Handivoile, un sport accessible à tous
Rencontre avec Olivier Ducruix, chanteur, interprète et compositeur, mais aussi adepte et ambassadeur des disciplines « Cécivoile » et « Handivoile » qu’il nous présente à travers cette interview.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
J’ai deux grandes passions : la musique et la voile. Concernant la musique, j’écris mes chansons, je suis chanteur, interprète et guitariste. J’ai enregistré trois albums : « Rendez-vous », enregistré avec le groupe Océo, puis enregistrés sous mon nom : « La Joconde blonde » sorti en 2011, et « La lune boit » sorti en 2015. Je prépare un quatrième album qui sera enregistré courant 2019.
Je donne actuellement des concerts et pour la première fois, en novembre dernier, nous avons organisé, avec mon équipe, un concert dans le noir, lors duquel les musiciens tout comme le public se sont retrouvés dans l’obscurité. Étant moi-même malvoyant, ce concert a eu pour moi un symbolique toute particulière.
Ma deuxième passion, c’est la voile, qui anime ma vie professionnelle et personnelle. Je travaille au sein de l’association UNADEV (Union nationale des aveugles et déficients visuels). Je suis détaché par le groupe Orange dans le cadre d’un mécénat de compétences – c’est-à-dire que je suis toujours salarié d’Orange, chez qui j’ai fait toute ma carrière en tant qu’ingénieur. Orange me met à disposition de l’UNADEV pour travailler sur un projet baptisé « Cécivoile », qui a pour objectif de développer la pratique de la voile pour les personnes aveugles et malvoyantes en France, et ceci en réseau avec d’autres pays au niveau international. Le nom « Cécivoile » a été trouvé par analogie au « cécifoot », le football pour les personnes aveugles et malvoyantes.
Pouvez-vous nous parler un peu plus de Cécivoile ?
L’UNADEV est l’association dans laquelle je travaille et au sein de laquelle nous portons le projet Cécivoile. Mais nous le portons en partenariat avec d’autres structures, notamment Orange, qui nous a permis de développer l’application « SARA », qui signifie « Sail and race audioguide ». Cette application disponible gratuitement sur Iphone utilise le GPS du téléphone et fournit de façon automatique et audio (vocalement) toutes les informations nécessaires aux marins aveugles pour naviguer et se repérer sur un parcours. SARA est un des éléments importants d’innovation qui nous permet d’aller beaucoup plus loin dans la pratique de la voile.
Autre partenaire important : Orion. C’est une association basée à Brest, et qui est d’ailleurs le porteur de projet de SARA. Je suis membre de cette association et impliqué dans tous ses projets.
Vous êtes également membre d’une autre association…
Je suis également membre de l’association Dombay vacances. Située en région Rhône-Alpes, elle dispose d’un bateau sur la Lac Léman, à Sciez-sur-Léman. Tout comme Orion, cette association permet à des personnes malvoyantes de naviguer pour les amener à se faire plaisir, mais aussi à progresser dans leur pratique. Nous ne sommes pas là seulement pour promener les gens, mais pour leur apprendre à se débrouiller, les faire monter en compétences, et faire en sorte qu’ils soient au fur et à mesure capables de jouer un rôle d’équipier, puis quasiment de skipper, grâce à tous les outils existants, tels que SARA et toutes les autres adaptations tactiles que l’on peut avoir à disposition. À travers ces différents biais, mon objectif est vraiment qu’un maximum de personnes puissent découvrir cette discipline, la pratiquer régulièrement en loisirs, voire faire des compétitions.
La voile est donc un sport accessible aux personnes déficientes visuelles ?
Tout à fait, la voile est vraiment un sport très adapté aux personnes aveugles et malvoyantes. Cela fait appel à de nombreux repères autres que visuels. Par exemple des repères auditifs : quand la voile fait du bruit, elle faseille, c’est un repère important pour savoir ce qu’il se passe. Cela nous apprend tout de suite soit que l’on est trop près du vent, il faut alors réagir à la barre, pour éloigner le nez du bateau de la direction du vent ; soit que le vent a tourné et que là aussi il faut réagir ; cela peut indiquer que la voile n’est pas assez bordée, et donc qu’il faut la retendre…
La voile fait aussi appel à des repères kinesthésiques, c’est-à-dire liés à la perception corporelle. Par exemple, quand un bateau penche on dit que le bateau « gîte », ce qui est un indicateur très important. Tout ce que l’on ressent dans notre corps lorsque l’on est assis sur le bateau – la façon dont il gîte, dont il attaque la vague – sont des repères qui vont permettre de réagir dès qu’une condition n’est pas optimale.
Il y a également un repère lié à la sensation produite par le vent sur le visage. Pour tous les marins, savoir se situer par rapport au vent est primordial pour faire avancer son bateau. La preuve en est que dans les écoles de voile, et même jusqu’au niveau de l’équipe de France, les coachs et moniteurs font régulièrement pratiquer les marins avec les yeux bandés, pour qu’ils affinent leurs sensations.
Et en termes de mixité, est-ce le cécivoile peut être pratiquée aux côtés des valides ?
Oui, il se trouve que la voile est l’un des rares sports que l’on peut pratiquer avec les valides, nous en tant que déficients visuels, en jouant un rôle aussi important que les autres. C’est également l’un des rares sports que l’on peut pratiquer entre déficients visuels sans changer les règles par rapport au sport valide. Les règles sont exactement les mêmes que pour les valides. C’est idéal sur le plan de l’intégration et de la mixité car on est capables de naviguer dans des équipages mixtes, voyants et non-voyants. Et même, avec un outil comme SARA, on organise ce que l’on appelle des régates SARA, où on compose des équipages dans lesquels tout le monde a les yeux bandés, que l’on soit aveugle, malvoyant ou bien voyant. En général l’équipage est alors composé de trois personnes qui ont les yeux bandés, avec une quatrième personne sur le bateau, qui elle, a les yeux ouverts, mais qui est sur le bateau uniquement pour assurer la sécurité et l’arbitrage.
Parfois nous faisons également une régate (une course) entre deux bateaux équipés de SARA, et où tous les coureurs ont les yeux bandés. On est alors dans une pratique partagée qui est la plus totale, avec une situation de cécité où les voyants jouent le jeu. Nous avons de très bons retours sur cette pratique : ils prennent un maximum de plaisir, cela les amène à les pousser plus loin dans leur pratique, les fait progresser et améliore leurs sensations.
Existe-t-il des compétitions de voile auxquelles les personnes déficientes visuelles peuvent prendre part ?
Bien sûr ! Et d’ailleurs les compétitions sont accessibles avec tout type de handicap. Aujourd’hui nous participons à des régates handivalides. Les équipages sont composés de deux personnes : une personne en situation de handicap et une personne dite valide. Nous concourrons sur de petits bateaux, des dériveurs, qui mesurent trois mètres de long et qu’on appelle « Hansa 303 ». Ce sont des bateaux australiens, qui existent depuis une vingtaine d’années et qui se sont beaucoup développés en France durant ces cinq dernières années. Au départ, ces bateaux sont conçus et réalisés pour des personnes en situation de handicap moteur, c’est-à-dire qu’on navigue assis sur un siège. Les deux personnes sont côte à côte, et toute est accessible sans se lever. Cela signifie qu’une personne en situation de handicap moteur va avoir toute latitude pour naviguer. Même une personne qui a peu de muscles peut naviguer grâce à une barre électrique – de petits moteurs électriques peuvent être installés pour lui permettre de manœuvrer.
Ce qui est intéressant c’est que même si ces bateaux ont été pensés pour être accessibles aux personnes en situation de handicap moteur, ils peuvent aujourd’hui convenir à tout type de handicap, ce qui fait que les courses (régates) sont ouvertes à tous. Ainsi, on va trouver sur une même compétition des personnes en situation de handicap moteur, mental – notamment des personnes trisomiques – des personnes autistes… et depuis quelques années des personnes aveugles ou malvoyantes. Il y a trois ans j’étais encore l’un des seuls, aujourd’hui l’un de mes objectifs est de faire en sorte que de plus en plus de personnes déficientes visuelles participent à ce type de compétitions. L’an dernier, lors des championnats de France Handivoile, nous étions 8 bateaux sur 40 avec des coureurs déficients visuels.
Dans les règles, pour que tout le monde soit à égalité, même quand une personne n’a pas de handicap moteur et peut se déplacer, elle n’a pas le droit de se lever pendant la course. Comme le bateau est fait pour naviguer en étant assis, et que tout est faisable assis, personne, ni les valides, ni les handis, n’ont le droit de se lever… pour que tout le monde concoure dans les mêmes conditions.
Les personnes déficientes visuelles naviguent habituellement avec une personne voyante, et aujourd’hui ce n’est pas le cas en compétition… mais à la limite on pourrait très bien envisager un équipage composé d’une personne déficiente visuelle et une personne en situation de handicap moteur. Ce pourrait être très riche car ce qui est intéressant dans ces régates, c’est justement les rencontres et la mixité multi-handicap.
Vous pratiquez vous-même la compétition… Pouvez-vous nous en parler ?
En 2016, mon binôme, Gilles Guyon – « valide » et directeur de la base nautique de Sciez-sur-Léman – m’a proposé que l’on régate ensemble. Il naviguait auparavant en solo sur un autre type de bateau et m’a proposé qu’on fasse ensemble du double en régate handivalide. Nous avons déjà fait ensemble 3 saisons (2016, 2017, 2018). Nous nous entraînons régulièrement et nous participons à des régates régionales, nationales et internationales. Nous avons fait sur l’année 2018 quatre régates importantes :
– Au printemps 2018, la Hansa North Cup, régate nationale qui se déroule dans le Nord de la France. Cette régate m’a marqué car nous l’avons remportée deux ans de suite, mais surtout parce que le podium de cette année était vraiment particulier avec : sur la première marche mon binôme et moi-même en tant que déficient visuel, sur la deuxième marche une équipe suisse avec une personne handicapée moteur en fauteuil roulant, et sur la troisième marche une équipe française avec une personne en situation de handicap mental. C’était juste génial d’avoir un podium aussi varié.
– Les championnats de France handivalides, en mai, où nous avons terminé cinquièmes.
– Les championnats suisses, que l’on a remportés cette année, au mois de septembre.
– Les championnats du monde Handivoile, à Hiroshima, au Japon, en octobre, où nous avons terminé cinquièmes.
Pouvez-vous nous en dire plus sur cette participation aux championnats du monde Handivoile 2018 ?
C’était notre deuxième championnat du monde. C’est un souvenir extraordinaire, ne serait-ce que par le voyage à Hiroshima. La ville est chargée d’histoire et renferme quelque chose de très émouvant, avec son mémorial, son parc, son musée… Au niveau de la compétition, l’organisation japonaise était extraordinaire, avec des bénévoles toujours souriants et serviables, des cérémonies d’ouverture et de clôture mémorables – où j’ai pu chanter sur le podium « Emmenez-moi » de Charles Aznavour, avec toute l’équipe de France qui reprenait les paroles, en hommage, 15 jours après son décès (à noter que Charles Aznavour était très connu au Japon). Concernant la course en tant que telle, elle se déroulait sur 5 jours avec 2 courses par jour. Nous avons très bien démarré, avec une victoire à la troisième course, et ensuite nous avons plus de difficultés, avec du petit temps – dix à douze km/h de vent, soit le minimum pour régater, et donc des conditions difficiles pour les bateaux de gros gabarit. Finalement nous terminons cinquièmes au classement général, ce qui reste une bonne performance sur 50 bateaux.
Désormais nous mettons le cap sur le championnat européen qui aura lieu en octobre 2019 au Portugal. Et dans deux ans nous irons à New Port Beach, au sud de Los Angeles, pour les championnats du monde 2020.
Comment obtenir plus d’informations sur la pratique Handivoile ?
Les personnes qui le souhaitent peuvent m’envoyer un mail à l’adresse : [email protected]
Les personnes intéressées peuvent également se renseigner auprès de la base nautique la plus proche de chez elles.
Par ailleurs, il y a dans chaque ligue de voile un référent handivoile. Il est donc possible d’appeler le comité départemental ou régional de voile qui correspond à votre zone géographique et de demander le référent handivoile.
Vous pouvez aussi consulter le site de la Fédération Française de Voile, qui gère la pratique Handivoile, et sur lequel vous trouverez toutes les informations nécessaires : www.ffvoile.fr/ffv/web