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Pairs-accompagnants : Accompagner vers plus d’autonomie

Pairs-accompagnants : Accompagner vers plus d’autonomie
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Accompagner ses pairs : Développer des savoirs expérientiels pour davantage de liberté grâce aux pairs-accompagnants

Par Eve Gardien, Maitre de Conférences en Sociologie, Université Rennes 2, ESO (UMR 6590). Le corps contemporain est spontanément conçu comme valide. Pourtant le corps de demain sera probablement tout autant diversité qu’aujourd’hui. L’évolution des sciences et les progrès de la médecine n’ont pas permis d’éliminer le handicap, la maladie et de nombreuses autres variations corporelles de nos horizons de vie. Dans cette perspective, des pairs-accompagnants s’affairent très concrètement à accompagner d’autres personnes en situation de handicap. Le cœur de cette pratique vise une autonomie accrue de la personne handicapée, au sens de choisir son mode de vie ou encore de réaliser ses aspirations, également d’avoir un contrôle plus abouti sur son existence et son organisation au quotidien.

Choisir sa vie à égalité avec les autres
Or choisir sa vie lorsque l’on est en situation de handicap, suppose non seulement de faire des choix, mais aussi de dépasser une multitude d’obstacles pratiques à leur mise en œuvre. C’est dans la perspective de trouver des solutions concrètes à des problèmes situés que les pairs-accompagnants déploient leur réflexion concernant le rapport corps/environnement.

Bien évidemment, nombre de pairs-accompagnants constatent le manque d’accessibilité du monde qui les entoure. De leur point de vue, si leur mobilité est limitée, la cause n’en est pas tant à rechercher dans la différence corporelle que dans l’inadaptation de l’environnement à leurs diversités. La société serait donc responsable du manque d’accessibilité de l’environnement en général. Le problème est d’ailleurs qualifié de politique puisque des citoyens sont mis en difficulté voire dans l’impossibilité de participer à la vie en société.





Des savoirs issus de l’expérience du corps handicapé
Dans le cadre de sa rééducation après l’accident, un homme blessé médullaire avait été pris en charge par un ergothérapeute, lequel lui avait appris à se brosser les dents seul, de manière assez classique. Voici comment : tout d’abord pour mettre le dentifrice sur les poils de la brosse à dents, il devait poser ladite brosse sur l’évier face à lui, poils vers le ciel, et tenter de presser le tube de dentifrice au-dessus des poils. Après plusieurs tentatives infructueuses (dentifrice pressé sur l’évier, ou encore brosse-à-dents qui roule dans l’évier, etc.), il s’agissait alors de confirmer cette demie réussite par le port de la brosse à dents avec sa dose de dentifrice à l’intérieur de la cavité buccale. Cette épreuve demandait généralement plusieurs tentatives avant de réussir. Chaque échec supposait de parvenir à étaler à nouveau le dentifrice sur les poils de la brosse-à-dents. Le pair-accompagnateur de constater que cette simple tâche quotidienne pouvait demander entre 20 et 30 minutes avant d’aboutir au résultat escompté. Ceci explique son immense surprise le jour où il observe un pair ayant sensiblement le même potentiel corporel que lui, prendre un tube de dentifrice, le porter à sa bouche et le presser, laissant ainsi du dentifrice sur sa langue, puis attraper la brosse-à-dents, frotter et laver, l’ensemble de l’action ayant duré entre deux ou trois minutes. De là, cet homme blessé médullaire réalise à quel point l’usage qu’il fait de son corps est fondé sur un modèle de corps valide. Il avait trouvé normal de reproduire des usages du corps proches des techniques qu’il mobilisait avant son accident sans se poser de question.





Bâtir des savoirs à partir de l’expérience vécue
Aussi le corps différent est aujourd’hui encore essentiellement soigné et rééduqué de façon à reproduire les usages corporels au plus proches des corps dits valides. Le corps blessé est conçu par les professionnels soignants et rééducateurs seulement comme un « moins » par rapport au corps valide, et non pas également comme un potentiel dont il faudrait explorer les possibilités. La conception dominante dans la rééducation des corps aujourd’hui est le rapprochement au plus près du fonctionnement du corps valide pour retrouver fonctionnalité et efficacité.

Pour les pairs-accompagnants, la priorité n’est cependant pas tant la bonne santé, qu’une vie qui vaille le coup d’être vécue. Pour répondre à leurs aspirations, ils doivent donc trouver les moyens corporels de s’inscrire durablement dans un monde peu adapté à leurs potentiels somatiques. C’est pourquoi choisir sa vie tout en étant en situation de handicap peut impliquer d’innover corporellement, parfois même à l’encontre des préconisations médicales. Les savoirs expérientiels sont ainsi une nécessité pour nombre de personnes handicapées ayant opté pour une vie ordinaire dans un monde peu adapté.

Photo : Eve gardien
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