Rencontre avec Thierry Brun, directeur général de Messidor, association qui œuvre depuis plusieurs années pour faire émerger le concept d’emploi accompagné sous la forme d’un dispositif » jobcoaching « .
- Pouvez-vous nous présenter Messidor et le dispositif de jobcoaching ?
Messidor est une association qui a été créée par Vincent Verry en 1975. Il a fait le constat que les gens vont mieux quand ils travaillent, et notamment les personnes en situation de handicap psychique. Il avait déclaré : « Toute personne souffrant de difficultés psychiques et sociales, conserve un potentiel toujours vivant, qui demande à être entendu, mais qui demande également à s’exercer ». Ainsi Messidor a été créée sur la base d’une grande idée fondatrice : la transition par le travail, avec 5 principes fondamentaux énoncés dès 1975 : Donner un statut de travailleur rémunéré aux personnes. Choisir des activités de service. Travailler en réseau. Privilégier un management participatif. Essaimer le concept sur le territoire national. Ce qui a inspiré plus tard le jobcoaching.
Messidor gère des ESAT et EA, ainsi qu’un dispositif de jobcoaching (emploi accompagné), dans le but d’intégrer directement les personnes accompagnées dans le milieu ordinaire. Sa particularité repose sur le fait qu’elle s’appuie sur une méthode de parcours de transition balisé, et qu’elle s’adresse plus particulièrement aux personnes handicapées psychiques. Messidor commence également à développer une « franchise sociale », en formant les personnels d’ESAT et d’EA d’autres associations qui le souhaitent à la méthode d’accompagnement Messidor. La première franchise verra le jour à Limoges avec la fondation Delta Plus.
- Pour vous, l’emploi accompagné, qu’est-ce que c’est ?
L’emploi accompagné / Job coaching c’est la volonté de permettre aux personnes de s’intégrer directement dans le milieu ordinaire. Faire en sorte que les personnes qui ne souhaitent pas passer par un ESAT, par une entreprise adaptée ou qui ne veulent pas de RQTH, puissent aller comme n’importe quel personne travailler en milieu ordinaire.
- L’emploi accompagné est un thème que Messidor connaît bien. Pouvez-vous nous raconter l’expérience de Messidor dans ce domaine ?
C’est une réflexion qui a eu lieu en interne pour justement s’adresser à ces personnes qui ne voulaient pas être en ESAT ou en EA, ou ne souhaitaient pas demander de RQTH. Nous y avons réfléchi dans un plan d’action 2005-2010. C’est à ce moment-là aussi que nous avons rencontré Bernard Pachoud, psychiatre et professeur de psychopathologie, et Inès de Pierrefeu, Psychologue clinicienne et Doctorante à l’Université Paris-Diderot, qui travaillent tous deux sur la problématique de l’insertion professionnelle et ont entamé avec nous la démarche de recherche sur les pratiques de Messidor. Devant nos interrogations, Bernard Pachoud nous a mis en contact avec le professeur Marc Corbière, chercheur au centre de recherche en santé mentale de Montréal, qui s’intéresse aux facteurs de réinsertion des personnes en situation de handicap psychique sur le marché du travail ordinaire. Nous avons alors découvert le dispositif « jobcoaching » dans les pays anglo-saxons. À partir de ce moment-là on a lu la littérature s’y rapportant et on a essayé de voir comment on pouvait adapter le dispositif anglo-saxon à la France, en sachant que le code du travail est différent, que les facilités pour entrer et sortir de l’entreprise ne sont pas les mêmes. Nous avons embauché à ce moment-là un chef de projet qui a conceptualisé la méthode anglo-saxonne (IPS) de manière à l’adapter au Code du travail français. Nous avons commencé avec une jobcoach, qui a travaillé sur un bassin d’emploi en Haute-Savoie, pour vérifier si ça pouvait fonctionner, faire des allers-retours, modifier le processus et le balisage d’accompagnement. Très vite, nous avons vu que les premières personnes qui entraient dans le dispositif décrochaient un contrat de travail, à notre agréable surprise. Et donc, nous avons très vite fait appel à une deuxième jobcoach, puis une troisième sur le bassin d’emploi d’Annecy, premier département concerné. Et ensuite, nous avons développé ce concept sur les autres départements où Messidor était implanté.
Actuellement les départements concernés sont : la Haute-Savoie, le Rhône, l’Isère, la Loire, la Drôme, la Charente-Maritime, la région parisienne, Beauvais et la Saône-et-Loire, où l’on a développé le dispositif avec les personnes qui ont repris le concept de transition de Messidor – donc les associations qui font partie du « réseau Transition » aujourd’hui.
- Quel est le rôle d’un jobcoach ?
Le jobcoach est attaché à un bassin d’emploi, bien identifié. Il ne faut pas qu’il passe trop de temps dans la voiture, il vaut mieux qu’il passe beaucoup plus de temps dans l’entreprise et avec les personnes. Son rôle c’est vraiment de connaître les entreprises avec lesquelles il travaille ainsi que leur fonctionnement, et de connaître aussi très bien le projet et le potentiel des personnes, de façon à faciliter la mise en emploi des personnes handicapées. On part du projet de la personne, de ce qu’elle a envie de faire, de ses motivations, car c’est ce qui fait qu’elle va pouvoir décrocher son premier contrat. À partir du premier contrat on va construire, étayer, refaire de la formation si besoin… mais c’est d’abord du placement et ensuite éventuellement de la formation, mais jamais l’inverse. On est à l’inverse de la méthode française. On est sur le « Place and train », c’est-à-dire placer et éventuellement former derrière.
- Quelles sont les particularités du jobcoaching, concept développé par Messidor ?
Messidor a toujours une origine sur le handicap psychique. On a commencé à faire fonctionner le jobcoaching avec ce type de handicap parce que c’était la demande. Cela correspond aussi au public qu’on accueille parce que ce sont des personnes qui ont souvent un cursus scolaire, universitaire, voire une expérience professionnelle, donc un bagage et un potentiel qui permettent d’accéder à l’entreprise… Notre travail à nous c’est de faire en sorte que la personne puisse révéler ce potentiel. C’est tout l’art des jobcoaches d’aider la personne à trouver sa motivation pour qu’elle révèle son potentiel dans l’entreprise.
La loi travail (juillet 2016) et le décret d’application « Emploi accompagné »
- Avez-vous participé à l’élaboration de ces deux textes ? Si oui de quelle manière ?
Cela a commencé par une rencontre au ministère, au mois d’octobre 2015, avec Ségolène Neuville, Secrétaire d’État auprès de la ministre des Affaires sociales et de la Santé, chargée des Personnes handicapées et de la Lutte contre l’exclusion. Ensuite, j’ai été invité à l’Élysée dans le cadre de la CNH du mois de mai 2016 (Conférence Nationale du Handicap), sur la table ronde l’emploi accompagné, où j’ai témoigné sur l’expérience de Messidor et ses résultats en termes de contrats de travail et de processus. À l’issue de ce travail-là, il y a un échange avec le ministère et la FEGAPEI, sur l’élaboration d’un projet d’amendement à la loi travail rédigé par le ministère. La loi est passée, l’amendement est passé, et derrière, j’ai participé à un travail sur le décret, étant membre du CNCPH et de son groupe emploi et formation.
- Que pensez-vous du résultat obtenu en termes législatifs ?
Ce texte qui permet l’accès direct à l’entreprise est une excellente chose pour l’emploi des personnes handicapées en France. Même si des voix se sont parfois élevées lors des différentes étapes du processus, je me suis attaché à ce que le texte passe à chaque fois qu’il a fallu voter. Parce que même si ce n’était pas parfait – notamment sur le fait que la RQTH soit obligatoire pour bénéficier de ce dispositif – même si le financement n’était pas bouclé (parce que les 5 millions d’euros annoncés par le chef de l’État à la CNH ne sont pas suffisants), ce qui est important c’est que ce soit maintenant inscrit dans la loi. On aura toujours le temps d’améliorer les choses, de trouver des aménagements. Mais si ça n’avait pas été inscrit dans la loi, ça n’aurait jamais existé. Aujourd’hui ça existe.
- Quelles suites et évolutions souhaiteriez-vous voir intervenir sur le terrain de l’emploi accompagné ?
Je souhaiterais que le dispositif d’emploi accompagné soit ouvert même à des personnes qui ne disposent pas de la RQTH, particulièrement pour les personnes éloignées de l’emploi pour des troubles psychiques graves.
Par ailleurs nous devons trouver une solution pérenne pour le financement de ce dispositif. Je travaille sur une proposition dans ce sens. Je pense que l’État, à travers les ARS, ne devrait abonder qu’à 50% du dispositif. Les autres 50% du dispositif devraient se trouver en facturant nos prestations aux entreprises ou aux collectivités qui font appel à l’emploi accompagné. Eux-mêmes pourraient se faire rembourser par le FIPHFP ou par l’Agefiph. C’est comme ça que je vois la meilleure façon de s’organiser. Cela impliquerait les entreprises et collectivités, le FIPHFP, l’Agefiph, mais avec une notion de résultat : « Je finance parce que je bénéficie d’un service, et je rembourse parce qu’il y a un résultat d’insertion ». C’est cette notion, d’efficience et d’efficacité qui m’intéresse. - Pouvez-vous nous présenter la feuille de route de Messidor pour les années à venir ?
Notre stratégie quinquennale 2017-2021 repose sur plusieurs grandes actions.
– Continuer à apporter une réponse accompagnée vers et dans l’emploi pour toutes les personnes handicapées psychiques qui le souhaitent. Cela passe par les ESAT, les EA de transition et le dispositif jobcoaching, mais aussi par un atelier de diagnostic professionnel destiné à repérer les habiletés sociales et professionnelles des personnes et à faciliter les orientations par les MDPH. En parallèle, l’ouverture d’un Club House sur le territoire lyonnais aidera les personnes vivant avec des troubles psychiques à retrouver un projet de vie et à s’orienter vers un retour à l’activité professionnelle. Autre structure complémentaire : le réseau de remédiation cognitive chargé de faire le lien avec le sanitaire et les soins.
– Promouvoir le droit d’accès à l’emploi en milieu ordinaire pour tous les travailleurs handicapés psychiques qui le souhaitent, même à temps partiel. Les personnes handicapées psychiques ont souvent des capacités pour travailler, mais elles ont besoin d’un accompagnement dans l’emploi et d’un temps de travail adapté, d’où la nécessité de compensation du handicap par un temps partiel. Mais trop souvent ils perdent le complément AAH dès qu’ils prennent un emploi en entreprise et ne peuvent pas vivre seulement avec un salaire partiel, d’où un retour à l’ESAT ou l’EA si ce n’est au chômage. Dans le même temps beaucoup d’employeurs ont des emplois à temps partiel à pourvoir et peinent à recruter sur ces postes. C’est pourquoi nous souhaitons œuvrer pour la mise en place d’une AAH différentielle « favorable » pour inciter l’accès et le maintien dans l’emploi en milieu ordinaire des personnes handicapées. Et ce, tout en continuant à développer le dispositif d’emploi accompagné pour que ces personnes soient suivies dans leurs projets d’insertion en milieu ordinaire. Nous proposons également de créer dans les entreprises une nouvelle mission visant à donner les moyens à l’employeur d’améliorer sa politique de ressources humaines en faveur des personnes handicapées. Nous pourrions ainsi imaginer une mission « ambassadeur du handicap » qui serait confiée à des personnes volontaires et formées au sein de chaque entreprise concernée (référence à la mission de secouriste de travail). Chaque ambassadeur du handicap serait formé aux différents types de handicap et serait l’interlocuteur privilégié du travailleur en situation de handicap, du médecin du travail et des représentants du personnel.
– Proposer la « franchise sociale Messidor » sur l’ensemble du territoire national. Cette mesure qui s’inscrit dans le cadre du redéploiement de l’offre médico-sociale en France, a pour but d’accélérer la réponse aux besoins de solution de travail comme facteur de rétablissement pour les personnes handicapées psychiques. Depuis la loi de 2005 qui a reconnu ce handicap au même titre que les autres handicaps, plus de 50% des nouvelles demandes de RQTH relèvent du handicap psychique. Or, seuls quelques ESAT en France sur les 1400 existants proposent un accompagnement dédié, avec du personnel formé pour ces personnes, et trop peu portent un projet de transition vers l’emploi en milieu ordinaire. Le déficit est déjà flagrant. Aujourd’hui, nous constatons que 30% des personnes ayant effectué un parcours de transition chez Messidor obtiennent un emploi pérenne. C’est fort de ce résultat et de ses 40 ans d’expérience que Messidor a décidé d’essaimer sa méthode en proposant une franchise sociale aux associations et établissements gestionnaires de places d’ESAT. L’objectif à long terme est que sur chaque département français il soit redéployé 50 places d’ESAT, et créé un « ESAT de transition modèle Messidor » pour les personnes handicapées psychiques. Ce système se mettra en place sur le mode innovant d’une franchise sociale, première étape d’une plateforme de transition, qui sera complétée au fil des besoins par une « entreprise adaptée de transition » et un dispositif de jobcoaching, afin d’offrir une réponse accompagnée vers l’emploi pour tous. Compte tenu du contexte budgétaire, il ne s’agit pas de demander la création de places supplémentaires, mais de redéployer des places d’ESAT déjà existantes en direction des personnes souffrant de troubles psychiques.
Pour réussir ce redéploiement, trois conditions seront requises :
* Accepter le principe d’établissements dédiés au handicap psychique pour éviter la mixité avec les autres formes de handicap trop souvent maltraitant.
* Les encadrants devront être formés pour savoir adopter une posture particulière pour favoriser le rétablissement des personnes accompagnées.
* Sur le plan économique, un ESAT de transition doit disposer d’au moins d’une cinquantaine de places pour atteindre l’équilibre financier au terme de la montée en régime d’environ 3 ans. Cet équilibre permet un accompagnement minutieux grâce à de petites équipes et dans la durée.
- Un commentaire par rapport aux élections présidentielles ?
Je souhaiterais que le handicap psychique soit reconnu grande cause nationale, pour faire avancer cette problématique qui est importante et qui va l’être de plus en plus parce que le nombre de personnes atteintes de troubles psychiques, pas forcément reconnus handicapés, est en augmentation. Cela va être une vraie préoccupation nationale. Au moins une fois dans sa vie, un tiers de la population sera touchée par un trouble psychique, selon l’OMS. N’attendons pas d’être dos au mur pour prendre des dispositions. Étant également vice-président de l’association Santé mentale France. Nous portons avec l’UNAFAM un plaidoyer pour un plan handicap psychique à l’attention des candidats à l’élection présidentielle.
Messidor et le jobcoaching
- 178 contrats de travail jobcoaching signés du 1er au 31 décembre 2016
– 98 CDD inférieurs à 6 mois
– 56 CDD supérieurs à 6 mois
– 24 CDI.• En 2015, Messidor avait déjà recensé 103 contrats de travail jobcoaching. Il y a donc eu une augmentation importante, essentiellement liée à l’augmentation du nombre de jobcoachs.Plus d’infos sur : www.messidor.asso.fr
+ Photo Thierry Brun : Thierry Brun, directeur général de Messidor.