des chemins bien tortueux. Je me souviens de ce fils qui s’était résolu à demander à une maison de retraite de recevoir son père. Il lui a dit : « Tu verras, tu seras bien reçu. » C’était vrai… Mais il n’en a pas dit plus. Quelques jours plus tard, ce monsieur ne voulait toujours pas qu’on touche à sa valise : « Je ne suis pas là pour rester », disait-il.

Après avoir longuement échangé avec le fils, l’équipe a pu le rassurer sur le fait que ce n’était pas honteux, que c’était normal d’être triste… et le convaincre qu’il valait mieux dire ce qu’il en était des projets. C’était une nécessité pour donner une chance à ce vieux monsieur d’investir ce nouveau lieu de vie. Du reste, la législation l’a bien compris et la recherche d’un consentement est aujourd’hui une obligation légale. Comme le choix est souvent contraint en raison d’une perte d’autonomie, on cherchera, dans la discussion, au moins une acceptation à défaut d’une pleine adhésion au projet.

Surmonter le non-dit peut aussi amener les confidences et rapprocher

Parfois, dans les « affaires de famille », je vois des petits-enfants jouer un rôle déterminant pour aider à dire les choses qui concernent leur grand-parent. Et aussi, ils reçoivent de la part de leurs aïeux des mots qui n’avaient jamais été confiés auparavant. J’ai ainsi une histoire personnelle qui me relie à ma grand-mère d’une manière étonnante. Jeune adulte, j’ai eu la chance de pouvoir lui présenter celui dont j’étais amoureuse. À l’occasion d’un moment d’intimité, j’ai confié quelques tourments. J’étais sereine dans le choix de mon compagnon, mais je redoutais d’avoir des enfants. Moi, la petite-fille de son unique fille parmi sept garçons, j’avais tout particulièrement peur d’avoir des jumeaux et je lui demandais comment elle comprenait cela.

Ma grand-mère m’a parlée doucement de deux filles : « Après mon premier fils, et avant la naissance de ta maman, j’ai perdu deux enfants, belles déjà, mais qui n’ont pas vu la lumière du jour. » Personne de son entourage n’avait posé de question, elle n’avait rien dit. Des enfants mort-nés, au milieu du 20e siècle, c’était une souffrance encore fréquente. Après cet échange, je n’ai plus jamais revu ces petits fantômes dans mes nuits. Ils ont pu naître dans le pays des souvenirs, et m’ont laissé vivre d’autres réalités.

« Quand l’être humain vit une situation, il doit avoir des paroles qui humanisent son expérience. Sinon, cette expérience reste insoluble, qu’elle soit pénible ou joyeuse. » Serge Tisseron (1)

Illustrations Apolline Sanches Rodrigues

Ces articles pourront vous intéresser :

Facebook
Twitter
LinkedIn
E-mail

Commentaires