De l’importance de la culture pour tous… à celle de sortir de « l’entre-nous »
Par Catherine Sanchès. En introduction de son ouvrage « Esthétique », Hegel exprimait « l’universalité du besoin d’art ». L’art répondrait ainsi à un « besoin » inhérent à l’humanité. Ainsi, en créant la beauté, l’art procure aussi bien à celui qui le pratique qu’à celui qui le perçoit, un plaisir tel qu’il rend la vie meilleure, ou, pour un moment, peut-être un peu plus légère. D’où l’importance de l’accessibilité à la culture pour tous.
Oser une autre vision des choses
Favoriser l’accès à la culture s’est aussi enrichi de l’idée de faciliter la participation aux événements culturels. Quand le vannier Eric Barray s’associe avec des publics « empêchés » pour préparer la Fête des Lumières de Lyon, on peut applaudir. Et je retiens qu’il a osé parler des lumières dans la nuit à des déficients visuels. Et la lumière a pu redevenir un sujet de conversation plaisant en famille. Nous y sommes, l’art permet d’oser une autre vision des choses.
Oser est un verbe difficile à conjuguer pour un aidant familial. « Et si on allait voir cette dernière exposition ? ». Et là commence souvent un dialogue intérieur : « Mais s’il parle fort ? », « et s’il bouscule d’autres personnes », « et s’il ne voulait plus me suivre ? », « et si… ». Une série d’arguments survient alors comme une autocensure efficace. Ainsi, il est judicieux de chercher à faciliter le passage des désirs à la réalité.
Depuis 2014, France Alzheimer et maladies apparentées propose des sorties culturelles adaptées mêlant visites et ateliers. Le projet Art, Culture et Alzheimer offre une ouverture sur le monde et permet aux personnes malades de mobiliser en plus leurs capacités sensorielles.
(*https://www.francealzheimer.org/activites-adaptees-a-chacun/art-culture-alzheimer/)
Des C.C.A.S. proposent d’aller au cinéma l’après-midi… Autant d’occasions de sortir ensemble et bousculer les habitudes fatigantes qui rongent l’optimisme des aidants familiaux.
Des émotions dans un cadre partagé
Un coup de projecteur sur les émotions récentes partagées par deux couples lors de sorties culturelles permettra d’illustrer ce propos. Pour le premier, une invitation au théâtre a failli virer à la catastrophe. Le sujet de la pièce s’est révélé être très mal à propos, ravivant des blessures peu cicatrisées. La différence entre la réalité et le jeu était si difficile à tenir que Madame a tenu à rencontrer les artistes pour se rassurer. Les actrices allaient bien, c’était bien du jeu. Au-delà de ce qui pouvait apparaître comme une gaffe monumentale, un discours sur la surprise suscitée par un spectacle a repris sa place. Tant et si bien que le couple a eu l’initiative quelques temps plus tard de recevoir un spectacle à la maison. 35 invités, un artiste au milieu du salon, le goût de surprendre et de la vie avant toute chose !
Un autre couple a pu goûter la joie d’inverser les rôles. À l’occasion d’une nouvelle exposition, il retrouve quelques autres aidants et aidés pour rejoindre une visite commentée. Au milieu d’une trentaine de personnes, le mari de Mme A. s’approche avec enthousiasme d’un participant : « Comme je suis heureux de vous revoir ! ». Moment de gêne, l’homme en question ne semble pas le remettre mais il est bienveillant. Quelques questions sont posées, auxquelles madame peut répondre… « Mais, oui, c’est bien sûr ! J’ai 2 ou 3 ans de plus que vous mais nous avons grandi dans le même quartier ! ». Alors celui qui a de gros problèmes de mémoire permet à un autre de se souvenir. Celui qui fait tant de soucis à son épouse, dessine un beau sourire sur son visage, et même une lueur de fierté dans le regard. Là, au milieu d’autres, c’est un moment social sympathique. Madame peut regarder autour d’elle avec sérénité, personne ne voit autre chose que de belles retrouvailles. Elle me confiera plus tard combien ce jour-là son énergie avait été renouvelée. L’art est pour tous et ce n’était pas seulement « entre nous ».