Voile et handicap : La chronique d’Olivier Ducruix
La voile a ceci d’extraordinaire : la grande diversité des pratiques et des contextes. C’est d’ailleurs grâce à cela que l’on peut concilier voile et handicap. Une navigation par temps gris et froid, avec 30 nœuds de vent dans la figure, n’a pas grand-chose de comparable avec une balade en été par temps calme, sous le soleil méditerranéen, sur une eau belle, claire et chaude qui t’invite à la baignade. Dans le premier cas, tu te cailles, tu as pourtant enfilé bottes, veste de quart, ciré et polaire, et tu gères la situation alternant les moments grisants à la barre de ton bolide et ceux plus difficiles quand il faut anticiper sur le vent qui forcit et réduire la toile à temps. Dans le second, c’est maillot de bain, baignades en pleine mer accroché à une longue amarre derrière le voilier se laissant masser par les flots, en espérant juste que le bateau ne prenne pas trop de vitesse sous peine de se faire ôter son maillot de bain par le courant !
De même, la voile légère sur dériveurs ou petits catas de plage est bien différente de la navigation sur habitable. Les sensations, les temps de réaction, le comportement du bateau n’ont pas grand-chose en commun. Ainsi en va-t-il aussi pour les plans d’eau intérieurs et la mer ! Ou encore la croisière et la régate ! C’est le même sport, les bases sont identiques mais les philosophies sont différentes voire opposées.
Le plus dingue dans tout ceci, c’est que j’aime tout pareil ! Le plaisir n’est pas le même, et pourtant tout aussi présent et intense quelle que soit la pratique ! Une ou deux semaines de croisière avec des potes sur un magnifique voilier, un Pogo 10.50 ou un X37 pour citer des exemples qui me sont familiers, dans des lieux de rêve c’est-à-dire n’importe où sur nos jolies côtes françaises, et c’est le bonheur de profiter des éléments. Le temps et l’espace prennent une nouvelle dimension, le monde extérieur si déprimant s’évanouit, puis disparaît et tombe dans l’oubli. La PAIX quoi !
Un bon week-end de régate sur un tout petit plan d’eau intérieur qui ne paie pas de mine, avec des potes, et c’est la technique, la finesse, l’adrénaline des départs et des arrivées au finish au coude à coude avec les champions suisses ou chtis, la joie du podium, la fête … L’immense plaisir d’une compétition sérieuse, de bon niveau, sans animosité ni coups bas. C’est toujours la beauté et l’efficacité du geste qui priment !
Tout ceci est encore plus vrai, comme magnifié, quand il s’agit de régates handivalides, qui concilient voile et handicap ! C’est alors la magie de partager un chouette défi avec d’autres personnes en situation de handicap. C’est en 2011, que j’ai découvert la voile handivalide sur dériveurs légers de 3 mètres de long. Les Hansa 303, c’est leur nom, sont des bateaux australiens spécialement conçus pour les personnes en situation de handicap moteur, même lourd. On est assis dans une sorte de fauteuil en toile très inconfortable. On n’a pas le droit de se lever histoire que tout le monde soit à égalité, valides et handis. Le bateau est simple, juste 2 écoutes et une bordure à régler en navigation. Il est également adapté aux handicaps visuels et mentaux car il se pratique en double. Sur Hansa, j’ai déjà navigué avec une personne handicapée moteur et j’ai trouvé géniale la complémentarité des handicaps tellement bien mise en évidence ! Clémentine voit bien, elle barre. Et moi, je sens le bateau, et j’ai des muscles pour border et des abdominaux pour me positionner au mieux pour l’équilibre des poids sur le bateau ! Magique !
Depuis 3 ans, je régate avec Gillou, un copain valide directeur de la base nautique de Sciez-sur-Léman et fortement impliqué dans le développement du handivoile en région Rhône-Alpes. Avec Gillou, nous sommes deux complices du même âge et nous sillonnons France, Europe et planète au gré des compétitions. C’est ainsi que j’ai découvert le plaisir de la bagarre pour les premières places et la joie des podiums voile et handicap. En 2016, pour notre première saison ensemble, nous eûmes le bonheur de décrocher l’argent au championnat de France et le bronze au mondial à Medemblik aux Pays-Bas. Même résultat l’année suivante à l’européen et un titre de champion de Suisse.
En parallèle, nous nous entrainons aussi pour rejoindre les compétitions de « Blind Sailing ». Cette année, notre projet est de participer au championnat du monde qui aura lieu à Kingston au Canada en septembre prochain. Sur des bateaux de 7 mètres, nous serons 4 à bord. Deux voyants et deux déficients visuels. Ces derniers doivent obligatoirement tenir les postes de barreur et de régleur de la grand-voile. Les voyants quant à eux gèrent la tactique et règlent la voile avant. Une magnifique aventure en perspective pour laquelle nous cherchons actuellement des sponsors ! En allant au Canada, notre objectif n’est pas seulement de régater mais aussi de faire connaitre aux autres nations toutes les innovations sur lesquelles nous travaillons pour permettre aux marins aveugles d’aller encore plus loin dans leur pratique en toute autonomie !