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Protection juridique et handicap : Quand et comment la mettre en œuvre ?

Protection juridique et handicap : Quand et comment la mettre en œuvre ?
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Gros plan : Protection juridique : quand, pourquoi et comment la mettre en œuvre ?

La protection juridique d’une personne en situation de handicap : quand, pourquoi et comment la mettre en œuvre ? Quelles sont les différentes mesures et comment en assurer la pérennité sur le long terme ?

Par Frédéric Hild, Conseil en gestion de patrimoine spécialisé dans le conseil aux personnes en situation de handicap et à leur famille.

La vulnérabilité d’une personne en situation de handicap nécessite souvent l’intervention d’une ou plusieurs personnes chargées d’assurer sa protection et celle de ces biens. Des questions fondamentales sont alors soulevées : Existe-t-il des alternatives aux mesures judiciaires de protection ? Quels sont les pouvoirs et les obligations du protecteur ? Comment organiser le passage de relais pour le jour où les parents ne seront plus en mesure d’assurer eux-mêmes la protection de leur enfant ? Le sujet est très vaste et les situations personnelles peuvent être bien différentes. Sans pouvoir détailler l’ensemble des mesures de protection juridique à prendre en cas de handicap, cet article a pour vocation de guider les familles dans leur réflexion à partir de de notre expérience auprès d’elles depuis près de vingt ans.

Protection juridique et handicap : Quand mettre en œuvre une mesure ?

Lors de son 18e anniversaire, une personne acquiert la capacité juridique à agir seule. Elle ne peut donc plus être assistée ou représentée par une autre personne comme cela était le cas lorsqu’elle était mineure. L’administration légale par les parents s’arrête automatiquement et le majeur doit officiellement pouvoir seul à ses intérêts : ouvrir seul son compte bancaire, réaliser et signer seul les différentes formalités administratives. C’est donc lors de la 17e année qu’il faut amorcer la réflexion voire la procédure pour mettre en œuvre une mesure de protection qui assurera une continuité avec l’administration légale et maintiendra le rôle des parents auprès de l’enfant en situation de handicap si cela est nécessaire.

En pratique, rares sont les cas où la mesure prend effet dès sa majorité. Avec la bienveillance des principaux interlocuteurs, les parents peuvent continuer à agir avec ou au nom de leur enfant devenu majeur pour différentes formalités. Cette situation est prévue par la loi : il s’agit du principe de subsidiarité qui prévoit la possibilité d’une assistance familiale moins formelle qu’une mesure de protection.

Pourquoi mettre en œuvre une mesure de protection ?

Ce principe de subsidiarité peut trouver ses limites dans certaines situations. Un organisme tel que la banque, la CAF ou le foyer peut par exemple exiger d’avoir à faire directement et uniquement à l’enfant et non à ses parents pour différentes formalités. De même, un notaire peut se retrouver dans l’impossibilité d’avancer sur un projet de donation s’il estime que l’enfant donataire n’a pas la capacité à signer valablement l’acte notarié. Enfin, certains évènements particuliers comme la fugue de l’enfant peuvent créer des difficultés importantes car les forces de l’ordre peuvent estimer qu’il est libre d’aller et venir comme bon lui semble. Dans ces contextes, il peut devenir nécessaire d’officialiser à nouveau le rôle des parents par la mise en place d’une mesure de protection.

Il en sera de même si la vulnérabilité du majeur est de nature à permettre ou favoriser des actes qui pourraient lui porter préjudice. Même si l’abus de faiblesse pourra toujours être recherché, la présence d’une mesure de protection permettra de façon beaucoup plus automatique de les faire annuler.

Comment mettre en œuvre une mesure de protection juridique en cas de handicap ?

La première formalité à accomplir est de faire établir un certificat médical par un médecin agréé par le tribunal d’instance (liste établie par le tribunal). Il faut ensuite compléter le formulaire de requête dédié à ce type de demande (cerfa 15891*2) dans lequel il est possible de préciser la mesure de protection souhaitée, puis envoyer l’ensemble au tribunal d’instance du lieu d’habitation. Le juge envoie alors une convocation pour en entretien en présence de la personne vulnérable si son état de santé le permet. Un jugement sera émis après cette audition mentionnant la mesure choisie, le(s) protecteur(s) désigné(s), leurs obligations et toute précision que souhaitera apporter le juge. Un recours peut être engagé en cas de désaccord avec les termes du jugement.

La protection concernera la personne elle-même ainsi que ses biens ou seulement l’une de ces deux dimensions si cela s’avère adapté. Le jugement devra être transmis à tous interlocuteurs de la personne protégée. Un inventaire des biens sera réalisé.

Lorsqu’une mesure de protection devient nécessaire, il est important de rappeler que la famille est toujours prioritaire pour l’exercer. Ainsi, même si un tiers peut être amené à intervenir, en l’occurrence le juge du contentieux de la protection (nouvelle appellation du juge des tutelles), les parents ou frères et sœurs ne perdent pas la maîtrise des évènements qui concernent la personne vulnérable.  Plusieurs personnes peuvent être désignées pour assurer la protection (les deux parents par exemple). Bien-sûr, en l’absence de solution pérenne au sein de la famille, un MJPM (Mandataire Judiciaire à la Protection des Majeurs) ou une association, tutélaire pourra être désigné.

Par ailleurs, la mesure est toujours mise en place pour une durée déterminée afin d’inviter l’ensemble des acteurs de la protection à réfléchir régulièrement au mode de protection et à son adaptation à la situation.

Quelles sont les mesures de protection possibles ?

Il existe tout d’abord deux mesures ponctuelles.

La sauvegarde de justice est une mesure d’urgence. Elle est en général utilisée dans l’attente de la mise en place d’une autre mesure de protection si la situation l’exige.

L’habilitation familiale spéciale est quant à elle destinée à assurer l’assistance ou la représentation d’une personne en situation de handicap uniquement pour un acte donné (achat immobilier ou donation par exemple). Elle s’éteint dès que l’acte est réalisé.

Si une protection permanente doit être mise en œuvre, celle-ci doit toujours respecter le principe de proportionnalité donné par la loi qui précise que l’autonomie de la personne protégée doit être le plus possible préservée. Ainsi, si une assistance est suffisante (faire « avec » la personne protégée), une représentation (faire « à la place » de la personne protégée) ne doit pas être envisagée.

La curatelle simple, la curatelle renforcée et l’habilitation familiale d’assistance sont des mesures d’assistance.

En présence d’une curatelle simple, le majeur protégé gère seul ses revenus et ses dépenses.

Si la curatelle est renforcée, c’est le curateur ou la curatrice qui gère les revenus et les dépenses de la personne protégée. Il faut donc rendre annuellement des comptes au tribunal.

Dans ces deux types de curatelle, l’assistance du curateur ou de la curatrice n’intervient que pour les actes de dispositions relatifs aux biens de la personne protégée (achat immobilier, placement financier, …). L’autorisation du juge n’est jamais requise, sauf essentiellement pour l’ouverture d’un compte courant dans une banque qui n’est pas la banque habituelle du majeur protégé, pour la clôture d’un compte ou d’un livret ouvert avant la mise en place de la mesure de protection ou pour disposer des droits au logement de la personne protégée (vente de la résidence principale par exemple). Les actes engendrant un conflit d’intérêts entre la personne protégée et ses protecteurs nécessitent la désignation d’un curateur ad hoc par le juge, qui intervient uniquement pour l’acte considéré.

L’habilitation familiale d’assistance a été créée par la loi du 23 mars 2019. Comme son nom l’indique, elle est réservée au cas où le protecteur est une personne de la famille. Son esprit est le même que celui de la curatelle mais les formalités sont allégées : Le compte rendu de gestion annuel n’est pas requis même si ce sont les personnes habilitées qui gère les revenus et les dépenses de la personne protégée. Les actes nécessitant l’intervention du juge sont en général limités à ceux relatifs au logement ou qui comportent un conflit d’intérêts. La mesure pouvant être « personnalisée » par le juge, il faut toujours se référer au jugement pour vérifier les obligations des protecteurs.

La tutelle et l’habilitation familiale générale sont des mesures de représentation.

En présence d’une tutelle, la personne protégée conserve une capacité à intervenir pour sa propre protection et sa santé. Il utilise personnellement son droit de vote. Mais sa participation n’est plus requise pour la gestion de ses biens. Le tuteur ou la tutrice gère seul les revenus et les dépenses. Il faut donc rendre annuellement des comptes au tribunal. Les actes de disposition nécessitent l’autorisation systématique du juge des tutelles.

L’habilitation familiale, réservée là aussi aux membres de la famille, sera beaucoup moins contraignante. Aucun compte n’est à rendre annuellement au juge. Son autorisation préalable n’est pas requise pour les actes de disposition, sauf les actes à titre gratuit (donation, testament). L’intervention du juge demeure nécessaire en cas de conflit d’intérêts afin de désigner ponctuellement un mandataire ah hoc. L’absence de contrainte nécessite un consensus familial autour de la mesure de protection et le juge cherchera à l’évaluer en écrivant aux proches de la personne protégée (frères et sœurs par exemple) ou en les recevant en audition. Le patrimoine de la personne protégée ne devra pas être trop important ou trop complexe (critères laissés à l’appréciation du juge). Là encore, il sera prudent de se référer au jugement pour vérifier les obligations des protecteurs.

Comment anticiper la protection future ?

Au-delà de la mise en œuvre et de l’exercice de la protection actuelle, certains parents souhaitent anticiper et organiser la protection future de la personne vulnérable, pour le jour où ils ne seront plus en capacité de l’exercer eux-mêmes.

Sans vouloir trop réduire l’étude des situations, il est toutefois possible d’identifier deux voies particulières :

  • Les parents, curateurs, tuteurs ou assumant la charge matérielle et affective de leur enfant en situation de handicap, peuvent désigner, par courrier au juge doublé d’un testament, les personnes qui assureront la curatelle ou la tutelle lorsqu’ils ne seront plus en mesure d’assurer eux-mêmes la protection de leur enfant. Ce choix s’imposera au juge (article 448 du code civil).
  • Les parents, curateurs, tuteurs, personnes habilitées ou assumant la charge matérielle et affective de leur enfant en situation de handicap ou exerçant une protection sans recours à une mesure formalisée, peuvent rédiger un mandat de protection future pour autrui dans lequel ils désignent le(s) mandataire(s) chargé(s) de protéger leur enfant.

Ce mandat aura la particularité de pouvoir personnaliser les missions futures des mandataires en cohérence avec les objectifs relatifs au parcours de vie de la personne vulnérable, à la nature de son patrimoine et de ses ressources et à la confiance dont bénéficient les mandataires. S’agissant d’une mesure conventionnelle et non judiciaire, les mandataires rendront compte de leurs missions au notaire ayant mis en place le mandat (acte notarié) et non au tribunal.

Le mandat prendra effet le jour où les parents auront perdu leur propre capacité (certificat médical requis) ou au jour de leur décès. Au nom du principe de subsidiarité, le mandat a vocation à remplacer une mesure judiciaire de protection si elle préexiste, le juge devant alors la suspendre afin que le mandat prenne pleinement son effet.

Quelle est la « meilleure » protection juridique en cas de handicap ?

La meilleure protection est avant tout celle qui respecte le plus possible l’autonomie de la personne vulnérable, aussi réduite ou importante soit-elle, voire qui permet d’accompagner une augmentation ou un recouvrement de son autonomie.

Elle est ensuite celle qui contraint le moins possible le protecteur. Selon ses propres compétences, il peut être lui-même assisté par des professionnels capables d’éclairer les décisions qu’il doit prendre pour protéger la personne vulnérable et ses biens.

La bonne mesure de protection juridique est enfin celle qui évolue selon le parcours de vie de la personne en situation de handicap. Nous l’avons vu, plusieurs solutions sont disponibles. Il s’agit donc de réfléchir régulièrement à la protection pertinente pour aujourd’hui, repérer les difficultés et s’y adapter, rester en veille sur les évolutions juridiques, identifier les protecteurs potentiels et assurer la protection pour demain. « En ce qui concerne l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir mais de le rendre possible » disait Saint-Exupéry. Il faut sans cesse remettre le travail sur l’ouvrage mais l’on peut espérer que ce travail de vigilance et d’anticipation permette d’assurer le présent et de préparer l’avenir dans les meilleures conditions possibles.

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