FFSA : « Le sport adapté n’est pas encore assez connu du grand public »
Rencontre avec Marc Truffaut, président de la Fédération Française de sport adapté (FFSA) et président de la Fédération internationale du sport adapté (INAS).
Pouvez-vous nous présenter la Fédération Française du Sport Adapté ?
Bien souvent, lorsqu’on parle de sport et handicap, on pense au handisport. Effectivement il existe la Fédération Française de handisport qui s’adresse au handicap physique, mais il existe aussi une deuxième fédération qui est la Fédération Française du Sport Adapté, et qui elle s’adresse aux personnes en situation de handicap mental ou psychique.
Aujourd’hui cette fédération représente 64 000 licenciés répartis sur l’ensemble du territoire français dans environ 1500 clubs. Parmi eux, il y a des clubs 100% sport adapté qui n’accueillent que des personnes en situation de handicap, et où les personnes en situation de handicap sont souvent très investies et multisports. Il y a aussi des sections sport adapté, qui en fait, sont des sections de clubs dits valides ou ordinaires. On voit de plus en plus de clubs qui ouvrent ce type de sections, notamment dans un souci de proximité pour proposer leurs activités spécifiques aux personnes en situation de handicap mental ou psychique.
Il y a aussi des pratiquants en situation de handicap mental ou psychique qui sont intégrés dans des clubs ordinaires et qui pratiquent de manière ordinaire, ceux-ci ne sont donc pas identifiés comme étant des pratiquants sport adapté.
Les autres, licenciés sport adapté, ont fait le choix de revendiquer une pratique sport adapté, spécifique, qui leur est propre et qui tient compte de leurs particularités, avec un engagement en termes de pédagogie, d’encadrement, de règlement sportif, et du coup ce sont d’autres disciplines sportives. Par exemple, nous ne proposons pas de l’athlétisme, mais de l’athlétisme sport adapté.
Qu’est-ce qu’on entend exactement par sport adapté ?
C’est une pratique sportive qui s’adresse aux personnes en situation de handicap mental et psychique. Cela peut concerner des personnes trisomiques, autistes, déficientes intellectuelles, ou touchées par une maladie psychique, ce qui ouvre un champ très large.
Attention : on ne classifie pas les personnes en fonction du type de handicap. Il n’y a pas un groupe de pratiquants trisomiques et un autre de pratiquants autistes. Nous avons des pratiquants qui ont des particularités et ils sont classifiés en fonction de ces particularités dans la mesure où on peut avoir, par exemple, une personne autiste qui est très peu autonome et une personne trisomique qui l’est beaucoup, et vice-versa.
C’est pourquoi on ne crée pas les groupes en fonction de la pathologie mais en fonction des besoins de chaque personne en termes d’accompagnement. De quoi a-t-elle besoin ? Faut-il répéter les consignes plusieurs fois ? Faut-il préparer des consignes simples ? Employer une pédagogie particulière ? Ou est-ce que justement il n’y a pas besoin de beaucoup d’adaptations ?
Et concrètement, comment la pratique sportive est-elle adaptée aux sportifs ?
Le maître mot est l’individualisation. Nous devons vraiment considérer chaque sportif comme étant unique, avec ses propres particularités et c’est en fonction de cela qu’on va proposer un projet.
Nous proposons des activités motrices, des séances « sport jeune », du sport de loisirs avec des défis, du sport santé, de la pratique compétitive et de la pratique de haut niveau. C’est donc en fonction du projet et des besoins de chaque personne que nous allons proposer un projet sportif. L’adaptation sera plus ou moins importante en fonction de son degré d’autonomie et de ses compétences.
Quel état des lieux peut-on faire aujourd’hui concernant le sport adapté en France ?
Je pense que le sport adapté est plutôt bien développé avec ses 65 000 licenciés. En comparaison, la Fédération handisport recense 35 000 licences.
Par contre, en termes de communication, les gens ne savent pas encore identifier clairement ce qu’est le sport adapté. Sur ce point nous avons encore beaucoup de chemin à faire. Mais nous réagissons en conséquence et nous sommes en train d’évoluer pour être plus accessibles et plus compréhensibles pour le grand public.
On part du constat qu’il y a sûrement encore des sportifs qui sont en famille et qui ne savent pas à qui s’adresser et où se renseigner sur le sport adapté. Certaines familles ne savent d’ailleurs pas encore que le sport adapté existe, ou autrement dit qu’il existe une offre de pratique sportive adaptée aux personnes en situation de handicap mental ou psychique. Nous avons donc une marge de progression pour nous ouvrir davantage aux familles, bien expliquer ce qu’on leur propose et ce qu’elles peuvent trouver à travers le sport adapté.
Constatez-vous une évolution positive sur les dernières années ?
Oui, on la constate. L’effet de cela, et c’est ce qui fait d’ailleurs que le handisport est plus connu que le sport adapté, c’est l’effet Jeux paralympiques. Après avoir été exclu des Jeux paralympiques en 2000, les sportifs de sport adapté ont réintégré les Jeux en 2012 à Londres. On voit, lorsque l’on observe l’évolution du nombre de licences, qu’il augmente après chaque année de Jeux paralympiques. Cette petite fenêtre médiatique est très importante, même s’il n’y a que quelques épreuves représentées aux Jeux paralympiques. Tous les petits reportages relayés par la presse écrite et audiovisuelle peuvent porter leurs fruits.
Et justement on constate que ce sont des profils de sportifs qui vivent en famille, et non en institution, qui viennent s’inscrire après les Jeux. Souvent, ils ont fait l’essai dans un club ordinaire, cela s’est soldé par un échec et ils ont abandonné. Découvrant ce qu’il est possible de faire en sport adapté, ils nous contactent. Cette médiatisation renvoie une image plutôt positive de notre pratique, elle l’a normalisée et du coup on a des personnes qui franchissent le pas, osent venir vers la Fédération Sport Adapté.
Savez-vous à peu près où se situe la France par rapport aux autres pays ?
Oui, j’ai un point de vue assez global du fait de mes fonctions de président de la Fédération internationale de sport adapté. Je le vois par rapport aux différentes sollicitations que je reçois : le système sportif français, pour les personnes en situation de handicap mental, est considéré comme étant la référence.
Je reçois beaucoup de collègues de pays étrangers qui viennent me demander conseil pour s’inspirer du modèle français.
Qu’a-t-il de si particulier ? Il a ce qu’on appelle la délégation. C’est un système spécifique en France : le sport est une mission de service public et l’État délègue cette mission à des fédérations sportives. Il l’a déléguée pour l’ensemble des sports et il a fait une petite particularité : il a donné deux délégations pour les publics en situation de handicap, la Fédération handisport et la Fédération sport adapté.
Et on voit bien que cette délégation – qui à mon sens ne freine pas du tout l’inclusion et l’intégration, bien au contraire – offre des garanties. Elle permet de garantir que quelqu’un va s’en occuper, le coordonner et l’organiser.
On voit d’ailleurs que tous les pays, notamment Anglo-Saxons, qui avaient fait le choix de ce tout inclusif, sont en train de faire marche arrière et de recréer des choses spécifiques, non pas pour cloisonner, mais parce qu’ils ont identifié qu’il est important d’avoir un référent pour garantir la sécurité des pratiquants et être le coordonnateur de tout cela.
Est-ce que tous les sports sont représentés en sport adapté ?
La Fédération française sport adapté organise environ 3000 manifestations sportives par an, avec 91 disciplines identifiées dans notre calendrier.
Sur ces 91 disciplines, certaines sont complètement réglementées, c’est-à-dire avec un règlement sportif spécifique et surtout un ensemble de compétitions avec délivrance de titres (champion départemental, régional, ou champion de France) : athlétisme, natation, tennis de table, basket, football, ski alpin, cyclisme… Nous avons une équipe de France dans ces disciplines, avec des sportifs qui sont reconnus de haut niveau par le ministère et qui participent à des compétitions internationales (championnats du monde, jeux mondiaux, et pour certains, jeux paralympiques).
Les autres disciplines correspondent davantage à une pratique de loisirs, car pour réglementer il faut un nombre de pratiquants assez important. Par exemple, le surf est une activité accessible en sport adapté, mais actuellement nous n’avons pas de forte demande de pratique en compétition, ceci dit les choses peuvent évoluer avec le temps.
Les règlements des disciplines sport adapté sont-ils très différents de ceux des disciplines « classiques » ?
Les codes associés à chaque discipline restent les mêmes. La réglementation est modifiée de manière spécifique, mais cela ne se voit pas forcément au premier coup d’œil et ne change pas forcément la performance sportive en elle-même. Par exemple, pour un match de foot sport adapté, les adaptations vont parfois apparaître pendant la préparation du match, ou après celui-ci… La différence peut être la présence de l’entraîneur plus importante auprès du joueur, la formation de l’arbitre qui va faire qu’il sera plus pédagogue, notamment s’il prend une sanction ou une autre décision particulière.
Si on prend un autre exemple, en athlétisme, il existe une épreuve du 100 m. Dans le sport ordinaire, c’est l’athlète qui doit régler ses starting-blocks ; le règlement n’autorise pas la présence d’un coach pour le faire. Dans le sport adapté, la présence du coach pour aider l’athlète au réglage est autorisée et souvent nécessaire ; le coach entre dans la chambre d’appel avec le sportif, le guide, lui prépare ses starts et le laisse seul avant le départ. Dès lors la discipline en tant que telle reste la même, tout comme la performance.
De même pour les épreuves de lancer : le règlement sport adapté prévoit une zone de coaching sur le terrain, alors qu’en sport valide le coach n’a pas le droit d’entrer sur le terrain. Les adaptations reposent donc beaucoup sur l’accompagnement, pour mettre les sportifs dans les meilleures conditions possibles.
Pour le saut en longueur, j’ai déjà vu des sportifs en situation de handicap mental qui évoluaient dans le milieu du sport ordinaire, et qui réalisaient de très bonnes performances… mais qui ne savaient pas prendre leurs marques et donc ne pouvaient pas valoriser ces performances. Un sportif en situation de handicap mental ne va pas forcément réagir en entendant « M. X se prépare », d’où la nécessité de la présence d’un coach, qui n’est pas toujours possible dans le milieu valide.
Quelle est la place du sport adapté dans les Jeux paralympiques ?
Pour les Jeux paralympiques, le nombre de participants total est limité à 4200 sportifs. Parmi eux, on compte seulement une centaine de sportifs en sport adapté.
Après, il faudrait analyser combien de types de handicaps sont représentés sur les 3100 sportifs qui restent.
Au niveau du handicap mental, il n’y a actuellement qu’une seule catégorie en sport adapté (une classe) : les déficients intellectuels. Alors qu’au niveau du handicap physique, les sportifs sont répartis dans de nombreuses classes selon le type de handicap qui les concerne.
Donc, ramené au nombre de classes existantes, et aux quelques épreuves qui sont ouvertes au sport adapté (car il y en a peu aussi), le parallèle serait plus juste.
Autre point de comparaison, lors des championnats de France sport adapté organisés chaque année, nous recensons 6000 participants – ce qui signifie qu’ils se sont qualifiés auparavant en faisant des championnats départementaux et régionaux, et donc que les compétiteurs potentiels sont encore plus nombreux.
Quels sont les sports représentés en sport adapté lors des Jeux paralympiques ?
Il y a l’athlétisme avec quatre épreuves, la natation avec cinq épreuves, et le tennis de table avec une épreuve. Il n’y a pas de sports collectifs. Jusqu’en 2000, il y avait du basket, et suite à la tricherie d’une équipe espagnole dont les joueurs n’étaient pas tous déficients intellectuels, le sport adapté a été supprimé des Jeux. Le sport adapté a été réintégré en 2012, mais pas le basket. Sur les prochains Jeux d’hiver, nous verrons par ailleurs le ski sport adapté faire son apparition.
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Il ne faut pas hésiter à nous rejoindre dans les clubs sport adapté, que vous soyez ou non en situation de handicap. Tous les clubs sport adapté sont ouverts à tous, même si hélas nous avons encore très peu de valides qui viennent. Nous proposons une licence « autre pratiquant », qui ne permet pas de faire de compétition mais qui permet de venir pratiquer au sein de n’importe quel club sport adapté. À partir de là, c’est à chacun de choisir son lieu de pratique, en fonction de l’encadrement qu’il souhaite et de la proximité qu’il recherche.
Pour plus d’infos sur la FFSA : www.ffsa.asso.fr
En photo : Marc Truffaut, président de la Fédération Française de sport adapté (FFSA) et président de la Fédération internationale du sport adapté (INAS).
Gros plan : La Ligue Auvergne-Rhône-Alpes Sport Adapté
Trois questions à Carine Pere, directrice de la Ligue Auvergne-Rhône-Alpes Sport Adapté et Emmeline Comte, chargé de communication et des partenariats au sein de cette même ligue.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la ligue Auvergne Rhône-Alpes Sport Adapté ?
C’est un organe déconcentré de la Fédération Française du Sport Adapté. Elle a vocation à développer les activités physiques et sportives pour les personnes en situation de handicap mental et psychique au niveau régional. Nous comptons 9200 licenciés, 120 clubs, et 8 salariés travaillent au sein de la Ligue.Quels sont vos principaux axes de travail aujourd’hui ?
La Ligue Auvergne-Rhône-Alpes Sport Adapté travaille sur le développement de quatre projets principaux :– Le calendrier sportif régional qui est notre cœur de métier. C’est l’organisation de toutes les compétitions sur 15 disciplines puisqu’on est multisport. Ces compétitions locales permettent d’accéder notamment aux championnats de France.
– Nous menons un travail sur la thématique sport santé, avec tout un projet en lien avec les établissements du secteur médico-social pour amener la pratique sportive au sein de ces établissements. Nous développons aussi un projet sport santé individualisé qui permet aux personnes qui le souhaitent de reprendre une activité physique et sportive et d’aller vers des associations sportives pour pratiquer régulièrement.
– Nous travaillons sur un projet de formation via lequel nous formons les éducateurs qui souhaitent encadrer la pratique des sportifs en situation de handicap mental.
– Nous menons aussi un projet pour le développement du sport de haut niveau avec un suivi des sportifs et tout un volet de détection pour les amener vers cette pratique.
Quelle est votre dernière actualité en date ?
La Ligue Auvergne-Rhône-Alpes Sport Adapté a composé tout récemment une équipe régionale de foot sport adapté. C’est une équipe masculine de foot à 11, pour laquelle une quinzaine de sportifs ont été sélectionnés. Elle est constituée principalement de jeunes à l’exception du gardien de but qui a 45 ans. Les 22 et 23 juin derniers, les joueurs ont participé à leur première compétition : la Coupe de France des régions. Cette première participation a été une réussite pour cette équipe qui était la plus jeune du championnat, avec un bilan d’un match gagné (contre la région Bourgogne Franche-Comté, un match nul (contre Centre val de Loire) et deux défaites (Hauts de France et PACA). Des résultats encourageants en attendant la prochaine édition dans un an.
Article modifié le 26 avril 2024 par Stéphanie Jeannot