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Travailleurs en ESAT : Répondre aux inquiétudes et à la détresse

Travailleurs en ESAT : Répondre aux inquiétudes et à la détresse - Hélène Petit
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Crise sanitaire du Covid-19 : Les travailleurs en ESAT durement touchés

Dans le cadre de notre dossier consacré à l’impact du Covid-19 sur l’équilibre et la santé mentale des personnes en situation de handicap, nous nous sommes rapprochés d’Hélène Petit, coordinatrice éducative de l’ESAT Didier Baron, à Chaponost, dans le Rhône. Tous les professionnels de l’ESAT se sont organisés dès le premier confinement pour répondre aux inquiétudes, parfois grandes, et au sentiment d’isolement ressenti par une partie des travailleurs de l’ESAT, reclus chez eux. Pour faire face à des réactions de grande détresse, Hélène Petit et ses collègues se sont investis sans compter.

Comment avez-vous su répondre au confinement du mois de mars, qui fut à la fois violent et déstabilisant ?

Nous avons dû rapidement mettre en place un accompagnement car nous avons été submergés d’appels. Il y avait beaucoup d’incompréhension avec des questions du type : « Quand est-ce que je reprends ? Qu’est-ce qui se passe ? Comment la production se passe-t-elle sans nous ? ». Certains imaginaient qu’ils allaient perdre leur travail, d’autres nous faisaient part de leur isolement, de leur solitude : « Je n’ai que le travail pour rencontrer du monde ». Voilà ce que nous entendions.
Pour répondre à toutes ces questions et ces angoisses, nous avons mis en œuvre un centre d’appel que j’ai pu animer grâce au travail de tous les professionnels en charge de la production. J’avais pour mission d’appeler les personnes les plus vulnérables, soit les plus fragiles en termes de santé ou d’isolement. Pour cela, nous avions répertorié 28 personnes sur 165, à appeler « quotidiennement ». Et concernant tous les autres travailleurs, nous les appelions deux à trois fois par semaine, minimum, et ce, de mi-mars jusqu’à juin 2020. Les échanges duraient parfois plus d’une heure. Il y avait une telle panique et un tel bouleversement dans leur vie qu’il fallait mettre les moyens et ne pas compter son temps.

Quelles réactions avez-vous eu à gérer de la part des travailleurs de l’ESAT ?

Certains faisaient des crises d’angoisse : « Je vais tout casser, je vais me retrouver tout seul, je vais me retrouver à la rue… ». À un moment donné, certains parents inquiets, avec une compréhension parfois biaisée de la situation, ont suscité des interrogations/angoisses chez les personnes accompagnées. Ex. : « Ma maman m’a dit que j’allais perdre mon travail, que je n’allais plus rien toucher ». Il a donc fallu réexpliquer à l’ensemble des acteurs, les modalités de ce confinement et surtout rassurer.

Nous avons aussi connu le cas d’un travailleur de l’ESAT qui ne donnait plus de nouvelles. Au bout de trois jours, nous sommes allés physiquement à sa rencontre. C’était d’autant plus inquiétant que nous avions à faire à une personne vivant avec des parents très âgés. Ces derniers ne répondaient pas au téléphone par peur de se faire démarcher.
C’est la solitude qui ressortait le plus dans toutes ces craintes. Pour certains de nos bénéficiaires en situation de handicap, le travail est juste une occasion de rencontrer du monde. Certaines personnes en pleurs nous disaient : « Quand est-ce que je reviens, quand est-ce que je reviens …? ».

C’était très difficile, il fallait les rassurer, leur expliquer le cadre de protection dont ils bénéficiaient. Tout cela, nous l’avons fait sans l’aide d’un psychologue. La plupart de ces personnes nous voient comme leurs proches, comme une référence, ils n’ont pas le réflexe de chercher de l’aide ailleurs.

Si nous réussissions à rassurer la majorité d’entre eux, il était difficile de trouver les mots juste pour celles et ceux qui étaient totalement isolés. Les mesures énoncées par le gouvernement, contradictoires, ne faisaient qu’ajouter à la confusion. Certaines personnes cherchaient toutes les failles du système pour trouver l’occasion de revenir, c’était incroyable.

Quel était le niveau de compréhension de la situation pour les travailleurs de l’ESAT ?

La grande majorité n’a pas compris la dangerosité de la situation. Ils ont par contre tout de suite respecté avec le plus de rigueur possible les gestes barrières. En parallèle de cette situation, mes collègues assuraient la production car nous devions assumer les commandes.
Il y a aussi une minorité de personnes qui a très bien vécu le confinement, je pense notamment à celles et ceux qui vivaient en foyer d’hébergement et qui sont repartis auprès de leur famille.

Que s’est il passé au moment du retour dans les ateliers ?

Nous les avons fait revenir de manière échelonnée, sur 15 jours, en juin. Il nous a fallu en amont mettre la signalétique spécifique en place, ce qui a demandé du temps. Nous n’avons au final repris que 100 personnes sur 165 avant les congés d’août.
Pour certains la reprise fût difficile car ils étaient en forte déprime. Ils venaient un jour puis étaient absents 3 jours. Il y avait eu beaucoup trop de changements pour eux et ce n’était pas gérable émotionnellement. Je pense à une personne en particulier, atteinte de troubles autistiques, qui a vu sa situation se dégrader totalement. Cette personne avait déjà beaucoup d’angoisses et cette situation a fait resurgir des choses du passé. Heureusement, le travail intense des équipes lui a permis de retrouver doucement son équilibre.

Quid des vacances ?

Une fois le travail repris en juin, la question des vacances s’est posée. Beaucoup pensaient qu’ils ne pourraient pas partir en vacances. Ils étaient attristés et déçus car les séjours préprogrammés ont été annulés alors que c’était la seule occasion de l’année qu’ils avaient de partir.

Que pouvez-vous dire du deuxième confinement ?

Au cours du deuxième confinement nous avons détecté un certain nombre de cas positifs sans gravité mais suffisamment pour générer de la crainte. Il n’y a pas une journée sans que l’on en parle. Certains ont malheureusement perdu un proche à cause de la maladie. Mais comme pour beaucoup de personnes, le premier confinement (strict : sans bénéficiaire présent) a été perçu comme plus grave et il a ancré de fortes attitudes de précaution dans la plupart des esprits.

A-t-il fallu assurer un accompagnement de certains travailleurs lors de la reprise du travail ?

J’avais pris le temps de leur expliquer clairement par téléphone tous les protocoles avant qu’ils ne reviennent à l’Esat. Mais avant cela nous avions identifié les personnes les plus adaptables pour une reprise du travail. Les personnes revenaient par groupe hebdomadaire et tous les autres professionnels, prenaient le temps de leur réexpliquer clairement les gestes barrière, les protocoles de déplacement et de travail pour éviter les croisements, que le repas de midi était divisé en deux services, et que beaucoup de choses avaient changé.

Le constat que nous faisons aujourd’hui, c’est que beaucoup de tensions ou de frustrations se sont atténuées. Les personnes relativisent beaucoup plus, mais nous n’avons pas retrouvé le climat tel qu’il était. Même si tout le monde garde le sourire, l’ambiance a changé.

En photo : Hélène Petit, coordinatrice éducative de l’ESAT Didier Baron.

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