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Trouble de l’oralité et syndrome malformatif : Témoignage d’un papa

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Témoignage d’un papa : Vivre le syndrome malformatif et le trouble de l’oralité de son enfant

Je suis le papa d’une petite fille qui s’appelle Lalie. Ce récit évoque le parcours que nous avons mené, ma femme et moi, pour accompagner notre enfant face à la maladie de notre enfant, qui souffre d’un syndrome malformatif et d’un trouble de l’oralité.

Lorsque Pauline est tombée enceinte, nous étions comme tous les futurs parents : heureux, interrogatifs, impatients, portés par l’élan de nouveauté qui allait traverser notre quotidien. L’achat des différents équipements, la recherche d’un joli prénom occupait notre esprit. Ce tendre épanouissement  fut soudainement brisé au cours d’un rendez-vous chez l’obstétricien qui nous suivait : une anomalie apparaissait à l’échographie. L’insouciance et la légèreté que nous inspirait ce changement de vie disparaissaient et laissaient place à l’inquiétude, à la peur.

Au fil des rendez-vous, les médecins nous expliquèrent que Lalie souffrait d’une malformation nommée  « sténose duodénale ». Décrite comme une obstruction du système digestif, elle empêchait toute circulation alimentaire et devait être opérée dès les premiers jours de vie. L’attente de notre fille perdit alors tout son charme. Les rendez-vous de suivi et la valse hebdomadaire des allers-retours à l’hôpital rythmèrent  la grossesse. L’univers médical nous imposa sa mécanique froide. Pauline eut si souvent l’impression d’être une chose, un objet sans sentiments, sans peur, sans émotions alors qu’elle avait besoin de réconfort. Perdu, enfermé dans ma déprime, je vivais difficilement ce qui nous arrivait. Un soir, ma femme fut hospitalisée. Des spasmes réguliers la faisaient souffrir. Les jours passèrent sans traitement efficace. Mon déni contrasta alors avec la lucidité de Pauline, qui savait déjà que sa petite fille allait naître avant l’heure. Seul, dans une chambre sombre, je pris la réalité de plein fouet, le temps d’une césarienne en urgence où les secondes devenaient des heures.

À la naissance, les médecins dressèrent un portrait peu flatteur de Lalie. Notre petite fille semblait n’être qu’une accumulation de malformations : fente palatine, problème au cœur, au cerveau, au squelette. Entre hypothèses et vrais diagnostics, les informations nous submergeaient. Souvent, ce mode de communication direct, cru, nous bouleversa. Il fallut apprendre à vivre dans le monde de l’hôpital, à faire le tri entre les vraies informations et les pronostics hasardeux, lancés si facilement, mais qui laissaient des traces indélébiles. Il fallut gérer les moments de stress, d’angoisse, qui dictaient notre quotidien, accepter les perfusions, les tuyaux, les capteurs qui enlaçaient Lalie plus que nous ne pouvions le faire. La lutte face au temps au cours de chaque opération éprouva nos nerfs, nos corps et nos esprits. Heureusement, de nombreuses rencontres furent porteuses d’espoir. Une chirurgienne tenta de nous insuffler son optimisme revigorant, une infirmière puéricultrice multiplia les initiatives pour nous laisser le droit d’être des parents comme les autres, une conseillère en allaitement offrit sa présence et son oreille, au-delà du rôle que l’hôpital lui confiait.

Une chambre spéciale accueillait Lalie en soins intensifs. Nous allions la voir mais ne pouvions pas nous occuper d’elle comme pouvaient le faire les autres parents avec leur nouveau-né. Alors, ma femme dut accepter l’éloignement de son enfant pendant de longues journées, ranger dans le tiroir des frustrations certains aspects de la maternité. Elle ne pouvait pas allaiter sa fille, la câliner, l’avoir près d’elle dans les premiers temps. Après tous ces mois de proximité, elle devait se sevrer de son enfant. La vie de Lalie s’enfermait dans une chambre où elle partageait ses journées et ses nuits avec d’autres enfants malades, avec le personnel médical mais à distance de nous. Pour les jeunes parents que nous étions, il était difficile de comprendre d’où venaient ces pathologies, et de les accepter. Qu’avions nous fait pour que tous ces maux s’attaquent ainsi à notre petite poupée ? Comment pouvions-nous l’aider ?  Convaincus que notre présence pouvait l’aider à garder l’envie de vivre et de grandir, nous lui murmurions des mots d’amour, la caressions, passions le plus de temps possible à son chevet. Parfois, j’avais du mal à encaisser les mauvaises nouvelles. Pauline, elle, faisait face. Solide et déterminée, elle savait qu’elle n’avait pas le droit d’abandonner.

Au fil des mois, les malformations furent corrigées, une à une. Mais si les bistouris cessèrent peu à peu de s’agripper à Lalie, un mal mystérieux refusait de lâcher prise. L’alimentation, déjà compliquée depuis la naissance, restait problématique. Les premiers biberons avaient été difficiles à donner car Lalie n’avait pas de force de succion à cause de sa fente. Il fallut se lancer dans une chasse à la tétine. De toutes les tailles, de toutes les formes, même créées pour les enfants sans palais, ces bouts de plastique s’engouffraient à tour de rôle dans la bouche contrariée de Lalie, sans donner de résultats. La tasse, la cuillère, les récipients destinés aux bébés ne firent pas mieux. Pauline eut alors l’idée de nourrir notre fille avec une pipette Doliprane. Lalie commença à prendre son lait quotidien à l’aide de ce procédé, certes assez long, mais au moins elle l’acceptait.

La phase de diversification ne changea pas grand-chose à notre quotidien. Bien souvent, Lalie refusait de s’alimenter, elle mangeait en petite quantité, vomissait soudainement, sans raison apparente. Sa relation aux aliments n’était pas normale, elle n’avait jamais faim, n’acceptait pas les morceaux. Chaque jour, la cuisine se transformait en laboratoire où les casseroles s’empilaient et côtoyaient les assiettes couvertes d’aliments à peine goûtés. Chacun des repas durait plus d’une heure. Pour les donner, nous devions allier nos forces : l’un détournait l’attention de Lalie avec des marionnettes, des livres, des facéties, l’autre donnait les cuillerées. Paradoxalement, pour ouvrir la bouche, Lalie devait penser à autre chose qu’à manger. Nous passions tout notre temps à chercher des réponses, des explications. Comment trouver la solution pour la nourrir, elle qui ne réclamait pas, qui tournait la tête à chaque cuillère ? Comment vivre un quotidien où il fallait décider à la place de notre enfant,  quand elle avait faim, quand elle n’avait plus faim ?

Les opérations, les pathologies et son faible appétit freinèrent la courbe de croissance de Lalie. À plusieurs reprises, un recours à la gastrostomie fut évoqué, mais nous voulions tout faire pour éviter ce procédé, difficile à vivre au quotidien, et aux conséquences psychologiques non négligeables sur l’enfant. Les médecins avaient peu, voire pas de pistes à nous donner. Un soir, je me mis à explorer les moteurs de recherche pour trouver comment l’aider à grossir. Les sites internet évoquant l’alimentation des bébés défilèrent lentement. Différents documents réalisés par des pédiatres ouvrirent des fenêtres sur les apports quotidiens à donner aux jeunes enfants selon leur sexe, leur âge et leur poids. Des tableaux détaillaient le taux de protéines, de sucres et de graisse à respecter pour une croissance optimale. Dans la cuisine, j’entrepris de lister tous les aliments pris par Lalie au cours de ses différents repas. J’ouvrais les portes, les tiroirs, cherchais toutes les étiquettes résumant la valeur nutritionnelle des produits. Un long travail de calcul m’absorba, afin d’établir le pourcentage de glucides, de lipides, et de protides qu’elle prenait au cours d’une journée. Très vite, je constatais la faiblesse d’une des valeurs : le taux de lipides. L’alimentation de Lalie pouvait être enrichie avec des huiles, des matières grasses. Cette découverte nous aida afin de maintenir la courbe de croissance de notre enfant. Plus tard, la rencontre d’une diététicienne conforta nos méthodes, elle nous aiguilla pour enrichir au mieux les repas de Lalie, qui restaient mystérieusement une épreuve, et non un plaisir.

Quel était ce mal ? Il portait bien un nom. Pendant longtemps, nous n’avions pas la clé, juste quelques indices. Nos recherches et nos rencontres avec deux orthophonistes révélèrent la solution : Lalie souffrait d’un trouble de l’oralité. Cette pathologie, ennemie de l’alimentation et du langage, était un dommage collatéral issu de ses autres malformations. La sténose duodénale l’avait empêché de manger à la naissance et l’alimentation parentérale lui avait volé la sensation de faim. La fente palatine, elle, avait contraint sa bouche à rester inactive. De ce cocktail naquit ce mal, le trouble de l’oralité, cette absence d’appétit, cette aversion pour la nourriture et une hypersensibilité qui créait des vomissements récurrents, inexpliqués. La maladie s’attaqua à notre vie sociale, familiale et professionnelle de part l’incompréhension qu’elle suscitait et le temps qu’elle nous prenait. « Si elle ne mange pas, laissez-la, elle mangera mieux au repas suivant », « Un enfant, ça ne se laisse pas mourir de faim »  nous disait-on. Beaucoup pensaient que nous ne savions pas nous y prendre pour la nourrir, que nous ne lui donnions pas ce qu’il fallait. Ils ne maîtrisaient aucunement le trouble de l’oralité, n’écoutaient pas nos explications, ne se mettaient pas à notre place. Il fallut apprendre à vivre avec cette pathologie, à la combattre. Chaque jour, nous partions en quête d’idées, de techniques pour faire grossir Lalie, la nourrir, pour trouver des moyens de désensibiliser sa bouche. Afin de la faire progresser dans sa prise de repas, nous proposions petit à petit de nouvelles textures, de plus en plus complexes, que nous avions répertoriées dans un tableau de marche. Chaque semaine, des séances d’orthophonie s’imposaient à Lalie afin de travailler la mastication, le souffle, la parole. Le travail se poursuivait à la maison : nous devions investir la bouche de Lalie avec des outils spéciaux pour la muscler, la stimuler. Malgré la contrainte, elle collaborait, et réussit à avancer.

Aujourd’hui, Lalie a beaucoup progressé, tant sur le plan alimentaire que langagier. Le trouble de l’oralité régresse, mais elle doit poursuivre l’orthophonie et les stimulations à la maison. L’arrivée de Lalie a changé notre vie, transformée en lutte face aux maladies, au stress, et aux interrogations. Elle a passé notre couple au révélateur d’une telle épreuve, et fait naître une force qui nous a permis de trouver des solutions, d’avancer, d’aller vers le mieux. J’ai toujours été quelqu’un de perfectionniste. Avoir un enfant différent est une véritable leçon. Tout ne peut être réussi dans la vie, les imperfections, les irrégularités ont aussi leur charme et créent des êtres uniques. Lalie et ses soucis nous apprennent à voir où est l’essentiel. Elle nous enrichit chaque jour. L’horizon de notre petite n’est pas encore dégagé, mais nous ne perdons pas l’espoir qu’elle soit un jour délivrée de tous ses tracas.

Pour en savoir plus sur le combat et la vie si particulière de notre petite fille avec un trouble de l’oralité, découvrez notre livre : « Le premier jour de l’hiver » chez Librinova.

Sylvain Boutelier

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