ESAT hors murs : Une formule intéressante pour les bénéficiaires et les entreprises
Rencontre avec Emmanuel Le Goff, responsable de l’ESAT hors murs et du Dispositif d’emploi accompagné de LADAPT Rhône-Métropole de Lyon.
Qu’est-ce qu’un ESAT hors murs ?
Un ESAT hors murs est un ESAT. Mais c’est un ESAT qui par définition n’a pas d’activité de production dans ses murs, et qui cherche donc toutes les activités de travail à l’extérieur, dans des entreprises ordinaires, des associations, et des collectivités locales. C’est en tout cas la définition qu’a expérimenté LADAPT avec ses ESAT hors murs. C’est vraiment des ESAT dissociés d’ESAT plus classiques.
Quel est le fonctionnement d’un ESAT hors murs ?
Comme pour toute personne qui travaille en ESAT, les personnes qui travaillent en ESAT hors murs sont notifiées par la MDPH. Lorsque nous avons une notification MDPH, nous recevons la personne. Elle va alors passer un certain temps dans nos murs, en période d’essai, dans notre cas c’est six mois : pour évaluer ses capacités, travailler sur son projet, reprendre confiance… C’est un temps de préparation pour ensuite pouvoir aller travailler à l’extérieur. Dans notre établissement cette étape se fait en groupe. De notre côté, c’est aussi le temps que l’on se donne pour voir ce que donnent les stages dans des entreprises ordinaires, et ensuite trouver des entreprises avec qui établir un partenariat et qui ont un besoin qui pourra potentiellement être couvert par notre ESAT hors murs. Dans ce cas, la personne sera mise à disposition de l’entreprise par l’ESAT hors murs, et ce pour une durée variable selon les profils et les missions proposées.
Les personnes qui travaillent au sein d’un ESAT hors murs relèvent du milieu protégé tout comme celles qui sont dans un ESAT classique.
Pouvez-vous nous parler de l’ESAT hors murs que vous gérez ?
L’ESAT hors murs de LADAPT Métropole de Lyon accueille environ 65 personnes. Au niveau de l’encadrement, nous sommes une équipe de 11 professionnels avec une grande variété de profils : des moniteurs référents, un ergothérapeute, une neuropsychologue, des chargés de relation-entreprise, et un volet social avec une conseillère en économie sociale et familiale et une assistante sociale. C’est cette équipe pluridisciplinaire qui intervient, y compris au niveau social, pour que le travail se passe bien et soit adapté aux projets, aux capacités et besoins de chacun.
En plus des 65 personnes accompagnées, nous avons des personnes qui sont sorties à l’emploi, qui au niveau statutaire ne dépendent plus de l’ESAT hors murs, mais qu’on continue d’accompagner pendant un à deux ans après l’embauche, cela représente actuellement 12 personnes. Il s’agit donc de personnes qui ont été mises à la disposition d’une entreprise, et qui finalement ont été embauchées directement par l’entreprise au bout d’un certain temps.
Que se passe-t-il lorsque la période de suivi arrive à son terme ?
Après cette période de suivi, se pose la question du relai, notamment vers des dispositifs comme l’emploi accompagné, nouveau dispositif qui à mon avis a tout son sens, même s’il ne pourra pas répondre à toutes les demandes, puisque le nombre de places n’est pas illimité. Mais quelque part, je pense que ces personnes qui passent du milieu protégé au milieu ordinaire devraient être accompagnées par des dispositifs tels que l’emploi accompagné.
Parfois, tout va bien, puis au bout de quelques années l’entreprise connaît des changements d’organisation, de tâches de travail, des modifications au sein des équipes… et cela peut impacter une situation où tout fonctionnait bien. Et l’idée de l’emploi accompagné, ce n’est pas de dire qu’on accompagne tout le temps, cela veut dire que le cas échéant, s’il y a un souci, l’entreprise et le salarié savent vers qui se tourner… cela évite de perdre trop de temps à chercher des solutions administrativement chronophages, et cela permet de trouver des solutions rapides aux problèmes qui peuvent se poser avant qu’ils ne deviennent ingérables.
Les personnes qui sortent d’ESAT sont quand même des personnes qui ont des difficultés importantes. Si elles ont été embauchées, c’est tout de même que leur profil convient à leur mission, mais la vie professionnelle n’est pas un long fleuve tranquille et elles peuvent être un jour confrontées à des difficultés.
Les personnes embauchées directement par les entreprises le sont-elles plutôt en CDD ou en CDI ?
Pour la quasi-totalité, ce sont des personnes embauchées en CDI, à part une, mais qui a été embauchée en CDD avant de confirmer son CDI début 2019.
L’objectif est que les personnes sortent avec des missions durables, pour ne pas se retrouver en précarité très vite. Dans la même optique, beaucoup de personnes sont embauchées à temps partiel, parce que, du fait de leur handicap, elles ne peuvent pas travailler à temps plein. Généralement quand les embauches se font, cela se passe en fonction des capacités de chacun. Si quelqu’un peut travailler 20 heures par semaine et que ce n’est pas possible autrement, on ne va pas lui trouver une mission à 30 heures… on s’adapte au cas par cas.
Parmi les personnes mises à disposition par votre ESAT hors murs, quels sont les secteurs d’activité représentés ?
C’est très varié car au niveau de LADAPT, le choix fait c’est de suivre au mieux le projet professionnel de chaque personne accueillie. Bien sûr, il faut que ça colle avec la réalité du marché du travail et les capacités des personnes. Actuellement, nous avons beaucoup de personnes dans le tertiaire, notamment pour faire de l’administratif. Nous avons aussi des gens dans le commerce, dans l’industrie, les espaces verts, la restauration… Nous accompagnons aussi une personne qui travaille dans un parking lyonnais dans l’idée de concrétiser son projet de travailler dans le domaine logistique. Cela dépend vraiment de chaque parcours. On ne va pas dire à un candidat qu’il doit choisir entre tel ou tel secteur. Cette personnalisation, c’est aussi l’intérêt de l’ESAT hors murs. Cela permet également de tenir compte du lieu de domicile de la personne, de son projet et de son parcours, de ses capacités… tout en la confrontant à la réalité lorsque cela semble nécessaire. Par exemple, en ce moment il y a beaucoup de gens qui voudraient travailler dans des bibliothèques ou médiathèques, mais c’est compliqué actuellement, car les missions de travail dans ce secteur un peu saturé sont rares. On ne peut pas déroger à ces réalités-là.
Proposez-vous, au sein de l’ESAT hors murs, des formations en lien avec les aspirations des candidats ?
Pendant la période de préparation de six mois, nous faisons des évaluations (travailler en groupe, respecter une consigne ou des procédures…), y compris en stage, pour voir si ça colle ou pas, avant d’envisager la suite. Après cela, l’aspect formation est effectivement important. Nous n’organisons pas nous-mêmes les formations mais nous orientons les gens et nous les accompagnons : par exemple les personnes qui vont commencer en logistique vont devoir passer un permis particulier, de même il y a quelque temps nous avons proposé un module de formation sur les végétaux à quelqu’un qui commençait à travailler dans les espaces verts… les formations adaptées n’existent pas toujours mais quand c’est possible nous y allons. L’idée est d’expérimenter le travail et de permettre aux personnes de gagner en autonomie professionnelle, ce qui passe souvent par de la formation. Lorsque la personne débute sa mise à disposition dans l’entreprise, nous continuons à réfléchir à ce qui peut être mis en place pour la faire progresser et évoluer, y compris en termes de moyens de compensation du handicap.
Quels peuvent être les avantages de la formule ESAT hors murs pour les bénéficiaires /et pour les entreprises ?
Pour les personnes bénéficiaires, cela permet notamment de pouvoir répondre à des demandes sur le temps partiel, ce qui n’est pas forcément évident à trouver dans le milieu protégé. Autres avantages : la personnalisation du projet et des activités selon chacun, et l’accompagnement médicosocial. Toutefois un ESAT hors murs n’est pas adapté à tout le monde, cela demande tout de même d’aller travailler seul dans une entreprise, et la première condition est d’avoir envie d’aller travailler en milieu ordinaire. C’est aussi ce qui distingue un ESAT classique d’un ESAT hors murs. Les deux solutions sont complémentaires.
Pour les entreprises, cette formule leur permet d’accueillir une personne handicapée qui a des difficultés. Ce n’est pas une procédure de recrutement habituel, c’est du partenariat ! Là c’est une personne qui a un parcours particulier, qui vient tous les jours travailler dans l’entreprise. En termes de sensibilisation, c’est beaucoup mieux que des affiches ! C’est du concret, du partagé… il est question de l’intégration, de l’inclusion. De plus, la formule est intéressante car elle est administrativement flexible et facile à mettre en place, ce qui est aussi un atout.
Selon vous, la nouvelle loi travail « pour choisir son avenir professionnel » va-t-elle avoir un impact sur le fonctionnement de ce dispositif ESAT hors murs ou son évolution ?
Que l’on parle d’ESAT hors murs ou d’ESAT, aujourd’hui on sait peu de choses sur ce qui va en résulter tant que les décrets d’application ne sont pas sortis. C’est un peu flou et le secteur des ESAT n’est pas rassuré. Nous pensons que le fait de travailler avec un ESAT ne va plus être compté comme des unités pour l’entreprise mais que ce sera une minoration de l’obligation d’emploi. Mais quels seront les modes de calcul ? Car si c’est une minoration et que cela revient au même pourquoi pas… mais nous n’avons pas d’éléments à ce sujet, ce qui crée un doute. Ce qui est sûr, c’est que si à un moment, le fait pour une entreprise de faire appel à un ESAT n’est plus intéressant, ce sera la mort des ESAT à petit feu, et il y a 140 000 personnes dans ces ESAT. Je pense qu’il faut sûrement que le secteur évolue – et il évolue déjà – mais il ne faut pas pour autant le faire mourir. Il faudrait plutôt lui donner les moyens de continuer cette évolution et de se diversifier, y compris par rapport au type de handicap des personnes accueillies. Si vraiment le mode de calcul devenait moins intéressant qu’aujourd’hui pour les entreprises, ce serait donc très problématique pour le secteur, et pour la survie des ESAT qui ont besoin des entreprises comme clientes et comme lieu d’accueil pour les travailleurs des ESAT hors murs. Certes il y a aussi la bonne volonté des entreprises qui entrent en jeu, mais l’aspect incitatif n’est pas négligeable. Nous attendons les décrets d’application avec une certaine vigilance.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le dispositif d’emploi accompagné ?
Le dispositif d’emploi accompagné a été mis en place par la loi El Khomri, fin 2017-début 2018. Il y a beaucoup de demandes pour des personnes qui ont besoin d’être accompagnées, et qui ne relèvent pas du milieu protégé (ou qui en sortent (et auraient besoin d’être suivies. On voit grandir ces besoins. Cependant, les moyens pour faire fonctionner ce dispositif sont assez limités, avec environ 7 millions d’euros au niveau national, soit 1000 à 1500 personnes qui peuvent être accompagnées. Cela va évoluer, notamment sur 2019, après c’est sûr que le besoin est énorme et que face à cela nous devons nous organiser et aussi tout faire pour que les entreprises soient davantage informées sur l’existence de ce nouveau dispositif. Certaines entreprises auraient moins de craintes à embaucher des personnes en situation de handicap si elles savaient qu’un accompagnement pouvait leur être proposé. Je pense que la clef est là.
Le dispositif d’emploi accompagné est-il compatible avec les formules d’ESAT hors murs ?
Ce sont deux choses bien distinctes. Mais effectivement, dans la démarche, il y a des aspects très proches. Et on pourrait imaginer que les personnes qui sortent d’ESAT puissent être accompagnées par un dispositif d’emploi accompagné sur la durée. Ce serait une suite logique.
En photo : Emmanuel Le Goff, responsable de l’ESAT hors murs de LADAPT Rhône-Métropole de Lyon.