Gros plan sur les différentes politiques Emploi et handicap en Europe !
Emploi et handicap en Europe. Dans ce nouveau dossier d’Handirect dédié à l’emploi, nous vous proposons de découvrir en exclusivité l’analyse de Serge Milano, économiste universitaire qui s’est penché sur la question des différentes politiques emploi et handicap en Europe et en France.
1°) La politique française en faveur de l’emploi des personnes handicapées de 1987 est-elle partie sur de bonnes bases ?
Dans un rapport daté de 2002, la Cour des comptes portait un jugement sévère sur la politique de l’emploi des personnes handicapées, mettant en cause l’Agefiph, mais aussi l’Agence pour l’emploi et l’État. Voici quelques extraits.
Dès l’origine les pouvoirs publics ne semblent pas avoir pris la mesure de la situation, comme en témoigne l’insuffisance des instruments statistiques. S’agissant d’une donnée aussi essentielle que le taux d’emploi des travailleurs handicapés, cette carence des outils statistiques est révélatrice d’un système où, dans le secteur privé, moyennant une contribution au montant peu pénalisant, l’obligation d’emploi instituée par la loi apparaît très largement théorique. Les acteurs économiques et politiques se sont progressivement accommodés d’un tel système et ont renoncé à mettre en œuvre une véritable politique de discrimination positive en faveur des personnes handicapées. La Cour constate aussi que les partenaires de l’AGEFIPH dans le service public de l’emploi se mobilisent peu, spontanément, pour le public des personnes handicapées qui ne font pas partie, en tant que telles, des publics prioritaires identifiés au niveau national. Dans ces conditions, les observations faites au sujet de l’AGEFIPH n’apparaissent pas dissociables d’une politique publique qui souffre de l’absence de volontarisme des pouvoirs publics, seule condition pour qu’elle trouve le second souffle dont elle a manifestement besoin comme l’atteste le fait que, 15 ans après la loi de 1987, l’Etat et l’AGEFIPH dans la convention quinquennale qui les lie, continuent de s’assigner pour objectif de « faire progresser, de manière régulière et significative vers l’objectif fixé par la loi le taux actuel d’emploi des travailleurs handicapés dans les entreprises d’au moins 20 salariés ». Quelques années plus tard, en 2010, le rapport du Sénateur P. Blanc évoque encore « des dysfonctionnements dans le pilotage des politiques d’insertion des personnes handicapées, l’État et le service public de l’emploi ne jouant pas pleinement leur rôle ».
2°) La réforme de 2005 a-t-elle amélioré le texte existant ?
La loi du 11 février 2005 n’avait pas l’emploi pour objet. Elle n’évoque la question de l’emploi que de manière marginale, sans rien modifier fondamentalement. Mais les quelques inflexions qu’elle apporte au texte de 1987 sont significatives et ont eu un impact certain. Si la loi de 1987 a été la Belle au bois dormant, la loi de 2005 l’a réveillée.
- a) La loi de 2005 a augmenté le montant de la contribution que doivent payer les entreprises qui ne satisfont pas leur obligation d’emploi.
- b) Elle a étendu cette sanction financière au secteur public.
- c) Elle a posé le principe Un égal Un mettant fin au système des unités bénéficiaires qui faisait considérer une personne handicapée en emploi comme valant « un », cette valeur étant ensuite affectée de différents coefficients en fonction de l’âge, de la formation, etc., jusqu’à compter pour 5,5 unités. La conséquence immédiate de ce nouveau système a été que beaucoup d’entreprises ayant jusqu’ici un taux de 6% grâce à la pondération des unités bénéficiaires se sont retrouvées avec un taux de 1% et ont dû payer une cotisation à laquelle elles avaient échappé jusque-là. Conséquence : en 2007, donc sur la DOETH de 2006, les recettes de cotisations ont progressé en un an de 250 millions d’euros. Un vrai pactole pour Agefiph.
- d) Un égal Un a conduit à transposer sur le montant de la contribution les pondérations qui s’appliquaient jusqu’ici sur les effectifs. Ce sont les coefficients de minoration en fonction de l’âge, de la formation, etc. Et c’est aussi la possibilité de déduire du montant de la cotisation certaines dépenses liées au handicap.
- e) La loi de 2005 a aussi étendu l’obligation de négociation au niveau de la branche et précisé la périodicité de cette négociation.
- f) Enfin, la loi de 2005 a opéré un changement de paradigme concernant l’AAH, dont on n’a pas encore tiré toutes les conséquences. Désormais, les personnes handicapées qui ne peuvent pas travailler doivent en apporter la preuve et, si tel est le cas, bénéficient d’une majoration qui porte leur AAH à 80% du SMIC net. C’est ce qu’on a appel la Garantie de Ressources des Personnes Handicapées (GRPH), vocalement proche de l’ancienne GRTH. Par conséquent, toutes les autres personnes titulaires de l’AAH sont réputées pouvoir travailler. C’est une inversion de la logique traditionnelle, un renversement de la charge de la preuve parce que jusqu’en 2005, étaient présumés de pas pouvoir travailler les allocataires au taux de 80% et étaient présumés pourvoir travailler sauf à en apporter la preuve contraire les allocataires entre 50 et 80%. La conséquence aurait été d’abolir la distinction entre AAH à 80% et AAH entre 50 et 80%. Cela n’a pas été fait, la DGAS ayant du mal à comprendre le sens de cette réforme. Par contre, l’AAH fait désormais partie des titres d’accès au bénéfice de l’obligation d’emploi.
3°) La loi de 1987 est-elle complète ? Quelle est sa philosophie ?
La loi comporte les trois éléments constitutifs de toute loi d’obligation : une obligation, qui consiste à employer 6% de travailleurs handicapés; une sanction, qui consiste à payer une contribution financière en cas de non respect de ce quota; un fonds de financement, qui prélève cette cotisation et en redistribue le produit aux entreprises qui veulent faire des efforts pour l’emploi des personnes handicapées. En ce sens, la loi est complète.
Quelle est sa philosophie ? La participation. Participation des personnes handicapées à la vie active, grâce à leur insertion sur le marché ordinaire du travail. Participation des entreprises à cet effort d’insertion et, au-delà, à une politique de l’emploi qui engage, comme on disait en 1975, « la nation tout entière ».
La loi de 1987 se présente comme une loi d’obligation (pour les entreprises), mais elle est en réalité une loi de participation (des entreprises) à l’emploi des personnes handicapées. Une loi d’obligation n’admet qu’une seule modalité de mise en œuvre : l’embauche directe. C’est le cas en Allemagne. Ce n’est pas le cas de la loi de 1987, qui comporte plusieurs modalités de mise en œuvre de l’obligation, que le Rapporteur de la loi à l’Assemblée Nationale appelle joliment « des alternatives ingénieuses », par ailleurs augmentées encore récemment. Il y avait initialement quatre modalités de mise en œuvre de l’obligation : l’embauche directe, un accord d’entreprise, un contrat de sous-traitance avec le secteur protégé, et le versement d’une contribution à un fonds de développement de l’insertion des personnes handicapées. En 2002, y a été ajouté le recrutement de stagiaires. Les catégories de stages ont été élargies en 2008 puis par la loi Macron. Tout ceci, bien sûr, dans certaines limites. La sous-traitance ne peut excéder la moitié de l’obligation d’emploi et se limite donc à 3%. Les stages ne peuvent excéder le tiers de l’OETH et se limitent donc à 2%, les accords évitent de verser une contribution mais ont plusieurs contreparties dont l’élaboration d’un plan d’embauche. Ces alternatives ingénieuses font que, théoriquement, l’obligation d’emploi est de 0%.
4°) Une loi spécifique aux personnes handicapées est-elle vraiment nécessaire. Si oui, pourquoi ?
Tout dépend du pays. Personne n’imagine les USA faire une loi d’obligation (de quoi que ce soit). En revanche, personne n’a jamais imaginé que l’URSS pourrait faire une loi d’incitation (de quoi que ce soit). Tout l’enjeu est là : obligation ou incitation. En France, l’obligation a parfois été un moyen de faire avancer les choses : c’est le cas pour l’emploi des personnes handicapées. Mais faut-il en rester là ? Aujourd’hui, associations et entreprises s’entendent pour davantage d’incitation et moins de contraintes ; pour davantage de coopération entre milieu protégé et milieu ordinaire ; pour davantge d’accompagnement vers et dans l’emploi… Bref, on s’entend pour aller au-delà de la stricte obligation d’emploi. Ce faisant, on va aussi au-delà d’une politique spécifique des personnes handicapées. Le handicap devient un élément de la diversité dans laquelle s’enracine notre démocratie et dans laquelle les entreprises puisent aujourd’hui leur force. Pour autant, la « banalisation » du handicap n’est encore en France qu’une tendance naissante et notre société n’est pas prête à renoncer complètement à une politique spécifique. Il faut pourtant commencer à y penser car les textes internationaux nous y invitent. Je pense en particulier à la Convention des droits de l’ONU de 2006 qui n’envisagent même plus l’emploi en milieu protégé comme forme d’emploi pour les personnes handicapées. C’est d’ailleurs tout le sens de cette convention et de la Classification internationale du fonctionnement et du handicap de l’OMS que d’aller vers la négation du handicap au sens traditionnel pour promouvoir une société adaptée à tous et sans obstacle pour personne. Mais sommes-nous prêts à suggérer dès maintenant un premier pas à la prochaine majorité gouvernementale, qui serait de supprimer les ministères dédiés, notamment le secrétariat d’État aux personnes handicapées ?
5°) Cette loi est-elle adaptée à l’économie actuelle ? Est-elle adaptée à la population des personnes handicapées en France ?
La loi n’est pas faite en fonction des circonstances. Certes, le ministre, Ph. SEGUIN, n’a jamais manqué pendant la discussion de la loi de rappeler qu’il y avait du chômage et qu’en période chômage il fallait faire des efforts encore plus grands pour les personnes handicapées. Mais cela est pure rhétorique. En fait, il s’agit de savoir quelle est la justification du taux de 6% alors qu’en 1987 une loi de 1924 imposait 10% d’emploi obligatoire pour différentes catégories d’invalides et une loi de 1957 imposaient de réserver 3% dans ces 10% pour les travailleurs handicapés. L’explication de Ph. Seguin a été très simple : 6% est le taux effectivement réalisé en moyenne dans les années 80. Par conséquent c’est un taux réaliste. Cela dit, le raisonnement du ministre était un peu plus complexe et même contestable. Partant de l’observation des 6%, il affirmait (avec raison) que beaucoup de bénéficiaires de l’obligation n’étaient pas vraiment des invalides et il les a sortis des effectifs bénéficiaires. Par contre, il y a ajouté des « nouveaux » et « vrais » invalides, ceux qui ont obtenu une RQTH, la diminution des uns permettant l’augmentation des autres dans le respect du taux de 6%. Ce qui est contestable, c’est que les nouveaux 6% sont beaucoup plus pénalisants pour les entreprises que les anciens. Par conséquent, il ne fallait pas s’attendre à ce que les 6% observés jusque là soient vraiment respectés. Et, en fait, les employeurs ont recouru aux différentes modalités de mise en œuvre de l’obligation plutôt qu’à l’embauche directe.
Les 6% sont-ils encore justifiés aujourd’hui ? Si l’on suivait le même raisonnement que le ministre, il faudrait immédiatement abaisser ce taux à 3%. Mais c’est absurde. Car il faudrait faire varier ce taux dans la loi lorsqu’il varie dans les faits et l’entraînement réciproque de l’attendu et du réalisé créerait une dynamique absurde et imprévisible (mais les économistes de la théorie des jeux y trouveraient une source de joie). Mieux vaut se demander ce que représentent ces 6% pour les établissements soumis à l’obligation d’emploi. D’après le ministère du travail (DARES), les 6% deviennent statistiquement 5,4% (compte tenu des arrondis à l’unité immédiatement inférieure) et ces 5,4% appliqués aux 9 255 000 salariés assujettis des 101 000 établissements assujettis en 2014 font une obligation d’emploi de 503 900 personnes. Il n’est guère pertinent de rapporter ce chiffre à celui des personnes handicapées inscrites comme demandeurs d’emploi car le nombre de ces inscriptions serait certainement beaucoup plus élevé si les perspectives d’emploi étaient supérieures à ce qu’elles sont aujourd’hui. De même, il serait inutile de fixer une obligation en fonction du nombre de personnes handicapées qui souhaitent un emploi, sauf à accompagner cette obligation des moyens nécessaires à sa mise en œuvre. Si l’on en reste au taux actuel de 6%, on doit constater que, dans le secteur privé, l’emploi en personnes physiques était de 400 400 personnes handicapées en 2014, soit les 4/5 ou 80% de l’obligation d’emploi de 503 900. L’emploi en unités bénéficiaires est plus faible, soit 333 200, donc 66% de l’obligation d’emploi de 503 900. Et si on tient compte des emplois en équivalent temps plein, l’emploi tombe à 304 300, soit 60% de ladite obligation d’emploi. Encore faut-il remarquer que les 6% sont ici analysés exclusivement en emploi direct. Or, la loi prévoit des modalités de mise en œuvre de cette obligation.
Chacun comprend facilement que 6% d’emploi direct (qui est l’objectif de la loi de 1987) n’a pas le même sens que 6% obtenus grâce aux multiples modalités de mise en œuvre de l’OETH. On a trop tendance à confondre taux d’emploi et taux de satisfaction de l’OETH. Or, ce sont deux concepts bien différents car, à la limite, on peut légalement avoir un taux de satisfaction de l’OETH égal à 100% et un taux d’emploi égal à 0% (6% = 3% sous-traitance + 2% stagiaires + 1% contribution financière).
Bien plus, à en rester à une lecture strictement littérale du code du travail, le taux de satisfaction de l’OETH est toujours, à chaque instant et pour toutes les entreprises, de 100% puisqu’il s’obtient en additionnant les différentes modalités d’acquittement de l’OETH dont la contribution financière !
Chacun comprend aussi que la réalisation du taux de 6% n’a pas le même sens selon que ce taux est atteint dans l’ensemble des établissements assujettis ou ne l’est qu’en moyenne, laissant par conséquent certains établissements en dessous voire très en dessous de 6%. Or, on ne dispose pas au niveau national des unités manquantes dans les établissements. Cette donnée existe parfois au niveau régional. Par exemple, la Région Rhône-Alpes fournit une statistique des UB manquantes (et des UB en excédent) à partir de l’idée simple : c’est sur la base des unités manquantes que se calcule la contribution Agefiph. Ces unités manquantes sont calculées pour chaque établissement à partir du volume d’unités résultant de la différence entre l’obligation totale et les UB bénéficiaires directes et indirectes, puis totalisées.
6°) Cette loi est-elle unique en Europe ? En quoi la loi Française se distingue-t-elle des autres politiques emploi et handicap en Europe?
Non, la loi de 1987 n’est pas unique en Europe. Les pays qui ont une législation très proche, voir quasiment identique, sont l’Allemagne (dont la loi française s’est inspirée) et l’Autriche. D’autres pays ont une législation d’obligation d’emploi mais assez différente de celle de la France sous tel ou tel aspect : c’est le cas du Luxembourg, de l’Italie, de l’Espagne. Sans entrer dans une comparaison pays par pays qui entraînerait bien au-delà cet article, on peut attirer l’attention sur quelques aspects significatifs.
- a) Voici l’exemple de la RQTH. A l’exception du Luxembourg, aucun pays européen ne connaît la notion de travailleur handicapé ni la procédure de RQTH que nous avons en France.
1°) En Europe, l’accès à l’OETH se fait directement dès lors qu’un taux déterminé de handicap a été reconnu à une personne. En Allemagne comme en Espagne, il appartient alors au demandeur de s’inscrire auprès de l’agence pour l’emploi où s’effectue la sélection et l’orientation, selon des modalités différentes mais toujours de manière personnalisée, des personnes aptes à l’emploi.
2°) Au Luxembourg, la RQTH présente des caractéristiques qui ne permettent pas de l’assimiler à la RQTH française. D’une part, elle est l’équivalent de notre liste de bénéficiaires de l’OETH et non pas l’équivalent de notre RQTH. D’autre part, elle est contraignante pour l’intéressé (alors qu’elle lui laisse toute liberté en France), son bénéficiaire devant s’inscrire à l’agence de l’emploi, ne pas refuser l’emploi qui lui est proposé sous peine de perdre ses droits à l’emploi réservé dans le secteur public et ses droits au revenu minimum. Inversement, le droit au revenu minimum lui est acquis s’il ne trouve pas d’emploi.
- b) Il n’y a en France aucun rapport public de suivi de la loi et il a fallu attendre la 3è conférence nationale du handicap, en décembre 2015, pour disposer du 1er bilan depuis 1987 (30 ans !) des accords collectifs, la Direction générale du travail publiant tous deux ans depuis 2005 une recension des principaux accords. Les publications des organismes spécialisés (DARES, AGEFIPH, POLE EMPLOI) sont elles-mêmes faméliques.
Deux exemples étrangers en termes d’ emploi et handicap en Europe permettent de situer la « performance » française.
En Italie, le Gouvernement présente tous les deux ans un rapport au Parlement sur la mise en œuvre de la loi relative à l’obligation d’emploi. Le dernier rapport, publié en août 2014, porte sur la période 2012-2013 et s’étend sur 384 pages.
En Allemagne, le suivi de l’obligation d’emploi est assuré par l’Agence fédérale de l’emploi qui publie chaque année une statistique détaillée des résultats de l’obligation, sans commentaire. L’Agence publie par ailleurs deux fois par an une analyse (18 pages) du marché du travail pour les personnes gravement handicapées (dernière publication, mai 2016) et a publié début 2015 un rapport spécial (40 pages) sur le marché du travail pour personnes gravement handicapées en 2014. A cela s’ajoutent les nombreuses et substantielles publications du gouvernement fédéral, des gouvernements régionaux et des organismes de réadaptation.
- c) L’Etat français n’a pas de marges de manœuvre pour la politique d’emploi des personnes handicapées, alors même que la loi du 28 juillet 2011 l’a explicitement désigné comme pilote de la politique de l’emploi des personnes handicapées. Ses seuls et traditionnels moyens d’action sont les aides au secteur protégé et adapté. En Allemagne, au contraire, outre ces aides possibles, l’Etat fédéral dispose de 20% du produit de la contribution des entreprises qu’il gère avec les associations et qui lui permets d’engager des programmes expérimentaux. Il est intéressant de savoir que depuis 10 ans, les ressources allemandes sont inférieures aux ressources françaises
Tableau 1. – Produit de la taxe de compensation, en millions €. – Comparaison France-Allemagne – Emploi et handicap en Europe
2014 | 2013 | 2012 | 2011 | 2010 | 2009 | 2008 | 2007 | 2006 | |
France | 553 | 590 | 640 | 672 | 753 | 759 | 739 | 714 | 462 |
Agefiph | 422 | 441 | 476 | 484 | 539 | 574 | 592 | 604 | 424 |
FIPHFP | 131 | 149 | 164 | 188 | 214 | 185 | 147 | 110 | 38 |
Allemagne | 543 | 531 | 486 | 479 | 466 | 518 | 520 | 479 | 466 |
France / RFA | 1,02 | 1,11 | 1,32 | 1,40 | 1,62 | 1,47 | 1,42 | 1,49 | 0,99 |
COMMENTAIRES – Emploi et handicap en Europe | |||||||||
Source. – Pour la France, Agefiph, Rapports annuels et Chiffres clé | |||||||||
Pour l’Allemagne, Rapports annuels du BIH et ZB info | |||||||||
En Allemagne, l’augmentation du produit de la taxe en 2013 résulte de la hausse des montants | |||||||||
de la taxe compensation intervenue en 2012 avec effet en 2013 | |||||||||
Rapport démographique 2013 France / RFA = 0,80 |
7°) Pouvez-vous nous parler des lois de deux ou trois autres pays d’Europe ? En quoi se distinguent-elles de la loi française ? Les objectifs sont-ils les mêmes ?
On peut citer plusieurs exemples parmi les différentes politiques emploi et handicap en Europe.
En Allemagne, l’obligation d’emploi date de 1974 et a été modifiée en 2000. Au moment où la France votait en 2005 le durcissement des sanctions sur les entreprises, l’Allemagne, au contraire, les allégeaient : réduction de 6% à 5% du taux d’emploi obligatoire, et contribution financière incitative car fonction du taux d’emploi (et non pas comme en France, fonction de la taille de l’entreprise). Par ailleurs, les contrats de sous-traitance avec le secteur protégé ouvrent droit à une réduction de la contribution financière, mais ne procurent aucun équivalent emploi, de sorte que les entreprises ne sont considérées comme ayant satisfait leur obligation que lorsqu’elles atteignent effectivement 5%.
Le dispositif institutionnel est aussi différent du dispositif français. C’est l’Agence fédérale de l’emploi qui assure la régulation du système de l’emploi pour personnes handicapés grâce à deux types d’opérateurs. D’une part, les Offices d’intégration. Ils sont, mutais mutandis, l’équivalent de l’Agefiph et du FIPHFP, mais avec un statut public (l’Agefiph est une association de droit privé). En outre, ils délivrent ou non l’autorisation de licenciement des travailleurs handicapées. D’autre part, les services techniques d’intégration, qui sont des associations de droit privé équivalant des Cap emploi et des Sameth, qui travaillent sur ordre des offices intégration ou de l’Agence fédérale ainsi qu’à la demande des entreprises. Par ailleurs, les ressources de la taxe de compensation que les employeurs payent aux Offices d’intégration vont à hauteur de 20% (100 millions € par an) à un fonds administré par le ministère fédéral du travail et des affaires sociales et géré avec les associations.
Enfin, les personnes handicapées bénéficient d’une très forte représentation, inconnue en France, à tous les niveaux, dans l’entreprise, dans les institutions comme l’Agence fédérale de l’emploi, dans les ministères. Le Conseil placé auprès du ministre du travail et des affaires sociales comprend moins de 50 membres (alors que notre CNCPH est près de 90), et dispose chaque année d’une centaine de millions d’euros à gérer, alors que le CNCPH ne gère aucun fonds.
En ESPAGNE, la loi 51/2003 prévoit qu’une personne handicapée bénéficie de l’obligation d’emploi dès lors qu’elle a un taux de handicap de 33%. Cette règle générale admet quelques exceptions. C’est ainsi que le programme d’emploi accompagné exige un taux de 65% pour les personnes handicapées physiques ou sensorielles alors que 33% suffisent pour les personnes atteintes de paralysie cérébrale, de maladie mentale ou de déficience intellectuelle. Par ailleurs, l’emploi externalisé (les enclaves) possède ses règles propres : 30% pour les personnes atteintes de paralysie cérébrale, de maladie mentale ou déficience intellectuelle ; 65% pour les personnes handicapées physiques ou sensorielles ; 33% pour les femmes handicapées non incluses dans les catégories précédentes. Tous les autres travailleurs du site doivent être des travailleurs handicapés ayant un degré de handicap reconnu égal ou supérieur à 33%.
Le décret-loi royal 1/2013 du 29 Novembre confirme l’obligation d’emploi pour les entreprises publiques et privées qui emploient un nombre égal ou supérieur à 50 salariés, d’employer au moins 2 pour 100 de personnes handicapées. Dans le cas de l’administration publique, le quota d’emploi s’élève à 5 voire 7 pour 100. Pour le décompte des salariés on tient compte de l’ensemble du personnel, indépendamment du nombre d’établissements, ainsi que du type de contrat travail qui lie les travailleurs à l’entreprise. Le service public de l’emploi vérifie l’adéquation des postes de travail avec les équipes multidisciplinaires. Les entreprises doivent maintenir le travailleur handicapé pendant trois ans dans son poste de travail. Ou alors l’employeur doit embaucher en substitution sur le même poste.
Dans des cas exceptionnels, les entreprises peuvent être exemptées de leur obligation, totalement ou partiellement, en signant des accords contenus dans la négociation collective sectorielle du niveau de l’Etat et, à défaut, de niveau inférieur, ou par l’option volontaire de l’employeur, dûment communiquée à l’autorité du travail, à condition que dans les deux cas, les mesures alternatives prévues par les règlements soient appliquées.
Les mesures alternatives sont :
- La conclusion d’un contrat commercial ou civil avec un centre spécial d’emploi, ou un travailleur indépendant handicapé,pour la fourniture de matières premières, machines, équipements et autres biens nécessaires pour le développement normal de l’activité de l’entreprisequi opte pour cette mesure.
- La conclusion d’un contrat commercial ou civil avec un centre spécial d’emploi, ou un travailleur indépendant handicapé, pour la fourniture de services annexes et accessoires à l’activité normale de l’entreprise.
- La mise en place d’une enclave de travailaprès la signature du contrat correspondant avec un centre spécial d’emploi, conformément aux dispositions du décret royal 290/2004 du 20 Février, qui réglemente les enclaves du travail (cf. ci-dessous). Les enclaves (enclaves laboral), ou enclaves en entreprise, sont l’emploi temporaire en entreprise de travailleurs handicapés jusqu’ici employés en centres spéciaux d’emploi. L’enclave se distingue de la mise à disposition par sa durée et son caractère collectif. On peut parler d’emploi provisoirement externalisé
- Faire des dons et des activités de parrainage, de nature monétaire,pour le développement d’activités d’insertion professionnelle et de création d’emploi pour les personnes handicapées.
Enfin, l’Espagne dispose d’un secteur protégé semblable au nôtre, qui comprend :
- a) des centres spéciaux d’emploi, dont l’objectif principal est d’adapter la réalisation d’un travail productif rémunéré aux travailleurs ayant des handicaps, travail adapté à leurs caractéristiques personnelles, et qui facilite leur intégration professionnelle sur le marché ordinaire du travail, conformément aux dispositions de l’article 42 de la loi 13/1982.
- b) des centres occupationnels qui sont un service social en vue du développement personnel de la personne de nature, à lui faire surmonter les obstacles à son intégration sociale. Ils ne peuvent en aucun cas avoir le caractère d’un centre de travail. Ils ont pour objectif de fournir : des services de thérapie occupationnelle, et des services d’aide personnelle et sociale aux personnes handicapées qui ne peuvent pas être employées dans les entreprises ordinaires.
8°) Quel pays porte la loi la plus efficace en termes d’ emploi et handicap en Europe ?
Incontestablement l’Allemagne, si on mesure cette efficacité à travers le taux de l’emploi et l’argent dépensé. Le taux obligatoire d’emploi de 5% est presque atteint dans le privé comme dans le public, soit 4,5%. Quant aux moyens engagés, ils sont inférieurs à ceux de la France, alors que le rapport démographique est favorable à la France.
Cela dit, en matière d’ emploi et handicap en Europe, on ne peut pas mesurer l’effet de la loi à travers le seul taux d’emploi. Les bons résultats allemands s’expliquent aussi par une meilleure organisation institutionnelle, un plus fort engagement des entreprises, une mobilisation plus forte de tonte la société allemande sur la question de l’emploi. S’il fallait un symbole simple pour résumer ce qui vient d’être dit, il suffit de penser qu’en France la statistique mensuelle de l’emploi et du chômage qui mobilise tous les médias pendant 48 heures ne contient aucun chiffre sur les handicapés, sans que personne ne s’en offusque. En Allemagne, la même statistique mensuelle comporte une ligne sur le chômage des personnes handicapées.
9°) En quoi ces lois d’ emploi et handicap en Europe peuvent-elles évoluer ?
Les lois d’obligation d’emploi ont-elles les vertus qu’on leur prête ? Il y a bien une étude belge, dont l’auteur souhaite ardemment une obligation d’emploi en Belgique, qui tente de montrer que l’emploi des personnes handicapées est meilleur en France et en Allemagne, deux pays gouvernés par ces lois. Hormis cette étude, aucun autre n’a jamais démontré que l’emploi des personnes handicapées était plus important dans les pays ayant une loi d’obligation et aucune étude n’a jamais démontré le contraire.
Par contre, on connaît la faiblesse de ces lois d’obligation. Elles laissent penser qu’une fois l’obligation posée, tout est fini. S’agissant de l’emploi lui-même, l’obligation n’a de réelles chances de réussir que si l’emploi est préparé, accompagné, qu’il s’agisse de l’accompagnement de la personne handicapée ou de l’accompagnement de son employeur. Or, tout ceci se développe aujourd’hui’ en France après s’être développé dans presque tous les pays européens et remet en cause l’obligation traditionnelle d’emploi. Ou plus exactement fait de cette obligation un élément parmi d’autre (important, bien sûr) d’une politique du handicap qui ne se réduit pas à une simple obligation. S’agissant du taux d’emploi (6%), que doit-il se passer une fois ce taux atteint ? Car dans ce cas, les entreprises sous accord ne disposent plus de budget. Faut-il donc en rester là, mission accomplie ! Ou licencier tous les travailleurs handicapés pour les réembaucher et aller à nouveau vers les 6% ? On démontre ici par l’absurde que le quota (6%) ne peut être qu’un minimum et qu’il faut compléter la loi pour organiser l’emploi au-delà de ces 6%.
10°) Une seule loi emploi et handicap en Europe applicable à tous les pays européens est-elle envisageable ?
Non, certainement pas. Chaque pays a sa manière de voir la question de l’emploi des personnes handicapées. Ce n’est pas l’obligation (France, Allemagne) contre la non discrimination (Angleterre, USA), le bien contre le mal. S’il est vrai que les comportements sont à la fois gouvernés par des valeurs et attribution de sens, alors il faut admettre que chaque société a les lois qu’elle mérite.
Serge Milano
Emploi et handicap en Europe
Serge Milano
Economiste universitaire, Serge Milano a rejoint l’administration centrale du ministère en charge des affaires sociale en février 1981 (Direction de l’action sociale) où il a été successivement chef du bureau Etudes et RCB puis Chef du bureau de la formation des travailleurs sociaux et des orientations générales du travail social, avant d’être nommé Conseiller social à l’Ambassade de France à Bonn (1991-1995) puis à Berlin (1998-2002). Il a été membre du cabinet du ministre J. Barrot en 1995, puis de plusieurs cabinets ministériels de 2002 à 2006, notamment en charge de la future loi du 11 février 2005 comme chargé de mission auprès de J-F. Mattei et conseiller spécial auprès de M-T. Boisseau, puis directeur du cabinet de Mme Marie-Anne Montchamp.