L’accès à l’emploi pour les personnes en situation de handicap en France reste aléatoire. Si les pouvoirs publics en font largement la promotion, les entreprises tricolores ne sont pas toutes sur la même longueur d’ondes. Heureusement, parmi les PME, les ETI, et même les très grandes entreprises, certaines montrent la voie en matière d’emploi des travailleurs en situation de handicap.
6 %. C’est la proportion de travailleurs en situation de handicap que les entreprises de plus de 20 collaborateurs doivent respecter. Ces vingt dernières années, de nouvelles lois ont inscrit les droits de ces salariés dans le marbre du Code du travail[i] (articles L5212-1 à L5212-17). Et le marché du travail semble bien répondre à ces appels du pied répétés, les chiffres parlent d’eux-mêmes[ii] : en 2021, les recrutements de travailleurs handicapés ont grimpé de 26 %.
Il reste néanmoins des progrès à faire : le chômage touche presque deux fois plus les personnes en situation de handicap, ces dernières ne sont que 37 % à avoir un niveau d’études égal ou supérieur au bac (contre 53% pour l’ensemble de la population française). Mais un chiffre interpelle plus que les autres : selon l’AGEFIPH (Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées), seuls 3,6 % des 2,7 millions de personnes atteintes de handicap en âge de travailler (les 15-64 ans) occupent aujourd’hui un emploi.
Les politiques ont bien joué leur rôle
Mais la tendance à l’embauche des personnes en situation de handicap est à la hausse, encouragée par les politiques de RSE mises en place par les entreprises. Dans le monde du travail, l’inclusion n’est plus seulement un mot à la mode : il est surtout synonyme de mieux vivre et de performances pour les entreprises[iii] : « L’inclusion vise l’ensemble des actions menées par une entreprise visant à prévenir les situations de discrimination liées notamment au handicap, à l’âge, à l’origine sociale ou la culture, au genre, à l’orientation sexuelle, à l’apparence physique ou encore à la situation sociale, détaillent Ludovique Clavreul et Béatrice Taillardat-Pietri, respectivement avocate conseil et adjointe au responsable de la doctrine sociale chez CMS Francis Lefebvre Avocats. Force est de constater que c’est sous l’impulsion des pouvoirs publics que se sont développés les politiques d’inclusion : qu’il s’agisse de lutte contre toutes les formes de discrimination, de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ou de l’intégration des handicapés, le législateur a multiplié les dispositifs visant à mieux intégrer les femmes, les personnes handicapées, les jeunes, les seniors, les LGBT. »
Soucieuses de promouvoir leur politique RSE, beaucoup de très grandes entreprises (+5000 salariés) affichent leur politique d’embauche, en adhérant par exemple à des chartes comme le Manifeste pour l’inclusion des personnes handicapées dans la vie économique[iv], déjà plus de 130 grandes entreprises ont signé. Parmi elles, Aéroports de Paris, qui emploie plus de 6300 salariés, dont 424 personnes en situation de handicap (soit 6,6%). « Inclure des personnes handicapées dans l’entreprise est non seulement important pour insérer ces personnes mais est aussi une source de grande richesse pour les salariés qui les intègrent dans leurs équipes et qui en tirent fierté et approche renouvelée de leurs activités, assure son PDG Augustin de Romanet. Pour cela, nous soutenons le Manifeste de l’entreprise inclusive. » Si bon nombre d’entreprises sont aujourd’hui impliquées en faveur de l’inclusion, certaines ne jouent pourtant pas le jeu : selon l’AGEFIPH, seules 30 % des entreprises de plus de 20 salariés remplissent leurs obligations légales en termes d’embauche, d’autres préférant tout simplement payer une amende.
Voir les travailleurs en situation de handicap comme un atout
Pourtant, l’embauche de personnes en situation de handicap est désormais considérée comme un atout par bon nombre de chef(fe)s d’entreprises[v], surtout parmi les PME et les ETI. « Nous recrutons des salariés en situation de handicap, et faisons en sorte de les accueillir dans des conditions optimales afin qu’ils s’épanouissent, explique Sylvie Kroutinsky, directrice des Ressources humaines chez Kalhyge, l’un des leaders de la blanchisserie industrielle en France. Le bien-être est capital, c’est l’assurance d’une entreprise qui fonctionne correctement. La diversité est un élément qui ressort lorsque l’on fait une enquête auprès de nos collaborateurs, et c’est une des valeurs que nous mettons incontestablement en avant, car c’est une véritable richesse pour l’entreprise. Le capital humain est au cœur de l’organisation de l’entreprise. » Dans cette ETI de 3 000 salariés répartis dans 28 centres partout en France, l’intégration des salariés en situation de handicap n’est pas nouvelle : en 2019 déjà, l’entreprise Kalhyge participait par exemple à l’opération DuoDay[vi], basée sur la formation de binômes : « Dans le cadre de l’accord Handicap volontaire, chaque personne en situation de handicap est encadrée par une collaboratrice ou un collaborateur Kalhyge, se félicitait l’entreprise. Son rôle est d’accueillir le ou la personne en situation de handicap et lui présenter l’entreprise, faciliter et accompagner son intégration, se rendre disponible au quotidien et évaluer le déroulement de l’intégration avec le formateur et le manager. »
De nombreux secteurs ouvrent désormais leurs portes[vii] aux personnes atteintes de handicap. Dans la blanchisserie comme on l’a vu avec Kalhyge, mais aussi dans le bâtiment, et même sur les sites de production d’énergie nucléaire. « Contrairement aux idées reçues, handicap et chantier ne sont pas incompatibles, remarque Alexandra Raimbault, responsable du Développement des ressources humaines de Spie, société de bâtiment et travaux publics. Dans le groupe, deux tiers des salariés en situation de handicap travaillent sur un chantier. Ainsi, nous avons équipé un responsable chantier sensible aux différences d’éclairement entre l’intérieur et l’extérieur d’une paire de lunettes s’adaptant aux variations de luminosité. Un conducteur d’engins souffrant de douleurs à l’épaule bénéficie d’un siège à suspension pneumatique. »
Les aménagements spéciaux sont en effet une condition sine qua non pour pouvoir accueillir les travailleurs en situation de handicap, en particulier ceux se déplaçant en fauteuil roulant. C’est le cas par exemple des centrales nucléaires d’EDF, désormais pourvues de structures et d’accès utilisables en fauteuil. « Dans certaines centrales, on n’avait jamais vu de fauteuil roulant, ça permet de créer un précédent, se réjouit Luc Vouillemont, ingénieur paralysé, responsable examens non destructifs pour EDF à Montévrain en Seine-et-Marne. Je ne peux pas franchir les portiques de contrôle standard, alors je passe dans une cabine adaptée avec des contrôles manuels. C’est juste un peu plus long, mais indispensable pour le maintien de la sûreté de nos centrales nucléaires. »
Enfin, certaines entreprises très impliquées dans l’économie sociale et solidaire ont fait le choix de dépasser allègrement les quotas réglementaires. Dans le Bas-Rhin par exemple, l’entreprise de reconditionnement de matériel informatique AFB Social and Green it a relevé un pari osé : employer 70 % de personnes atteintes d’un handicap[viii], disposant de compétences dans le domaine informatique. « Les autres entreprises n’en veulent pas, car elles ne sont pas équipées pour leur proposer des postes de travail adaptés, ni un site conçu et pensé pour eux », souligne le directeur de l’entreprise, Dominique Steinberger. Tous ces exemples le montrent : l’accès à l’emploi des personnes en situation de handicap peut désormais devenir « normal » dans les entreprises. Il était temps.
Arthur Martin
[i] https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F23149
[ii] https://www.helloworkplace.fr/chiffres-handicap-france/
[iii] https://www.lesechos.fr/partenaires/le-rendez-vous-cms-francis-lefebvre-avocats/linclusion-un-nouveau-defi-pour-les-entreprises-1318910
[iv] https://handicap.gouv.fr/le-manifeste-inclusion-enclenche-une-nouvelle-dynamique
[v] https://www.socialmag.news/14/08/2022/entretien-avec-sylvie-kroutinsky-directrice-des-ressources-humaines-chez-kalhyge-le-capital-humain-est-au-coeur-de-lorganisation-de-lentreprise/
[vi] https://www.entretien-textile.fr/actualite/location-entretien-kalhyge-partenaire-de-loperation-duoday
[vii] https://www.leparisien.fr/economie/emploi/emploi-et-handicap-les-metiers-de-terrain-s-ouvrent-aux-handicapes-14-11-2014-4291853.php
[viii] https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/alsace/bas-rhin-afb-entreprise-de-reconditionnement-de-materiel-informatique-emploie-70-de-personnes-handicapes-avant-personne-ne-voulait-de-moi-2600740.html