Des neuropsychologues du Centre de recherche du CHU Sainte-Justine de l’Université de Montréal ont mis en lumière lors d’une étude que certains aveugles peuvent «voir» grâce à leurs oreilles grâce à une réorganisation du cortex visuel.
Le docteur Olivier Collignon, affilié au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine de l’Université de Montréal, a comparé l’activité cérébrale de personnes nées aveugles avec celle de personnes voyantes et a découvert que la partie du cerveau qui collabore normalement avec les yeux pour traiter la vision et la perception spatiale peut se réorganiser pour recevoir des informations sonores. La recherche a été entreprise en collaboration avec le professeur Franco Lepore du Centre de recherche en neuropsychologie et cognition, et a été publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences.
Leurs travaux s’appuient sur d’autres études qui démontrent que les aveugles ont une capacité accrue pour traiter des sons dans l’espace. « Bien que plusieurs études prouvent que les régions occipitales des personnes nées aveugles sont associées au traitement non visuel, on n’a abordé que très récemment la question relative à l’organisation fonctionnelle du cortex visuel chez les personnes nées aveugles, à savoir : est-ce que ces structures maintiennent une organisation fonctionnelle comparable à celle que l’on connaît chez la personne voyante ?», a déclaré le docteur Collignon. Le cortex visuel, comme son nom l’indique, est chargé du traitement des informations visuelles. Les hémisphères droit et gauche du cerveau en ont chacun un ; ils sont situés à l’arrière du cerveau, dans une région qu’on appelle le lobe occipital. « Notre étude démontre que certaines régions de la voie occipital dorsale droite n’ont pas besoin d’une expérience visuelle pour se spécialiser dans le traitement des informations spatiales et s’intégrer dans le réseau neurologique préexistant dédié à cette capacité. »
Les chercheurs ont collaboré avec onze individus aveugles depuis la naissance et onze personnes voyantes. Leur activité cérébrale a été analysée grâce à l’imagerie par résonance magnétique alors qu’ils écoutaient une série de sons variant selon leur hauteur tonale ou selon leur position dans l’espace. « Les résultats témoignent de l’incroyable plasticité du cerveau », constate Olivier Collignon. Le mot plasticité évoque la capacité du cerveau à évoluer en fonction des expériences qu’il subit. « Le cerveau désigne des régions spécifiques pour le traitement spatial, et ces régions restent impliquées dans ce traitement même si elles sont privées de leurs informations visuelles naturelles. Ce cerveau est tellement flexible qu’il est capable d’exploiter une « niche neuronale » pour réaliser des fonctions suffisamment proches de celles exigées par les sens préservés. Cela suggère que l’on devrait considérer le cerveau plutôt comme une machine orientée vers la réalisation de fonctions, et non comme une machine purement sensorielle ».
Les résultats soulèvent des questions relatives à la façon par laquelle cette réorganisation est rendue possible lors du développement des nouveau-nés aveugles. « Très tôt dans la vie, le cerveau se façonne selon ses expériences vécues : certaines connexions synaptiques sont éliminées, et d’autres sont renforcées », a expliqué le docteur Collignon. Les connexions synaptiques permettent la communication entre nos neurones, ou cellules cérébrales. « Vers l’âge de huit mois, on assiste à l’effacement progressif d’approximativement 40 pour cent des synapses dans le cortex visuel, pour atteindre une densité stable vers l’âge de 11 ans. Il est alors possible que les réorganisations cérébrales massives que l’on observe chez les aveugles prend racine durant cette phase de révision synaptique, mais cette théorie doit être validée par des projets de recherche futurs », a souligné Olivier Collignon.
L’étude du Docteur Collignon a été financée en partie par la Fondation de l’Hôpital Sainte-Justine, le Fonds de la recherche en santé du Québec, les Instituts de recherche en santé du Canada, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et le Fonds de la recherche scientifique de la Belgique.