Cheops : « Dans le cadre du rapprochement entre Pôle emploi et le réseau Cap Emploi, un lieu unique d’accueil va se déployer sous forme de sites pilotes dès janvier 2020 »
Le dernier volet en date de la loi travail Pénicaud prévoit une réforme majeure de l’offre de services en matière d’insertion professionnelle et de maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap. Au cœur des changements annoncés : le réseau Cap emploi, qui renforce sa collaboration avec le réseau Pôle emploi. Nous avons échangé à ce sujet avec Marlène Cappelle, déléguée générale de Cheops, association qui représente les structures Cap emploi.
– Cheops, qu’est-ce que c’est ?
Cheops est une association qui regroupe les associations gestionnaires des Cap emploi. Elle assure une fonction de représentation des Cap emploi auprès des institutions, des pouvoirs publics et des partenaires. Elle couvre également un axe de professionnalisation sur les équipes de Cap emploi à travers son centre de formation Handiformation et sa démarche de qualité certification. En outre, Cheops joue un rôle dans le développement et le déploiement des politiques d’emploi en faveur des personnes en situation de handicap.
– Que va changer le volet « offre de services » de la loi Pénicaud pour le réseau Cap emploi ?
Il faut distinguer ce qui est issu des premiers volets de la loi La liberté de choisir son avenir professionnel, déjà actés dans la loi, et ce qui est issu du deuxième temps de concertation, qui a débuté à l’été 2018.
Les premiers volets de la loi Pénicaud concernaient la réforme de l’Obligation d’Emploi des Travailleurs Handicapés (OETH) et la formation professionnelle. Réformer l’obligation d’emploi va nécessiter un accompagnement des employeurs sur cette évolution législative. De même pour l’aspect formation, les Cap emploi vont également s’adapter, dans la mesure où ils accompagnent les salariés et demandeurs d’emploi dans leur projet professionnel, qui peut passer par le suivi d’une formation.
Le deuxième temps de concertation a soulevé un point très important pour l’emploi des personnes en situation de handicap : la rénovation de l’offre de services à destination des personnes handicapées et des employeurs. À travers ce second axe « travail » qui a démarré en été 2018, un axe très fort est venu s’imbriquer dans la réflexion : le rapprochement des offres de services entre Pôle emploi et Cap emploi. Cela nous a fait réfléchir à une nouvelle façon d’accompagner les personnes en situation de handicap et les employeurs par une meilleure coordination des deux acteurs du service public de l’emploi. Cette volonté d’amélioration de la coordination n’est pas inscrite à la base dans la loi Pénicaud, et elle est donc arrivée à l’issue de cette seconde phase de concertation. C’est un changement très important qui bouleverse un peu notre manière de fonctionner, mais cela fait longtemps que l’on travaille dessus, et nous avons abouti à la proposition d’un modèle qui, comme il est issu du terrain, est perçu très positivement par les équipes.
– Concrètement, comment envisagez-vous l’avenir par rapport à ces changements ?
Depuis le 1er janvier 2018, les Cap emploi ont intégré l’accompagnement au maintien dans l’emploi. Cela signifie qu’ils ont une double compétence, sur deux niveaux : la capacité à intervenir à la fois auprès des personnes handicapées et des employeurs ; et la prise en compte simultanée de l’aspect insertion-recrutement et de l’aspect maintien dans l’emploi.
En effet, nous avons beaucoup travaillé avec Pôle emploi depuis l’été 2018 pour l’amélioration de l’accompagnement des personnes et des employeurs notamment dans les besoins de recrutements. Et suite à cela nous avons abouti à la proposition commune d’un lieu unique d’accueil qui va se déployer sous forme de sites pilotes dès janvier 2020.
Nous menons également un travail important sur la partie maintien dans l’emploi, en lien notamment avec la réforme de la santé au travail. Nous allons donc connaître une évolution avec une interaction plus forte dans le partenariat, mais aussi, ce que l’on souhaite surtout respecter, c’est la capacité des Cap emploi à intervenir sur la totalité de la carrière de la personne en situation de handicap. Et ainsi de s’assurer de la sécurisation des parcours professionnels, puisque la loi travail d’août 2016 avait cet objectif, et c’est la raison pour laquelle nous avions intégré le maintien dans l’emploi aux compétences du réseau Cap emploi.
Pour résumer, nous suivons aujourd’hui deux grands axes de travail :
– un axe insertion-recrutement avec pôle emploi, qui passe par la mise en place de sites pilotes pour tester la modalité du lieu unique d’accueil ;
– un axe basé sur un travail en cours dans le cadre de la réforme de la santé au travail, pour une meilleure coordination autour de la prise en charge des salariés et des employeurs, notamment sur la question du maintien dans l’emploi.
– Qu’est-ce qui va changer en termes d’organisation, notamment sur le plan de la gestion du personnel ?
L’objectif des sites pilotes est justement de cadrer et d’identifier les moyens dont on a besoin pour pouvoir mettre en œuvre ce lieux unique d’accueil. Mais il n’est pas du tout question aujourd’hui de réduction du personnel au niveau du réseau Cap emploi. Nous sommes vigilants sur ce point car c’est un gage de la qualité d’accompagnement des personnes en situation de handicap. L’idée n’est donc pas de diminuer les moyens mais d’optimiser au contraire le partenariat pour mieux accompagner les personnes handicapées. Chaque entité reste autonome dans sa gestion et sa gouvernance.
D’ailleurs il est important de savoir que nous avons sollicité des personnes en situation de handicap pour recueillir leur point de vue sur l’accompagnement qui était mené par Pôle emploi et Cap emploi. Un Lab – temps d’échange et de concertation – a été organisé en décembre 2018 par Pôle emploi. Celui-ci a réuni une cinquantaine de personnes parmi lesquelles des conseillers des directions de Cap emploi et Pôle emploi, des personnes en situation de handicap et des employeurs accompagnés par les deux réseaux. C’est ainsi que l’émergence de ce lieu unique d’accueil, qui était venue d’une hypothèse menée lors de nos travaux, a finalement été validée par les personnes présentes. Elles ont expliqué que ce qui leur importait le plus était qu’on leur facilite l’accès aux services : qu’elles ne souhaitaient pas voir disparaître l’acteur spécialisé car cette prise en compte est importante pour elles, mais que pour autant il fallait plus de fluidité entre Cap emploi et Pôle emploi.
Les participants du Lab ont également estimé qu’il fallait casser un peu l’ancien modèle d’accompagnement construit en silos. C’est-à-dire que Pôle emploi avait ses demandeurs d’emploi, Cap emploi les siens, et qu’il y avait très peu d’interactions entre les deux. L’objectif de demain, c’est de pouvoir favoriser les parcours croisés, en amenant l’expertise du Cap emploi sur des moments-clés du parcours lorsque la personne est accompagnée par Pôle emploi. Cela peut être le cas par exemple lors de l’intégration à l’emploi : il faudra s’assurer de la compatibilité entre la situation handicap-santé de la personne et le poste de travail, et trouver des solutions pour compenser les difficultés ou incompatibilités – c’est là que l’on va faire appel aux compétences du spécialiste qu’est Cap emploi sur ce sujet.
Inversement, on peut avoir aussi des personnes accompagnées par le réseau Cap emploi, qui à un moment donné ont besoin de l’expertise d’un conseiller Pôle emploi, par exemple sur la question des financements de formation, sur laquelle il a une compétence avérée.
Pour revenir à la question de la gestion du personnel et de ce que va nécessiter ce nouveau mode de fonctionnement en termes de financement et d’organisation, c’est vraiment l’objet de la mise en place des sites pilotes, qui devrait démarrer en janvier 2020. Ces sites pilotes seront à peu près à la dimension d’un site par région et vont vraiment permettre de tester ce modèle de lieu unique d’accueil, pour pouvoir le généraliser dès 2021.
Les Cap emploi sont très positifs par rapport à cette expérience car c’est une remontée qui vient du terrain, à travers des groupes de travail composés avec Pôle emploi, entre octobre 2018 et février 2019, et qui comprenaient aussi bien des conseillers que des membres des directions.
– Quel impact ces changements pourraient-ils avoir sur les usagers ?
Certaines personnes auront toujours besoin d’un accompagnement spécialisé sur la totalité de leur parcours. Les personnes dont le handicap nécessite cette prise en charge par Cap emploi pourront toujours bénéficier du même accompagnement. L’idée est vraiment de bien identifier au départ – conjointement avec Pôle emploi, Cap emploi et la personne accompagnée – si cette personne a besoin d’un accompagnement spécialisé de Cap emploi ou plutôt d’un accompagnement de Pôle emploi avec une intervention ponctuelle de Cap emploi. Aujourd’hui, nous avons une volumétrie d’accompagnement qui est plutôt en lien avec un financement donné, et nous souhaitons casser ce modèle de façon à favoriser l’accès à l’offre de services pour l’ensemble des personnes en situation de handicap. Cela nous permet aussi de réfléchir à ce que doit être l’offre de services commune demain, et à la meilleure manière de croiser les compétences des deux acteurs pour s’adapter aux spécificités de chaque parcours.
– Selon vous, comment les choses vont-elles se coordonner sur le plan du financement ?
Aujourd’hui, nous avons un financement qui existe à travers l’Agefiph, le Fiphfp, et Pôle emploi pour les Cap emploi. La mise en place des sites pilotes va nous permettre de redéfinir un modèle de financement. Un comité de pilotage permettra de suivre très régulièrement les sites pilotes avec des chefs de projets désignés pour cela, de façon à pouvoir optimiser très vite les premiers retours.
Des travaux sont en cours avec la DGEFP et l’ensemble des parties prenantes pour définir quel sera le modèle de financement et de pilotage du réseau Cap emploi à partir de 2021. Il n’est donc pas encore possible de savoir exactement comment il sera organisé, et il n’y aura pas de changement sur l’année 2020.
– Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Aujourd’hui, nous sommes avec Pôle emploi très engagés dans les travaux et je pense qu’il ne faut vraiment pas négliger le fait que Cap emploi intervient aussi bien sur le maintien dans l’emploi que sur la partie « demandeurs d’emploi ». Nous veillerons à avoir une bonne coordination sur cet aspect accompagnement dans l’emploi avec les salariés, les agents de la fonction publique, et les travailleurs indépendants. L’idée n’est pas d’avoir deux axes dissociés mais bien d’avoir une cohérence d’ensemble, car une personne peut changer de statut au cours de sa carrière professionnelle, devenir demandeur d’emploi ou accéder à l’emploi, et nous devons garder cette capacité de souplesse d’intervention sur la totalité de la carrière, et que l’on puisse toujours avoir cette double intervention pour l’employeur, de manière à ce qu’il ait toujours un interlocuteur bien identifiable.
En photo : Marlène Cappelle, déléguée générale de Cheops.