La loi travail « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel » a été définitivement adoptée par l’Assemblée Nationale le 1er août. Cette loi comporte un volet handicap très fort.
La volonté du gouvernement était de faire bouger les choses en réformant les dispositifs existants et en renforçant les obligations des entreprises. C’est apparemment chose faite comme nous l’explique la ministre du travail Muriel Pénicaud lors de cet entretien entièrement retranscrit.
La loi travail porte un important volet sur le handicap, quelles en sont les grandes lignes ?
L’ambition de la loi est d’aller vers une entreprise inclusive qui permette aux personnes en situation de handicap d’être pleinement intégrées et de contribuer à la réussite de l’entreprise par leur engagement et leurs talents. Nous sommes tous d’accord pour dire que 30 ans après la loi, nous n’y sommes pas ! Si l’on considère l’objectif des 6%, nous ne sommes en moyenne qu’à 3,4%. Le taux de chômage des personnes handicapées est quant à lui 19% au lieu de 9% pour la population moyenne. Soit 500 000 personnes en situation de handicap à Pôle emploi. La situation n’est clairement pas satisfaisante. Si je prends l’exemple de l’apprentissage d’où 7 jeunes sur 10 ressortent avec un emploi, il n’y que 1,2% de jeunes en situation de handicap qui en bénéficient. Nous avons des générations de jeunes qui n’ont pas eu accès à la formation initiale car nous n’avions pas les dispositifs d’accès à l’école que nous avons aujourd’hui. Ils ont donc moins accès à l’emploi. Cela se traduit dans les entreprises par une évolution très lente du nombre de personnes recrutées.
Des leviers pour améliorer l’emploi direct
Avec Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat et les partenaires sociaux, nous avons mené une concertation pour savoir quels sont les leviers qui pouvaient faire bouger cette situation. Il y a plusieurs leviers, je vais en évoquer cinq d’entre eux. Le premier est d’augmenter le nombre de postes susceptible d’accueillir des personnes en situation de handicap et pour cela deux choses :, tout d’abord aujourd’hui nous comptons les 6% par établissement et pas par entreprise. Si je prends l’exemple d’une banque qui a des succursales qui n’ont pas au moins 20 salariés elles ne sont pas concernées et au total la banque est allégée d’une grande part de ses obligations. La loi votée le 1er août a prévu et cela va se mettre en œuvre sur plusieurs années, que le comptage se fera à l’avenir par entreprise et plus par établissement. Nous considérons que entreprise disposant d’un réseau a les moyens de recruter des personnes en situation de handicap car celles ci sont extrêmement variées dans leur profil.
En finir avec les exceptions
Ensuite la liste des ECAP (la liste des postes exemptés d’obligation d’embauche a 30 ans et ne correspond plus à notre situation d’emploi, pas plus qu’à l’évolution des politiques handicap dans les entreprises qui offrent de nouveaux aménagements de postes et des moyens de compensation évolués). Je prends un exemple ubuesque « vendeur polyvalent en magasin » : ce métier n’est pas ouvert au recrutement des personnes handicapées. Cela n’a pas de sens. Du coup nous allons toiletter cette liste pour les que les exemptions soient les plus minimes possibles. Ces deux seules mesures peuvent à elles seules ouvrir 100 000 postes supplémentaires aux personnes en situation de handicap. Avec la diversité des handicaps et des moyens de compensation il n’y a pas beaucoup de postes qui pourront échapper à l’obligation d’embauche.
Un taux d’emploi révisable tous les 5 ans
Le second levier concerne la révision du taux d’emploi de 6%, tous les cinq ans. L’idée n’est pas de le diminuer sauf si la situation du handicap s’améliorait énormément dans notre pays. Mais c’est surtout pour les partenaires sociaux et les pouvoirs publics, tous les cinq ans, de faire un point, une analyse, un diagnostic, un état des lieux, pour se projeter dans la suite. Ce taux de 6% qui date de 1987 reste aujourd’hui cohérent mais il y un risque, avec le vieillissement de la population, qu’il soit amené à bouger. Mais dans les tous les cas, cela amène aussi une obligation d’un grand débat public tous les cinq ans sur le sujet. Ce qui est une bonne chose et amènera un plus en termes de réflexion et de plan d’action. Nous allons déclencher la collecte des données rapidement grâce à la déclaration d’emploi des personnes handicapées dans la DSN (Déclaration Sociale Nominative). Aujourd’hui la DOETH est très compliquée et longue à analyser.
Pour une grande réflexion nationale tous les 5 ans
Avec le droit commun et la DSN qui va démarrer le 1er janvier 2019, nous aurons un système en temps réel. Nous aurons donc les moyens de publier des résultats et des avis tous les 5 ans et cette obligation est bonne en elle-même car elle impose d’avoir ce débat documenté tous les 5 ans. Troisième levier, la question des référents handicap dans deux domaines. La loi prévoit qu’il y aura un référent handicap chargé d’informer, d’orienter et d’accompagner les personnes en situation de handicap dans toutes les entreprises de plus de 250 salariés. cette personne sera le référent à la fois de de la direction, des services, des partenaires sociaux et des personnes en situation de handicap, pour que les outils, les organisations, les modes de travail soient animés. C’est l’un des points qui ressort du rapport du député Adrien Taquet et de Jean-François Serre. Le référent handicap fera part des plans d’action et des résultats au comité social et économique, et au management de l’entreprise. Ce que je constate c’est que la majorité des entreprises qui se sont lancées sur le sujet avancent bien. Certaines entreprises ont dépassé les 6% mais un quart d’entres elles restent à zéro ! Beaucoup d’entreprises pensent que c’est difficile puis se rendent compte que c’est possible et, que les personnes handicapées sont une ressource pour elles. Les personnes en situation de handicap sont d’abord des atouts pour l’entreprise mais il faut passer le barrage de la perception négative.
Des référents handicap pour tous les CFA
Nous allons aussi mettre en place un référent handicap dans chacun des 965 CFA (Centre de Formation et d’Apprentissage). Trop de jeunes en situation de handicap n’ont pas accès à l’apprentissage. Le référent handicap aura le même rôle pour faciliter les relations et animer la réflexion sur « comment adapter les postes et les formations » aux personnes en situation de handicap. Le 4ème levier concerne les accords agréés. L’idée de base est bonne mais la réalité est un peu autre. Ce que l’on voit, c’est que très peu d’entreprises ayant un accord finissent par atteindre les 6%. Il est donc plus souvent utilisé comme un moyen de s’acquitter de l’obligation d’emploi de personnes handicapées que comme une véritable dynamique pour l’emploi. Donc pour rester dans cette dynamique qui est l’esprit d’origine, la loi prévoit de conserver les accords agréés avec une limite dans le temps, soit deux fois 3 ans. Si au bout de 6 ans le plan d’action ne donne toujours pas de résultat c’est que ce n’est peut-être pas la bonne démarche. On constate par ailleurs que le nombre d’accords agréés n’augmente plus depuis longtemps, une entreprise sur six seulement sollicite un accord.
Quid des prestataires qui travaillent avec ces entreprises sous accord ?
Le but est de permettre aux personnes en situation de handicap de travailler. Le 6% n’est pas inatteignable. L’objectif c’est l’entreprise inclusive, donc les 6%. Les entreprises pourront toujours déduire de leur contribution le recours à des prestataires mais ne pourront pas compter les effectifs dans leur obligation de 6%. C’est une approche de responsabilisation, on ne peut pas déclarer 6% de personnes en situation de handicap et n’en recruter aucune À un moment donné il faut être cohérent, et je pense qu’il est préférable d’afficher le taux d’emploi direct des entreprises en termes de responsabilisation ; même si du point de vue économique c’est neutre pour l’entreprise. Notre pays est plutôt moins bon que d’autres pays dans ce domaine. À un moment donné il faut rompre l’idée qu’il y une fatalité et que l’on ne peut réussir qu’en faisant appel à la sous-traitance. Le cas des entreprises de haute technologie est soluble pour 2 raisons, d’une part la loi prévoit une montée en qualification des personnes en situation de handicap grâce à un abondement de leur Compte personnel de formation, et d’autre part ces entreprises recrute à tous les niveaux et aujourd’hui on sait former de personnes qui sortent de 3ème à devenir par exemple codeurs ou à travailler dans l’intelligence artificielle. J’en rencontre régulièrement sur le terrain.
L’accord est une méthode pour aboutir à des résultats, ce n’est pas un but en soi.
5ème levier : ce sont les Entreprises Adaptées. Elles jouent un rôle essentiel dans notre pays car elles favorisent l’accès à l’emploi de travailleurs en situation de handicap, plus éloignés du marché du travail. L’analyse que nous avons fait avec l’UNEA c’est qu’elles ne représentent que 3% de l’emploi des personnes handicapées. Il y a beaucoup de demandes et donc ce doit être un tremplin pour faciliter l’accès à l’emploi aussi vers les autres employeurs. Car si les mêmes personnes restent des décennies en poste alors qu’elles pourraient aller vers le milieu ordinaire, ce n’est pas l’esprit et cela empêche d’autres personnes d’accéder à ces postes en EA.
L’entreprise adaptée va modifier son modèle économique pour favoriser la transition vers l’emploi ordinaire.
L’accord que nous venons de négocier change complètement cette approche puisqu’il va y avoir des efforts faits de la part du réseau UNEA pour favoriser le passage vers le milieu ordinaire. Pour cela nous allons créer des contrats tremplin qui se définissent par un parcours de 24 mois maximum de remise à l’emploi pour accéder ensuite à un emploi en milieu ordinaire. On permettra aussi aux entreprises adaptées de faire du travail temporaire et nous rénoverons le système de mise à disposition. Elles se sont engagées à modifier leur modèle économique pour que tous ceux qui peuvent aller vers l’emploi en milieu ordinaire, avec l’aide des outils dont elles disposent, puissent y aller. J’ai augmenté le budget de mon ministère à cet effet, sous condition de cette révision du modèle économique. Le résultat c’est que nous nous sommes engagés, avec l’UNEA, l’APF et l’UNAPEI, sur le fait que nous pourrions passer de 40 000 à 80 000 places par an dans les EA sur la durée du quinquennat. Cela sous-tend une logique de flux qui doit alimenter les 6% dans les entreprises ordinaires.
Tous ces éléments sont des briques importantes pour construire l’entreprise inclusive de demain.