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Voile et déficience visuelle : un périple sur le lac Léman pour promouvoir le Cécivoile

Voile et déficience visuelle : un périple sur le lac Léman pour promouvoir le Cécivoile
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Afin de démontrer que la pratique de la voile est accessible aux personnes déficientes visuelles, et de faire connaître les différentes outils qui rendent cela possible, Olivier Ducruix réalisera au printemps un périple sur le Lac Léman avec plusieurs étapes lors desquelles le public pourra venir à sa rencontre.

Au printemps prochain, Olivier Ducruix, musicien, marin et chroniqueur voile d’Handirect, s’élancera sur le lac Léman pour un périple en solitaire destiné à promouvoir la pratique de la voile pour les marins déficients visuels et les outils développés en ce sens. Alors que le départ approche, il nous explique comment va se dérouler son parcours et quels sont les outils de navigation qu’il aura à cœur de faire découvrir dans les villes étapes.

Olivier, peux-tu nous présenter ton projet « Raid Liberty sur le Lac Léman » ?

C’est un projet de navigation en solitaire sur le Lac Léman, sur un bateau dériveur de type « Liberty », avec deux ou trois étapes, dont au moins une en Suisse. Rien d’extraordinaire, sauf que je suis non-voyant ! C’est un challenge personnel qui a aussi pour but de promouvoir la pratique de la voile pour les marins déficients visuels et les outils qui la rendent possible aujourd’hui.

Seras-tu totalement seul sur le bateau ?

Oui, je serai seul sur le bateau. Mais nous faisons tout de même les choses en toute sécurité. Je serai accompagné d’une ou deux personnes qui seront sur un bateau sécurité, un Zodiac, avec qui je serai en contact radio, et qui seront là notamment pour m’avertir en cas de risques de collision, car ça, les outils existants ne le font pas encore. On n’est pas encore capables de détecter les bateaux ou obstacles qui sont autour de nous. C’est d’ailleurs l’un des axes de développement à venir.

Quels sont plus précisément les objectifs de ce défi ?

Le premier objectif, c’est de mettre en valeur les développements réalisés depuis plusieurs années pour permettre à des personnes déficientes visuelles de naviguer, avec plus d’autonomie et de performance. Ces étapes en solitaire, j’espère être capable de les réaliser justement parce que j’aurai utilisé ces outils.
Il s’agit essentiellement de présenter deux innovations :
– Une application de guidage sur iPhone dédiée aux marins déficients visuels qui s’appelle SARA – Sail And Race Audioguide, et que j’ai déjà évoquée dans ma chronique.
– Une girouette tactile reliée à une ceinture vibrante.
Il s’agit de sensibiliser le grand public mais aussi le milieu de la voile, pour que les clubs n’hésitent plus à accueillir des personnes déficientes visuelles, et également de montrer aux personnes déficientes visuelles qu’elles aussi peuvent le faire.

Le second objectif, c’est d’interpeller des sponsors potentiels, pour nous aider à poursuivre nos actions, à faire connaître la pratique du cécivoile et à financer le développement de nos outils car l’application que l’on propose est gratuite, et nous voudrions aussi rendre la ceinture vibrante accessible à tous.

Peux-tu nous rappeler ce qu’est SARA ?

C’est une application sur iPhone qui utilise le GPS du téléphone. En résumé on peut dire que c’est un GPS pour marin aveugle. Elle donne, automatiquement et vocalement, les informations nécessaires pour naviguer en autonomie. Dans le cadre de la croisière que je prépare sur le Lac Léman, je vais entrer à l’avance le trajet des différentes étapes prévues, avec des points de route par lesquels je devrai passer, et SARA va me situer en permanence sur le parcours. Elle va ainsi me permettre de naviguer vers les points de route à franchir, pour aller de Sciez-sur-Léman à Genève, par exemple. SARA pourra m’indiquer à tout moment à quelle distance se trouve le prochain point de route (par exemple à 20° degrés bâbord). La dernière version inclut également la cartographie, ce qui permet à SARA d’indiquer la proximité de caps ou d’éléments à éviter en bord de lac, ce qu’on appelle des balises.

Peux-tu expliquer en quoi consiste la girouette tactile que tu souhaites faire connaître ?

Cette girouette tactile est innovation plus récente puisqu’on en est au stade du prototype, que nous avons conçu et réalisé nous-mêmes avec mon équipe. Concrètement, je vais mettre autour de mon ventre une ceinture qui intègre des moteurs vibrants. Reliée en Bluetooth à une girouette à ultrasons installée en haut du mât, la ceinture fera vibrer les moteurs en fonction de la direction d’où provient le vent, afin de m’en informer. Je ressentirai les vibrations au niveau du ventre. Nous l’avons déjà testée auparavant bien sûr.

Ça paraît assez extraordinaire dit comme ça…

C’est vrai, d’autant plus que cette ceinture comporte également un compas intégré. Ce ne sera pas mon cas, mais on peut aussi l’utiliser comme une boussole tactile, c’est-à-dire qu’elle peut vibrer en permanence ou à intervalles réguliers dans la direction du Nord.

C’est donc une ceinture qui va servir à d’autres choses, à terre, et que nous développerons par la suite. On pourrait l’interfacer avec des applications GPS sur smartphone, et au lieu d’écouter une voix qui nous indique de tourner à gauche ou à droite, on pourrait recevoir des informations retranscrites par des vibrations, par exemple pour du guidage à pied, en ville. Cela peut aussi être utile quand il y a beaucoup de bruit ou si les oreilles sont déjà occupées par autre chose. On pense aujourd’hui que le tactile n’est pas assez utilisé pour fournir des informations aux non-voyants. Cela permet d’obtenir l’information d’avoir une autre manière et en plus ça évite de tenir un smartphone, d’écouter… on se rend compte en utilisant cette ceinture que le guidage par vibration est beaucoup plus naturel et reposant. Pour autant, on n’est pas contre l’audio, qu’on utilise avec l’application SARA, mais le tactile apporte quelque chose de complémentaire et confortable.

Comment les marins déficients visuels pourront-ils avoir accès à cette ceinture vibrante pour pratiquer la voile ?

Au printemps, nous allons en mettre 10 exemplaires à la disposition de clubs qui accueillent déjà un public déficient visuel en France et en Suisse. Puis cette ceinture pourra être acquise par des associations, par des clubs ou par des particuliers. Si on parvient à trouver des soutiens de sponsors assez conséquents, on pourra peut-être la mettre à disposition gratuitement. Sinon, elle sera vendue à prix coûtant car il y a quand même un prix de fabrication, hors ingénierie et conception.

Peux-tu nous parler de l’équipe qui t’entoure pour la réalisation de ce projet ?

Déjà je te tiens à dire que c’est toujours une équipe qui réussit. C’est la complémentarité des compétences qui fait qu’on peut aller loin.
Sur les projets d’innovation comme l’application SARA et la girouette tactile, je travaille essentiellement avec deux personnes :
Mathieu Simonnet, qui a créé il y a 20 ans l’association Orion – association que j’ai pu découvrir en 2009 et où j’ai fait sa rencontre. On a fait un stage de voile ensemble, et en une semaine avec lui, j’ai appris plus qu’en 20 ans de croisière auparavant, car Mathieu avait déjà développé des outils et déjà adopté une pédagogie pour les marins déficients visuels. C’est vraiment quelque chose sur quoi il a beaucoup travaillé, il en a même fait sa thèse. À l’issue de cette rencontre, on a décidé de travaillé ensemble pour aller plus loin sur les différents prototypes qu’il avait élaborés, en les industrialisant, et en les rendant mobiles grâce au Smartphone. C’est comme ça qu’on a décidé de développer ensemble l’application SARA. On continue à travailler ensemble aujourd’hui sur de nombreux projets, notamment sur des cartes en relief.
On a d’abord travaillé avec des stagiaires qui développait l’application, grâce au mécénat d’Orange, mais depuis 2018, on travaille avec une société suisse qui s’appelle GraniteApps, avec Marine Clogenson, qui est passionnée de voile et que j’ai rencontrée sur des régates. Elle est ingénieure informaticienne et électronicienne, et elle maîtrise parfaitement le domaine de la voile. Elle a donc le profil parfait et on forme tous les trois une équipe complémentaire pour aller encore plus loin dans nos projets d’innovation, pour les marins non-voyants, mais aussi pour tous les non-voyants de façon globale.

Et si je zoome sur le projet Raid Liberty, en plus de Mathieu et Marine qui suivent cela de près et qui préparent les outils avec moi, je m’appuie aussi sur des acteurs de la Fédération Française de Voile, avec notamment Paul-Adrien Cuvillier, en charge du développement du handivoile au sein de la FFVoile. Ensuite il y a l’échelon ligue, avec Jérôme Pruvot, référent handivoile de la ligue Auvergne-Rhône-Alpes, qui nous accompagne sur ce projet en communiquant et qui sera présent sur au moins une étape à bord du zodiaque qui assurera ma sécurité.

Et bien sûr il ne faut pas oublier Gilles Guyon, directeur de la base nautique de Sciez, qui est à la fois mon coéquipier en régate handivalide et mon coach en régate Blind sailing. Il a un rôle très important car c’est lui qui va préparer le bateau, organiser la sécurité et m’accompagner sur les différentes étapes. Sans lui et son équipe de la base nautique de Sciez, on ne pourrait pas faire ce raid.

Si ce défi est possible, c’est également parce qu’un bateau nous sera prêté, soit par la base nautique de Thonon, soit par l’association la Classe Hansa – la voile ensemble, dont le président Gilles Pariat a aussi l’amitié de nous aider.

Cela fait donc beaucoup de personnes, à qui s’ajoutent nos partenaires, parmi lesquels les associations Orion et handivoile.ch, la base nautique de Sciez, l’UNADEV et la Fédération Française de Voile.

Sais-tu déjà quelles seront les étapes de ton parcours sur le Lac Léman et à quelles dates il aura lieu ?

Ce n’est pas encore complètement arrêté car cela va aussi dépendre de la météo. Le périple s’étalera sur trois jours, avec des étapes qui feront entre 20 et 45 km. En termes de durée, c’est de l’ordre de 5 à 8h par étape, avec une étape par jour.

La première étape partira de Sciez-sur-Léman, près de Thonon, et la dernière reviendra à Sciez. Pour le reste, on pense aller côté suisse, soit à Genève, soit à Prangins, soit à Lausanne… soit deux sur trois. Genève, c’est une grande ville où l’on peut espérer attirer l’attention de sponsors, comme c’est l’un de nos objectifs. À Prangins, toute petite ville près de Nyon, se trouve l’un de nos partenaires, Handivoile suisse ou Swiss Disabled Sailing, une association qui aide les personnes en situation de handicap en Suisse. On travaille déjà ensemble sur le développement la pratique de la voile pour les déficients visuels en Suisse. Cela a donc du sens, d’autant plus que nous sommes aussi à la recherche de sponsors suisses pour continuer à développer les différents outils, et cette structure associative pourrait récolter les dons de façon défiscalisée. De la même manière que les dons qui sont faits en France à l’association Orion – dont je fais partie et qui porte les projets de développement et d’innovation – sont également défiscalisés.

Concernant les dates, ce sera entre le 13 mars et le 8 avril. Nous allons surveiller la météo de manière à organiser cet événement dans les conditions les plus intéressantes, idéalement avec un vent modéré à fort, pour avancer tout en ayant des sensations. Sans vent, on n’avancera pas, et avec un vent très fort c’est trop risqué. Même si le dériveur « Liberty » est conçu au départ pour des personnes en situation de handicap, donc très sécurisé, et normalement inchavirable.

Le but du raid est aussi de démontrer la possibilité de naviguer en autonomie pour un marin déficient visuel et le niveau de pratique que l’on peut atteindre grâce à des innovations comme SARA et la ceinture tactile.

Concernant les sponsors, à qui s’adresse votre recherche ?

Notre recherche de sponsors et de partenaires s’adresse à tout le monde. Un particulier qui veut faire un petit don à l’association Orion, ou des entreprises, des fondations d’entreprise pour du mécénat. Nous recherchons aussi des partenaires associatifs … des acteurs qui veulent contribuer à nos actions parce qu’ils croient en cette cause, pour l’aspect maritime et au-delà, dans la vie quotidienne, à travers le développement de la ceinture. Par ailleurs, l’UNADEV est partenaire de notre défi sur le Lac Léman et c’est encore le principal financeur de nos innovations.

Peux-tu nous donner des nouvelles du projet Cécivoile que tu as créé en 2017 ?

Ce projet créé à l’UNADEV a pour but de développer la pratique de la voile pour les personnes déficientes visuelles en France et à l’international. C’est un beau projet qui continue à vivre sa vie sans moi, avec un nouveau chef de projet : Céline Choulet. Cécivoile prend de l’ampleur, avec de plus de plus de clubs qui accueillent aujourd’hui des marins déficients visuels. Aujourd’hui, ce projet est totalement intégré dans le dispositif fédéral puisqu’une convention a été signée entre l’UNADEV et la Fédération Française de Voile pour le développement de la pratique.
Nous projetons même d’étendre le projet à d’autres sports nautiques.

Souhaites-tu ajouter quelque chose ?

La base nautique de Sciez va accueillir les championnats de France handivalide de voile au mois de mai, pour le week-end de la Pentecôte, du 26 au 29 mai, sur le Lac Léman. On attend une centaine d’équipages en double composé d’un coureur en situation de handicap et d’un coureur valide. Cet événement est ouvert au grand public en termes de spectateurs, et aux licenciés en tant que concurrents. 

Tu as également une actualité musicale… Peux-tu nous en dire plus ?

Oui, ma fille Jeanne vient de sortir son premier album « Rédemption, auquel j’ai contribué dans l’écriture et la production. Il a été produit par notre label solidaire MBJ chansons qui fait valoir la différence.

Du coup, j’ai été amené à reporter l’enregistrement de mon propre album. Mais les trois quarts des chansons sont écrites et j’ai hâte de les enregistrer. Des concerts vont aussi arriver prochainement.

À noter : Les lieux et dates des étapes du défi Raid Liberty en solo sur le Lac Léman seront publiés sur nos réseaux sociaux : SARA, Base nautique de Sciez, Voile handivalide et paravoile, La Classe Hansa.

En photo : Olivier Ducruix sur un bateau Liberty, comme celui sur lequel il naviguera lors de son périple sur le lac Léman.

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