« Mon enfant va entrer en EHPAD ou en maison de retraite… »
C’est une situation insensée qui déclenche une souffrance abyssale. Mais ce sont des événements qui sont rendus possibles par l’allongement de l’espérance de vie. À ce titre, nous pourrions dire « Mon enfant va entrer en EHPAD … et je rentre avec lui. » ; « … et ce sera avant moi. » ou « …sans moi. » À chaque phrase, cela donne des histoires de vie et des accompagnements différents, tout en subtilité et respect.
« Mon enfant va entrer en EHPAD et je rentre avec lui. »
Au début de mon parcours professionnel, il y 25 ans de cela, j’avais été touchée par plusieurs situations d’accueils conjoints. Je me souviens tout particulièrement d’un père, entré en même temps que sa fille et d’une mère, entrée en même temps que son fils. Les enfants, en situation de handicap mental, n’avaient jamais été pris en charge par une institution au cours de leur vie. Les parents avaient œuvré toute leur vie, de manière à faire « pour le mieux » pour leurs enfants différents.
Entrer en institution ensemble, alors que les soucis de dépendance concernaient seulement le parent, permettait de garantir du continuum, et de repousser une réflexion sur la finitude de l’un ou de l’autre. Le lien restait, alors même qu’ils n’avaient jamais été séparés. Aussi, le premier et le plus grand effort d’adaptation concernait le fait d’avoir chacun une chambre !
« Mon enfant va entrer en EHPAD avant moi… »
Ainsi disait cette vieille dame de plus de 90 ans. Sa fille était venue s’installer chez elle, pour l’aider, quelques temps après sa retraite. Or, c’est bien cette maman qui a dû soutenir son enfant, envers et contre toutes les vicissitudes liées au poids des années. Cette fille, touchée par l’évolution d’une pathologie de type neurodégénératif, ne se rendait pas compte que les rôles établis s’inversaient.
Et cela, tant et si bien, que l’intervenant extérieur avait du mal à distinguer qui aidait l’autre. L’une avait de bonnes jambes pour aller faire les courses, la cuisine, mais sa tête lui jouait parfois de mauvais tours… Quand la plus âgée des deux gardait un esprit alerte, alors même que ses jambes avaient du mal à la porter. Cette dernière, épuisée et très angoissée par la situation, confiait : « qu’est-ce qui se passera si je pars avant elle ? » Il valait mieux envisager une entrée en E.H.P.A.D. pour l’une, puis l’autre mais chacune dans sa chambre.
« Mon enfant va entrer en E.H.P.A.D. sans moi. »
Tout parent redoute une maladie grave pour son enfant, et rarement il imagine qu’il pourrait être touché par une pathologie liée habituellement à la vieillesse. « Environ 20 000 personnes de moins de 65 ans en France sont atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée. Souvent oubliées des discours sur la maladie, elles rencontrent des problèmes spécifiques liés à l’incidence sur la vie professionnelle, familiale et à l’accès aux dispositifs d’accompagnement… »**
À la fois torturés et déstabilisés quant à la place à trouver pour un accompagnement respectueux, les parents de ces malades jeunes sont souvent envahis par la culpabilité. Ils peuvent trouver un soutien auprès des associations comme France Alzheimer et des professionnels.
Au-delà de ces anecdotes, une préoccupation pour le vieillissement des personnes en situation de handicap a eu du mal à émerger. En 2010, l’A.N.E.S.M. a publié une recommandation sur la prise en charge. La recommandation part d’un constat : « Le vieillissement de la population des personnes handicapées suit le vieillissement de la population générale : les progrès de la médecine, l’amélioration des conditions générales de vie, favorisent une espérance de vie plus longue pour l’une comme pour l’autre. Autre trait commun, ce phénomène peut prendre différents visages : le vieillissement n’est pas linéaire ni continu. De plus, il n’est pas égal d’une personne à l’autre, y compris parmi la population handicapée. (…)
Par ailleurs, la personne handicapée vieillissante peut avoir encore devant elle plusieurs dizaines d’années de vie ; c’est pourquoi, il est essentiel que son projet de vie soit évolutif et ne donne pas lieu d’emblée à l’élaboration de réponses ou de solutions définitives et standardisées qui risqueraient de ne plus évoluer dans le temps, qu’il s’agisse de solutions d’accompagnement à domicile ou en établissement. » *
Et, sans doute, le message à retenir pour toute personne concernée : éviter de rester seul(e) avec sa souffrance quel que soit son âge. La longévité actuelle n’a jamais existé. Nous sommes sans modèle dans ce domaine. À notre génération d’inventer ce que peut et doit être « bien vieillir ».
Catherine SANCHES
*https://www.cnsa.fr/documentation/Dossier_technique_PHV_BDindex.pdf
**https://www.francealzheimer.org/vivre-maladie-65-ans/limpact-social-familial-professionnel/