Upsilon ouvre la voie du partage d’expérience sur le handicap et créé un échange intergénérationnel
Hab Eddine Sebiane est président d’Upsilon, association sportive qui utilise le football fauteuil pour créer une émulation par les pairs et un partage d’expérience sur le handicap. Rencontre.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je fais du sport de haut niveau depuis l’âge de 13 ans (football en fauteuil). Cela m’a amené à faire partie d’un groupe qui a mis en place la Fédération Internationale de football fauteuil, pour laquelle je suis aujourd’hui trésorier. La première Coupe du monde de football fauteuil a lieu en 2007, époque où j’étais capitaine de l’équipe de France. Ensuite au niveau professionnel j’ai créé une société de transports, puis j’ai travaillé dans des secteurs très variés et à présent je fais de l’événementiel dans le domaine de la régie opérationnelle. Concernant mon handicap, j’ai une ostéogénèse imparfaite (maladie des os de verre).
Pouvez-vous nous raconter l’histoire de l’association Upsilon ?
La création de l’association Upsilon remonte à juin 2005. Elle part de deux constats qui se rejoignent.
– Le premier c’est que je faisais alors du foot en fauteuil, une discipline qui concerne les personnes atteintes de grand handicap et que les jeunes pratiquaient beaucoup dans les centres à l’époque. Mais quand ces personnes quittaient les centres, elles se retrouvaient sans possibilité de jouer, sauf si elles avaient un très bon niveau. Pour ma part j’avais la chance d’avoir un bon niveau, donc je pouvais jouer un peu où je voulais. Sauf que ce n’était pas mon envie. J’avais souhaité créer un club hors centre quand j’étais entré à la fac à Nanterre, un club handisport dans un lieu dédié aux étudiants, mais pas uniquement aux personnes handicapées. Mais ça ne s’est pas fait parce que d’autres personnes impliquées dans ce projet voulaient raccrocher ce club au centre de Vaucresson, alors que de mon côté je voulais justement créer quelque chose de distinct et mixte. Finalement je n’ai pas participé à ce projet, mais j’ai joué et entraîné dans ces clubs.
– Mon deuxième constat c’était le fait que les jeunes manquaient de projection, de « modèles » d’adultes sur lesquels ils puissent se projeter, socialement et professionnellement. Ce qui me semblait particulièrement utile dans un centre comme Vaucresson, où j’entraînais de très jeunes personnes en situation de handicap. Mon souhait était de leur donner de la projection sociale, leur dire : « Je ne vis pas dans un centre, je suis votre entraîneur », et faire naître dans leur esprit l’idée que la personne en situation de handicap n’est pas toujours celle pour qui on fait les choses, et qu’elle peut elle-même faire les choses pour les autres. Les années ont passé, j’avais répertorié un certain nombre de personnes sans club, et j’avais toujours l’envie de créer d’un outil pour essayer de corriger ces deux constats, convaincu que plus on multiplie les exemples de projection, et plus les « modèles » de personnes handicapées vivant « normalement » deviennent une possibilité parmi d’autres. Je trouvais que dans les centres on utilisait trop souvent le verbe être et peu le verbe avoir : « Tu es paraplégique, tu es myopathe… ». Alors que si l’on dit : « Vous avez une paraplégie, vous avez la maladie des os de verre… », il y a d’un côté la personne et de l’autre son handicap.
J’ai donc décidé de créer une association sportive, pour permettre à des personnes de faire du sport, tout en utilisant ce support comme un moyen de créer un échange intergénérationnel entre personnes ayant un handicap, et de permettre un partage d’expérience sur le handicap.
Comment ce projet s’est-il concrétisé ?
Une fois l’association créée, il fallait se faire connaître et attirer du monde, donc être visible. Ce qui pouvait se faire notamment en atteignant le très haut niveau… J’ai rassemblé quelques joueurs que je connaissais et qui s’intéressaient au projet. À quatre, nous sommes montés très rapidement dans l’élite, en première division. Entre temps, une émulation s’est créée assez facilement parce que nous n’avions pas le sport comme fin en soi, l’esprit n’était pas de se dire « vite vite être champions » même si la compétition était importante. L’objectif réel de l’association était de participer au développement des personnes, de contribuer à leur construction en démontrant par l’exemple les choses qui sont possibles. Notre activité de pair accompagnement a très vite démarré, parce que la ville n’est pas très accessible, parce qu’il n’y a pas beaucoup de transports adaptés… et donc il a fallu faire vite avec ce qu’on avait. Tellement de gens sortaient de centres et ne trouvaient pas de clubs, que dès qu’un club se créait les gens le savaient. D’autre part certains me connaissaient du fait de ma participation à la coupe du monde. Un jour, un jeune homme vivant en foyer m’a contacté et m’a demandé si je pouvais aller le chercher, car il voulait faire du foot. Je lui ai dit : « Non, ce n’est pas comme ça que ça marche… ». J’ai regardé où il habitait et je suis venu chez lui afin de faire l’aller-retour avec lui jusqu’à l’association, en RER. Pendant tout un été, j’ai fait ces trajets avec les nouveaux membres, parce qu’ils avaient peur de prendre le RER seuls, et parce qu’ils ne pensaient pas que c’était possible. Le faire avec une personne en fauteuil, c’est rassurant parce que ça prouve que c’est faisable. Au départ je faisais les trajets complets, puis quand les personnes commençaient à bien connaître les agents de leurs gares… environ au bout de deux semaines on se retrouvait à mi-chemin. Ils étaient plusieurs avec deux trajets différents. Nous sommes arrivés en septembre avec des personnes autonomes et en confiance dans le RER, et qui pouvaient venir de manière autonome à l’entraînement. Du coup, ils ont fait ça pour le sport, qui était un peu un écran de fumée, et cela a eu des répercussions bien plus larges sur leur vie. Et c’est cela notre objectif ! Maintenant ce sont eux qui apprennent aux autres comment prendre le RER. Le partage d’expérience sur le handicap est bien là.
Où en êtes-vous aujourd’hui ? Que proposez-vous ?
Nous comptons une cinquantaine d’adhérents, une vingtaine de joueurs inscrits, une dizaine d’enfants qui participent aux activités du club sans faire forcément du sport, ainsi que les familles d’adhérents, qui participent de différentes manières.
Le sport est une approche comme une autre. À partir de là, nous essayons de créer du contact, des temps d’échange entre les jeunes et les adultes ayant les mêmes contraintes liées au handicap, pour leur donner des modèles en quelque sorte, et ainsi les aider à prendre confiance en eux et en leur avenir. Ainsi, au-delà du foot, nous travaillons avec les partenaires associatifs et professionnels pour organiser des activités : par exemple, nous avons organisé des visites au sein de la Société Générale, afin de faire découvrir aux enfants les différents corps de métiers qui s’y rattachent… ils voient que c’est accessible et que c’est possible pour cette entreprise d’accueillir des personnes en situation de handicap. Avant la visite, on leur explique que le but est de sensibiliser les salariés au handicap et à l’accessibilité. On leur dit : « On a besoin de vous dans cette entreprise » afin de les valoriser. Après la visite, ils tiennent un petit stand où ils proposent aux salariés une initiation handisport (fléchettes, Boccia…). Ce partage d’expérience sur le handicap fait qu’ils se retrouvent à enseigner quelque chose à quelqu’un qui est debout ! C’est très important dans leur positionnement et leur estime d’eux-mêmes. Des déclics s’opèrent. Nous faisons aussi des interventions dans le monde du spectacle, pour montrer que ce secteur fait aussi travailler beaucoup de techniciens (de la prise de vue, du montage, du son… des métiers qui leur sont accessibles) et idéalement nous essayons de leur faire rencontrer des personnes qui exercent ces métiers tout en ayant le même handicap qu’eux. Lorsqu’un enfant voit des personnes avec les mêmes contraintes physiques que lui et qui atteint ses objectifs d’emploi et d’études supérieures, il peut se projeter et se dire qu’il pourra y arriver lui aussi. Du coup nous travaillons beaucoup avec les foyers pour essayer de sensibiliser un maximum de personnes, et aussi pour faire que les gens puissent se rencontrer en dehors des foyers. Pour les adultes, même si on les accompagne lors de leurs premières sorties du foyers, l’idée est vraiment que par la suite ils n’aient plus peur de sortir seuls et sachent se débrouiller pour se déplacer et s’intégrer dans la ville où ils se trouvent.
Dans le cadre de nos activités, nous organisons également avec la Croix-Rouge Française des formations au secourisme tenant compte du handicap, pour apprendre aux participants à transmettre ce qu’ils savent. Le but étant, même s’ils ne peuvent pas faire les gestes eux-mêmes, de pouvoir guider quelqu’un dans une situation où il faut sauver une vie. Pour nous c’est extrêmement important qu’à terme tous nos adhérents (à partir de 17 ans) reçoivent cette formation. C’est de la citoyenneté et connaître ces gestes-là c’est être acteur de la société.
Nous organisons des visites d’auto-école dès l’âge de 11 ans, pour que les enfants et les jeunes sachent que c’est possible pour eux de passer le permis. Les parents sont aussi conviés aux visites, car s’ils croient en l’avenir de leur enfant leur regard sur lui sera beaucoup plus porteur d’espoir.
Comment passez-vous du sport à l’accompagnement ?
Lorsqu’on veut transmettre un savoir, ou faciliter l’intégration de quelqu’un, on commence par dire aux gens qu’on a besoin d’eux pour faire quelque chose, pour rendre service à l’association. Cela les valorise et c’est par ce biais qu’ils peuvent apprendre de nouvelles choses et s’impliquer dans de nouvelles activités. Par exemple, pour sensibiliser les plus jeunes aux métiers de la gestion et de l’informatique, on va leur demander s’ils peuvent rendre service à un autre membre de l’association pour travailler sur une page internet ou un texte. Au début les jeunes disent : « Mais je ne sais pas faire… », puis on leur explique et ensuite ils deviennent plus à l’aise avec les ordinateurs et internet. Autour de cela, il y a des choses qui se passent sans que nous n’intervenions… Dès l’arrivée d’un nouvel enfant il y a toujours un grand étonnement de la part du jeune et de ses parents lorsqu’ils voient des personnes en fauteuil qui arrivent en conduisant une voiture. On gagne déjà 5-6 ans dans la recherche de perspectives d’avenir… c’est un bond dans leur vision des choses, dans la vision du passage à l’âge adulte notamment.
Nous intervenons dans des écoles, ordinaires et spécialisées, pour parler du handicap. Parfois des enfants de l’association viennent avec nous en tant qu’observateurs. Une fois qu’ils ont vu le déroulement d’une séance, on leur propose d’intervenir à leur tour, pour parler de leur handicap ou répondre aux questions.
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Le message le plus important que nous souhaitons faire passer à travers l’association Upsilon, c’est que, oui, vous trouverez des personnes handicapées qui ne travaillent pas, oui vous en trouverez qui auront fait des études supérieures, certaines qui auront de très bons salaires et d’autres non… mais le handicap ne vous condamne ni à l’excellence, ni à la médiocrité. Vous n’êtes pas obligés d’être des génies, vous n’êtes pas obligés d’être des nullards. Votre vie, c’est ce que vous en ferez et c’est à vous de vous en donner les moyens. Ce n’est pas facile avec un handicap, mais nous sommes là pour vous aider à bien vous entourer et à trouver les bons outils pour réussir. Notre but est de démontrer cela à travers le parcours de chacun de nos adhérents, certains ont fait de l’informatique, d’autres l’École Centrale, de l’audit, de la gestion de site internet… chacun a des qualités à valoriser quelque part.
Pour plus d’informations, rendez-vous sur la page Facebook d’Upsilon.
Photo : L’équipe de football fauteuil de l’association Upsilon – Partage d’expérience sur le handicap.