EM Normandie – Handicap et études : « Le champ des possibles est largement plus grand que ce qu’on peut laisser croire »
Nous avons évoqué le thème « Handicap et études supérieures » avec Julien Soreau, responsable du service Diversité et Egalité des chances de l’EM Normandie et co-animateur du groupe handicap de la Conférence des Grandes Ecoles (CGE).
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
En tant que responsable du service Diversité et Egalité des chances de l’EM Normandie, j’accompagne les étudiants en situation de handicap sur l’ensemble des campus. Mais il est important de préciser que ma démarche s’intègre dans une dynamique globale, au sein de laquelle tous les services sont impliqués et, en premier lieu, la direction générale, la vie étudiante et la direction des programmes et de l’innovation pédagogique.
En parallèle de mon travail au sein de l’EM Normandie, je suis co-animateur du groupe handicap de la CGE.
Pouvez-vous nous présenter EM Normandie ?
L’EM Normandie, c’est 5 campus en France – Le Havre et Caen, les deux campus historiques, et Paris – et à l’étranger – Oxford et Dublin. Cela représente au total 4500 étudiants en formation initiale et continue diplômante. Notre programme phare est le Programme Grande Ecole, visé Bac+5 et délivrant le grade de Master, qui offre de nombreuses possibilités de parcours (alternance, expatriation, spécialisations – marketing, finance, logistique, évènementiel, ressources humaines, etc.) Nous avons également un Bachelor Mangement International en 3 ans, des MS et des MSc. Ces programmes sont accessibles sur concours ou sur dossier après le bac, et en post-bac +2/3 ou 4 selon les formations.
Selon vous, dans quelle mesure les Grandes écoles sont-elles accessibles aux étudiants en situation de handicap aujourd’hui ?
La très grande majorité des établissements est accessible physiquement à 100% ou presque. Cela fait suite aux gros travaux qui ont été entrepris suite à la loi de 2005. Dans un premier temps, beaucoup d’établissements se sont focalisés uniquement sur l’accessibilité physique. Une réaction liée à une vision restrictive du handicap, l’associant spontanément au fauteuil roulant. Mais, fort heureusement, un grand chemin a été parcouru depuis, notamment en termes de pédagogie. Et cette dynamique devrait se renforcer encore davantage dans les années à venir pour tendre vers une pleine accessibilité des Grandes Ecoles… Alors, dès qu’un dossier est terminé, on s’attèle au suivant avec la ferme intention d’améliorer encore et toujours plus la qualité de notre accompagnement.
Qu’en est-il au sein de l’EM Normandie ? Pouvez-vous nous raconter l’évolution de la prise en compte du handicap au sein de votre école ?
Suite à la signature de 1ère Charte Handicap par la CGE en 2008, l’EM Normandie a nommé un référent Handicap. Cela pour lui permettre de répondre au cas par cas aux besoins éventuels : aménagement de l’emploi du temps, soutien psychologique, etc. Mais l’augmentation des effectifs et l’ouverture de trois nouveaux campus a poussé la direction à harmoniser le suivi des étudiants en situation de handicap et à entrer dans une démarche proactive plutôt que réactive. C’était un peu l’histoire de la poule et de l’œuf : nous pouvions mettre les moyens mais à condition qu’il y ait des personnes concernées, et pour qu’il y ait des personnes concernées il fallait également qu’il y ait des moyens en place. La direction a donc tranché pour la seconde option.
Lorsque j’ai pris la responsabilité du pôle handicap en 2016, j’ai commencé par compter les étudiants en situation de handicap car nous n’avions pas forcément de données précises. J’ai consulté mes collègues et répertorié les jeunes qui avaient demandé un aménagement d’études (essentiellement des tiers temps). Nous en avions alors 17 sur l’ensemble de nos campus. Aujourd’hui, grâce à la politique proactive que nous avons mise en place, on compte plus de 100 étudiants en situation de handicap déclaré, soit 2,2% de l’effectif total.
Concrètement, nous sensibilisons davantage nos étudiants à la thématique handicap et études : nous parlons du handicap – visible et surtout invisible – et nous mettons en lumière l’accompagnement dont ils peuvent bénéficier.
Actuellement, nous n’avons aucune personne en fauteuil roulant, contrairement au stéréotype ancré dans les esprits. Sur l’ensemble des étudiants que nous accompagnons, 40% présentent des troubles dys, près de 25 % souffrent de maladies chroniques invalidantes, 5 % sont neuro-atypiques et quelques étudiants sont déficients sensoriels. Les autres étudiants peuvent avoir des troubles psychiques, ou cognitifs.
Votre mission repose donc sur la sensibilisation et l’accompagnement des étudiants…
Tout à fait. Beaucoup d’étudiants me disent : « Je ne suis pas handicapé, je suis dyslexique ». Idem pour les maladies chroniques invalidantes comme le diabète, la maladie de Crohn ou encore l’anorexie. Poser des mots effraie. Il y a une vraie dimension psychologique dans la prise en charge. Il faut instaurer un climat de confiance. Souvent, je leur explique que les termes « situation de handicap » ne sont pas discriminants ; il s’agit d’une reconnaissance aux yeux de la loi leur ouvrant des droits qui vont bien au-delà de l’obtention d’un tiers temps.
Par exemple, si l’étudiant ne comprend pas ses cours parce qu’ils ne sont pas dans un format accessible d’un point de vue pédagogique, sans parler de l’aspect visuel ou de l’accessibilité des locaux, un tiers temps ne sera pas forcément utile ou, du moins, pas suffisant.
Nous avons axé notre accompagnement sur ce constat. Les 17 premiers étudiants que nous accompagnés ont travaillé à nos côtés pour maximiser l’efficience du pôle Diversité.
Concrètement, comment se traduit votre accompagnement ?
Au début de l’année scolaire, je rencontre individuellement tous les étudiants concernés. Le but est de définir leurs besoins sur le plan scolaire, de leur transmettre toutes les informations nécessaires concernant la reconnaissance administrative RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé) et de leur expliquer leurs droits.
Mon rôle, au-delà de valider des aménagements, est de faire des entretiens motivationnels et de l’accompagnement « psychologique » pour démystifier le handicap. Sans en faire un étendard, les étudiant doivent apprendre à en parler librement et de façon constructive en explicitant clairement leurs éventuels besoins en termes d’aménagement de poste de travail lors d’un entretien d’embauche par exemple…
Au final, sur la centaine d’étudiants déclarés, 20% ne nécessitent aucun aménagement de scolarité. Cela prouve que, outre l’aide à la scolarité, ils ont compris que nous pouvions leur apporter un vrai soutien dans leur vie sociale et dans la construction de leur carrière professionnelle.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples de ce soutien pour concilier handicap et études ?
Premier exemple, l’expatriation. Notre objectif est qu’ils puissent choisir leur destination par rapport à leurs envies et leurs appétences et non pas par rapport à leur handicap. Certes, tout n’est pas possible mais nous faisons le maximum pour lever les barrières. On peut ainsi anticiper le besoin de logement spécifique, identifier un interlocuteur sur place, etc.
Autre exemple, 15 à 20% de nos étudiants en situation de handicap choisissent l’alternance. Dans ce cas, je les encourage vivement à parler de leur situation le plus tôt possible à leur employeur afin que ce dernier puisse déployer les aménagements nécessaires. Et bien sûr, je suis en lien avec leur tuteur ou le service RH de l’entreprise d’accueil si cela est nécessaire.
Quelles sont les conditions à remplir pour bénéficier de cet accompagnement handicap et études ?
Le dispositif mis en place par l’EM Normandie est ouvert à tous les étudiants en situation de handicap. Il est essentiel pour nous que chaque étudiant se sente en confiance et bénéficie des accompagnements et aides pédagogiques existantes le plus rapidement possible même si, d’un point de vue administratif, le handicap n’est pas officialisé. J’ai rarement vu un étudiant qui s’inventait une pathologie bien précise pour bénéficier d’un tiers temps…
A contrario, il m’est déjà arrivé de mettre en place des aménagements provisoires afin que les étudiants puissent être diagnostiqués plus facilement. Par ailleurs, un étudiant qui s’est déclaré en situation de handicap en première année n’a pas besoin de renouveler ses démarches ensuite. Je m’occupe de transmettre les informations nécessaires aux équipes administratives et enseignantes, ce qui permet de fluidifier la scolarité et d’éviter à l’étudiant de réexpliquer son handicap.
Mettez-vous en œuvre d’autres actions particulières pour améliorer le quotidien des étudiants en situation de handicap ?
Sur le plan technologique, nous déployons une solution de télétravail pour nos étudiants dans l’incapacité de se déplacer (hospitalisation, pathologie à crises, etc.) via un robot, baptisé Bob. Par son biais, l’étudiant peut suivre les cours, se déplacer sur le campus, dans les espaces de vie, échanger avec ses camarades et ses professeurs à distance…comme s’il était dans les murs !
Actuellement, nous faisons un test grandeur nature avec un étudiant immobilisé suite à un accident de voiture et cela va sûrement lui permettre d’éviter le redoublement.
À l’issue de ce test, nous prévoyons d’équiper tous nos campus avec un ou plusieurs robots.
Les choses évoluent donc très positivement et le champ des possibles est encore très large.
Je pense notamment à l’intégration des étudiants autistes qui nécessiterait une transformation complète de la façon d’enseigner et de concevoir l’environnement de travail.
Sur le plan pédagogique, un autre axe de travail consiste à sensibiliser les collaborateurs de l’EM Normandie sur la réalité du handicap et ses diverses formes. Ils en parlent avec bienveillance mais n’accordent pas de passe-droit pour autant. Chacun doit mériter son diplôme ! Et les étudiants concernés sont les premiers à apprécier ce discours car ils souhaitent être sur un pied d’égalité et ne demandent pas de « privilèges ».
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Je souhaiterais juste donner un conseil aux futurs étudiants : n’hésitez pas à contacter le référent ou la mission handicap de l’école que vous souhaitez intégrer. Anticipez votre arrivée pour bien la préparer. Quel que soit votre handicap, assurez-vous que votre établissement est handi-accueillant et n’écoutez pas les discours négatifs infondés. Certes, tout n’est pas possible mais le champ des opportunités est largement plus grand que ce qu’on peut laisser croire. Ne vous auto-censurez pas ! Donnez-vous la chance de réussir !
Plus d’infos sur l’EM Normandie et son accompagnement handicap et études : https://www.em-normandie.com/fr
En photo : Julien Soreau, responsable du service Diversité et Egalité des chances de l’EM Normandie et co-animateur du groupe handicap de la Conférence des Grandes Ecoles (CGE) – Handicap et études au sein de l’EM Normandie.