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Entraide en santé mentale : Un groupe créé à Montréal

Branly – Spot 2 – PC
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CAMEE : Le premier groupe d’ entraide en santé mentale à Montréal

Nous allons vous faire découvrir un dispositif d’ entraide en santé mentale né au Québec et qui depuis 30 ans fonctionne avec succès malgré un budget réduit. La clé de la réussite tient à l’idée d’origine et à ses membres, portés par la même envie de partage, d’échange sans qu’aucun jugement ne vienne interférer entre les personnes. Ce dispositif s’appelle CAMEE (centre d’activités pour le maintien de l’équilibre émotionnel). Sa raison d’être : développer l’empowerment des personnes adultes vivant avec un problème de santé mentale par l’entraide et la solidarité, briser leur isolement, développer leur autonomie, favoriser leur réinsertion sociale, promouvoir leurs droits et combattre la pauvreté et les préjugés reliés à la maladie mentale. Nous avons pu échanger avec Jean-Nicolas Ouelett, le directeur ce dispositif et son meilleur supporter.

Présentez-nous le CAMEE.
C’est le premier groupe d’ entraide en santé mentale fondé et géré par et pour des personnes psychiatrisées et ex-psychiatrisées sans l’aide d’intervenant. Il est basé à Montréal Nord. Nous accueillons toutes les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale qui veulent faire un cheminement personnel et vivre l’entraide dans notre groupe, particulièrement celles qui ont un vécu en psychiatrie. Le Centre offre des activités de cheminement personnel et ayant une valeur thérapeutique. Ces activités se tiennent généralement en après-midi. En soirée, l’organisme programme des loisirs.

Comment ce centre est-il né ?
Le centre d’ entraide en santé mentale CAMEE est né en 1986 sous l’impulsion de personnes qui se définissaient comme ex psychiatrisées, qui avait vécu dans la psychiatrie et en étaient très insatisfaits parce que la prise en charge était uniquement médicale. Elles avaient besoin de parler, d’être écoutées, besoin de comprendre leur expérience. Pour cela elles avaient besoin d’échanger avec des personnes qui étaient passées par là pour savoir comment elles s’étaient adaptées et ce qu’elles faisaient pour améliorer leur santé. Cela a commencé avec trois femmes qui ont ouvert un petit groupe de discussion dans un centre communautaire proche d’ici. Les effets positifs se sont tout de suite fait sentir. Elles s’étaient rencontrées par le biais d’une petite annonce sur le journal local. L’une d’elles avait passé cette annonce pour se porter volontaire pour animer un groupe de discussion deux heures par semaine. Ensuite elles ont fait circuler l’Information dans quelques services psychiatriques. Puis le bouche à oreille a pris la suite. Deux heures par semaine se sont vite avérées insuffisantes. C’est là qu’a émergée l’idée d’avoir un lieu à soi. C’est arrivé au moment où au Québec nous vivions la désinstitutionalisation. De fait il y a eu de l’argent mis à disposition de centres de ressources inscrits dans la communauté. C’est grâce à cet argent qu’ils ont pu louer un local, qui est toujours le même. Cela fait donc 30 ans que l’organisme est soutenu par le ministère de la santé. Nous ne touchons  toujours pas assez d’argent mais on peut au moins fonctionner et conserver notre local avec trois employés à temps plein, grâce aussi à d’autres sources de financement. Pour ma part je suis arrivé en 1999.





Comment s’organisent les groupes ? Les personnes concernées s’organisent entre elles ou y a-t-il des professionnels pour les aider ?
Ce sont uniquement les personnes entre elles, il n’y a pas de professionnels de santé dans notre centre. De toute façon nous n’avions pas l’agent et même aujourd’hui en dehors de quelques animateurs d’atelier eux-mêmes concernés par les problèmes de santé mentale, nous n’avons personne. Quoi qu’il en soit, les premiers temps, la seule chose que les gens venaient chercher ici c’était de s’assoir et de parler et avoir une écoute. Les gens souffraient de l’isolement et de ne pas être écoutés dans le réseau de la santé. La plus ancienne activité qui est le groupe de partage est toujours la plus prisée. Ce ne sont que des échanges animés par une personne peut-être mieux portante que les autres, même si elle vient aussi pour une entraide en santé mentale. Les échanges portent sur la semaine précédente, sur les difficultés, sur les solutions trouvées par les uns ou les autres et partager leurs acquis de sagesse. Beaucoup vivent seuls, quelques fois exclus de leur famille. La règle d’or est que chacun doit parler le temps qu’il juge nécessaire mais tout le monde doit rester jusqu’à la fin.

Combien de personnes fréquentent CAMEE ?
Officiellement, à fin 2016 nous avions 107 membres, mais ceux qui fréquentent régulièrement le centre et assidûment les ateliers sont plutôt 60. Bien sûr d’une semaine à l’autre la fréquentation varie car l’accès au centre est totalement libre pours ses adhérents. CAMEE est ouvert du lundi au vendredi et le samedi après-midi. Cela représente plus de 60 heures par semaine de disponibilité. Nous ne voulions pas utiliser le mot psychiatrie dans notre appellation car il stigmatise trop et parfois fait peur. Des personnes ont subi de lourds traumatismes et ont besoin de CAMEE mais elles ne souffrent pas de maladie mentale. Les fondatrices portaient tout un bijou de type Camé, elles ont voulu en faire un signe de ralliement et ont cherché un nom qui s’approchait du nom du bijou, c’est une des anecdotes sympathiques du début que l’on aime raconter.





En 30 ans, quelles statistiques avez-vous pu faire émerger ?
Pour nous l’accès au centre est libre et volontaire donc nous ne faisons pas de statistiques. Notre doyenne est ici depuis 23 ans et nous ne la voyons presque plus, certaines personnes restent six mois puis nous ne les revoyons plus. En fait nous ne gardons en tout et pour tout sur les personnes que leur nom, prénom, et leurs coordonnées car la loi nous l’impose. Ça ne va pas plus loin. Les personnes viennent ici en fonction de leurs besoins et ne sont contraintes à aucune présence et encore moins à nous rendre des comptes sur ce qu’elles font de leur vie en dehors du centre. Même pour celles qui viennent depuis très longtemps, on ne sait rien de leurs problèmes de santé. Elles peuvent venir plusieurs fois par semaine durant plusieurs mois, puis ne venir plus qu’une fois par mois. Ce sont elles qui décident. De plus, 10% d’entre elles ont un emploi, ce qui limite leur temps de présence.

Comment mesurez vous les effets positifs du passage dans ce centre d’ entraide en santé mentale?
On ne relance pas les gens, mais comme nous sommes une petite ville de 80 000 habitants, on finit tous par passer dans les mêmes commerces, dans les mêmes rues, dans les mêmes endroits, c’est comme ça que l’on peut se suivre. Certaines personnes viennent prendre un café et donner des nouvelles et en donner sur d’autres personnes qu’elles ont croisées. De manière spontanée, l’un de nos indicateurs de réussite c’est que nous n’ayons plus de nouvelles. Nous croyons que la liberté c’est thérapeutique, on ne veut pas donner l’impression au gens qu’ils sont évalués ou suivis. Nous ne voulons surtout pas être intrusifs. Ce que l’on peut facilement démontrer, c’est quand une personne arrive chez nous dans un état quasi végétatif et qu’après son passage chez nous, elle reprend une vie sociale et se remet en activité. Certaines se lancent dans la recherche d’un emploi ou dans des études. Nous avons beaucoup de témoignages de ce genre. Camée existe pour mettre les personnes en contact et crée l’entraide. C’est un sport de contact, pour que les gens puissent échanger se parler s’inspirer les uns des autres. Tous ceux qui sont venus chez nous, nous parlent de l’avant et de l’après Camée.

Est-ce que les professionnels de la santé cherchent à entrer en contact pour comprendre comment vous fonctionnez ?
Au début ils s’intéressaient à nous pour savoir combien de temps nous allions tenir car notre budget était faible. Nous étions étudiés un peu comme des rats de laboratoire. Ensuite avec la pérennité et la mise en place d’activités qui pour certaines connaissaient du succès, les services de santé reprenaient à leur compte ce qui marchait chez nous. Puis par la suite, avec notre réussite c’est le respect qui a pris le dessus.

Peut-on vous considérer comme un modèle ?
En toute modestie, il y a régulièrement des personnes qui viennent nous voir pour tenter de reproduire ce que nous avons fait. Il y a beaucoup d’activités communautaires au Québec et ceci dans tous les domaines et aussi beaucoup de Groupes d’Entraide. Nous travaillons avec un groupement de ressources alternatives en santé mentale afin de développer un comité qui réunirait les Groupes d’Entraide afin de mieux nous connaître, d’échanger sur tous les domaines et les bonnes pratiques. Nous sommes tous des structures fragiles avec de faibles financements et nous devons nous soutenir. À Montréal Nord, nous sommes le seul groupe d’ entraide en santé mentale et il est vrai que je me sens assez seul. Comme organisation, nous vivons des fois la même chose que nos adhérents, nous sommes confrontés à des difficultés et nous aimerions rencontrer les organisations qui sont passées par là pour bénéficier de leurs conseils et de leurs connaissances. On va se donner des idées, se solidariser, c’est nécessaire aujourd’hui pour continuer et relever les prochains défis. Nos actions seront de fait plus visibles et mieux prises en compte par les bailleurs de fonds. Un groupe serait pour nous un porte-voix.

Quelle poste occupez-vous au sein du centre?
Je suis directeur, mais j’anime aussi quelques activités, je fais beaucoup de représentation à l’extérieur, je contribue à des cours à l’université. Nous travaillons avec le monde de la recherche pour faire valoir ce que l’on fait. J’ai moi-même eu des problèmes de santé mentale, c’est pour cela que je suis dans ce milieu.

Le monde psychiatrique est-il susceptible de vous aider ?
Nous nous ignorons bien les uns les autres. Ce monde nous aime bien jusqu’à un certain point, tant que nous sommes occupationnels et que nous restons dans un certain cercle. Mais c’est autre chose lorsque nous en arrivons à développer la pensée critique chez les gens et que l’on apprend à nos adhérents à faire ce que l’on appelle la gestion autonome de la médication, et donc à remettre en question différentes choses qui peuvent aider ou nuire dans leur vie. Là ils nous aiment moins car nous les remettons en question. Le pouvoir psychiatrique aime bien les personnes dociles. Tous les groupes de notre genre ne sont pas aussi dynamiques et critiques, certains ne propose que des jeux de société dans la journée. Ça ne bouscule rien mais le problème c’est que nous sommes en concurrence sur les budgets qui viennent tous de la même source. Nous devons donc restés diplomates car en 30 ans nous avons eu quelques guerres. Heureusement, nous nous battons face à un ennemi commun qui est la vague d’austérité actuelle qui touche beaucoup le monde de la psychiatrie.

Pensez-vous que ce modèle de groupe d’ entraide en santé mentale puisse se reproduire en France ?
Il est vrai qu’au Canada et aux Etats-Unis il existe beaucoup de supers groupes qui réunissent des personnes qui ont un vécu commun (alcooliques anonymes) mais aussi de personnes qui ont vécu différentes choses traumatisantes telles que des catastrophes naturelles. En l’absence d’un modèle médico-social les personnes ont eu une tendance naturelle à se regrouper pour ne pas rester seules avec leur problème. C’est  notre culture et de mon point de vue ça a l’air plus compliqué en France où le tissu administratif et médicosocial s’insinue dans toutes les initiatives et demande sans cesse des rapports. Recevoir des subventions sans rendre de compte ce n’est pas possible alors que pour nous oui.

Photo : Jean-Nicolas Ouelett –  Entraide en santé mentale

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