Témoignage : Ma vie d’étudiante en médecine avec la mucoviscidose
La mucoviscidose touche aujourd’hui près d’un enfant sur deux mille à la naissance. Si le jeune chanteur Grégory Lemarchal a contribué à faire parler davantage de cette maladie, elle reste encore très peu connue du public. C’est pourquoi nous vous proposons un éclairage à travers le témoignage d’Aurore Franceschini, 21 ans, étudiante en 4e année de médecine, et atteinte de mucoviscidose.
La mucoviscidose, qu’est-ce que c’est ?
C’est une maladie génétique qui touche principalement les voies respiratoires et le système digestif.
Le problème vient de la protéine CFTR qui ne fonctionne pas correctement. Cette protéine sert à réguler les échanges de sels au niveau des muqueuses.
À cause de ce dysfonctionnement, le mucus est plus visqueux. Cela provoque des surinfections à répétition au niveau des poumons. À terme cela peut mener à l’insuffisance respiratoire et nécessiter une greffe du poumon. Au niveau du système digestif, c’est le pancréas qui ne va pas fonctionner correctement : cela peut entraîner une insuffisance pancréatique exocrine, qui correspond à la fonction de digestion, et une insuffisance pancréatite endocrine qui est en fait un diabète. Toutes les personnes malades n’ont pas exactement les mêmes atteintes, cela peut être différent d’une personne à l’autre, mais globalement ce sont les plus gros soucis rencontrés dans la vie d’une personne touchée par la mucoviscidose.
Cette maladie n’est donc pas contagieuse si elle est génétique ?
Tout à fait. La mucoviscidose n’est pas contagieuse. À la limite, les seules personnes à qui je pourrais la transmettre seraient mes enfants. Et il existe aujourd’hui des moyens de faire en sorte que cela n’arrive pas.
Quels sont les traitements existants pour soigner la mucoviscidose ?
Le premier traitement est symptomatique, c’est-à-dire que s’il y a une infection, on traite l’infection, s’il y a du diabète, on traite le diabète… Et pour la digestion, nous prenons des enzymes pancréatiques à chaque repas.
Depuis quelques années, il existe également des traitements qui corrigent un petit peu la fonction de la protéine qui est défaillante en cas de mucoviscidose. Cela ne permet pas d’être guéri, mais ce sont des médicaments qui ralentissent l’évolution de la maladie, et il y a bon espoir que les progrès continuent et qu’on arrive à terme à ce que la muco ne soit plus une maladie mortelle dont on ne guérit pas. Ou ce sera peut-être plus comme le diabète, dont on ne guérit pas mais avec lequel on peut vivre longtemps.
Par ailleurs, le recours aux greffes de poumons reste encore assez fréquent dans la mucoviscidose. À partir d’un moment où les poumons de la personne ne font plus leur travail, elle peut être inscrite sur une liste de greffe. L’opération peut permettre de sauver la vie de la personne à ce moment-là. Le problème des greffes c’est qu’il peut y avoir un rejet – si le corps n’accepte pas le greffon. Si tout se passe bien, cela peut faire gagner 1 an, 2 ans, 10 ans, 15 ans… de vie. Ceci dit cela ne revient pas à être guéri : on a de nouveaux poumons mais il faut gérer la greffe, c’est-à-dire notamment prendre des immunosuppresseurs, et être immunodéprimé – ce qui signifie que les défenses du système immunitaire sont affaiblies et que l’on a plus de risques d’infections que la population générale. Ce n’est donc pas anodin, mais cela ajoute des années de vie et ça peut faire une grande différence. Là encore, cela dépend de chaque personne. Certains vont avoir des poumons intacts jusqu’à 20 ans, et pour d’autres ce sera seulement deux ans et alors la greffe s’imposera. Mais cela reste un traitement de la dernière chance, quand il n’y a pas d’autre solution.
En tout cas, l’espérance de vie avec une mucoviscidose a énormément augmenté en 40 ans. En 1980, elle était de 8 ans, aujourd’hui elle est proche de 50 ans pour les personnes qui naissent maintenant.
Combien de personnes sont touchées aujourd’hui par la mucoviscidose ?
La mucoviscidose a une incidence d’un enfant malade sur deux mille naissances. C’est une maladie génétique rare, mais c’est la maladie génétique rare la plus fréquente.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours de vie avec la mucoviscidose ?
Aujourd’hui, il existe un test pour dépister la mucoviscidose dès la naissance. Mais lorsque je suis née, ce test n’existait pas encore, il a été mis en place trois mois après ma naissance.
Jusqu’à mes 18 mois, on ne savait pas que j’avais la mucoviscidose. À ce moment-là, mes parents sont allés voir le médecin parce qu’ils s’inquiétaient du fait que je n’avais pas beaucoup grossi en un an et que j’avais du mal à manger. Le médecin traitant a orienté mes parents vers un centre de génétique. C’est là que l’on m’a fait passer des tests et que l’on a découvert que j’avais la mucoviscidose.
Je n’ai pas de souvenirs de cette annonce, je l’ai vécue à travers ce qu’ont raconté mes parents et c’est comme si je l’avais toujours su.
Pendant mon enfance, je n’ai pas été trop embêtée. J’avais des infections de temps en temps et j’ai eu plusieurs cures d’antibiotiques par voie veineuse, mais cela restait assez rare. Je n’ai pas connu de longues hospitalisations de plusieurs mois pendant mon enfance et j’ai pu suivre une scolarité tout à fait normale.
J’ai rencontré davantage de problèmes à partir du lycée, où mon état s’est dégradé rapidement. Alors que j’étais en terminale, j’ai commencé à m’inquiéter car je toussais tout le temps et je ne dormais plus. Après que j’aie passé des examens, on s’est aperçus que j’avais perdu environ 20% de mes capacités respiratoires en trois mois. À ce même moment j’ai débuté un traitement contre la mucoviscidose et en fait cela a eu un effet incroyable sur moi. J’avais du diabète avant de prendre ce traitement et depuis je n’en n’ai plus. Je toussais énormément et je ne tousse plus. En résumé, cela m’a fait changer de vie. J’ai retrouvé une vie « normale ». J’ai pu passer mon bac, faire ma première année de médecine que j’ai validée du premier coup, et poursuivre mes études.
J’ai été à nouveau embêtée il y a deux ans, période où je me suis remise à tousser. Et en fait, l’année dernière, j’ai bénéficié d’une bilobectomie. Cela signifie que l’on m’a enlevé la moitié de mon poumon droit, parce que deux lobes de ce poumon ne fonctionnaient plus depuis longtemps, ce qui causait une sorte d’infection permanente. Depuis ce moment-là – cela fait un an – je vais très bien.
Cela n’a pas trop de conséquences de se faire retirer un morceau de poumon ?
Ce n’est pas sans conséquences, mais dans mon cas il n’y a eu que du positif car il s’agissait de morceaux de poumon qui ne fonctionnaient plus depuis trois à quatre ans. Le fait de me les retirer ne m’a donc enlevé aucune capacité respiratoire par rapport à ce que j’avais avant l’opération. Par contre j’ai maintenant beaucoup moins d’infections et je suis beaucoup moins encombrée parce que tout ce foyer infectieux qui était présent en permanence n’est plus. On peut vivre très bien avec un poumon et demi. Le reste de mes poumons est encore en bon état et ils continuent à faire leur travail.
Aujourd’hui quels sont les différents traitements qui vous suivez ?
Mes traitements sont assez nombreux.
Je fais de la kinésithérapie respiratoire tous les jours, pour enlever tout le mucus visqueux qui s’accumule.
J’ai des inhalations à faire : en période normale, je fais cinq minutes d’inhalation par jour pour fluidifier mon mucus et l’aider à sortir plus facilement ; et dans les périodes où je suis un peu plus malade, je fais également des inhalations d’antibiotiques.
Cela me prend environ 40 minutes par jour.
Je prends également des traitements par voie orale : du Créon à chaque repas (enzymes pancréatiques) pour digérer, des vitamines, de l’Orkambi – médicament pour ralentir les effets de ma mucoviscidose… Au total je prends entre 20 et 30 médicaments différents chaque jour. C’est quelque chose de banal dans la mucoviscidose et sur ce point tous les malades sont à peu dans le même cas.
Pouvez-vous faire du sport ?
Je peux faire du sport, et même, je dois en faire car c’est bon pour la santé. Cela permet de faire travailler les poumons et donc c’est un peu comme si je faisais une séance de kiné. C’est également bon pour le cœur, dans mon cas comme pour tout le monde. Bien sûr je n’ai pas forcément les mêmes performances, mais ce n’est pas ce que je recherche dans le sport. J’en fais donc régulièrement.
Pouvez-vous sortir de chez vous sans inquiétude ?
Je peux sortir, mais je dois prendre des précautions pour éviter les infections. Concrètement, cela relève plutôt du bon sens : lorsque je vois quelqu’un tousser, je vais éviter de lui faire la bise, je me lave les mains régulièrement… J’applique en fait les mêmes conseils préventifs que ceux qui sont donnés dans le cadre du coronavirus, sauf que je le fais tous les jours depuis de nombreuses années et que c’est intégré à mon quotidien. Je dois faire attention à l’hygiène, donc je ne vais pas dans des endroits très humides ou moisis, j’évite les piscines municipales… et tous les lieux qui peuvent être sources d’infection.
Et comme je travaille à l’hôpital, je prends également de nombreuses précautions lorsque j’y suis, en me lavant très régulièrement les mains, en portant des masques quand les patients toussent, et en n’allant pas dans les services à risques. J’ai obtenu le feu vert de mes médecins, et il n’y a pas spécialement de raisons que j’attrape quelque chose si je prends ces précautions-là.
Les études de médecine sont réputées pour être particulièrement difficiles et intenses… et pourtant vous avez relevé le défi ?!
J’ai toujours plus ou moins voulu devenir médecin, y compris quand j’étais enfant dès l’école, pour pouvoir faire comme les médecins que je voyais.
Il y a lien avec mon histoire car j’ai été confrontée très jeune au monde de l’hôpital. Et même si ce monde m’effrayait parce que j’avais peur d’entendre des mauvaises nouvelles, les médecins ont toujours occupé une place importante dans ma vie. Je suis très reconnaissante de tout ce qu’ils ont pu faire pour moi et j’ai envie de pouvoir leur rendre un peu la pareille… et aussi de me retrouver de l’autre côté du bureau, de pouvoir moi aussi sauver les gens.
Quand j’ai vu le niveau d’études qu’il fallait atteindre, alors que j’étais en CP, j’ai tout de suite changé d’idée parce que 12 ans d’études après le bac cela me semblait inimaginable. J’ai ensuite songé à devenir kiné. J’ai fait mon stage de 3e chez mon kiné et c’est là que je me suis rendu compte que je voulais vraiment être médecin et pas kiné. Et donc depuis la troisième, je ne me suis plus posé de questions et j’ai travaillé dans l’optique de devenir médecin.
Comment conciliez-vous votre maladie et vos études ?
Le mot clé c’est : organisation ! J’ai toujours réussi à gérer et la mucoviscidose et mes études, y compris au lycée. Ce n’est pas toujours facile parce que la mucoviscidose prend du temps et les études aussi. Je fais ma séance de kiné quotidienne le matin, avant les cours ou les stages, et comme je suis tranquille pour la journée. Quand j’ai besoin de travailler sur mes cours ou que je suis en période d’examens, je fais mes inhalations tout en révisant. Malgré tout, je mets toujours ma santé au premier plan, quitte à travailler un peu moins sur mes cours si c’est nécessaire. Parce qu’il me semble que je ne pourrai pas soigner les autres si je ne prends pas le temps de me soigner moi-même.
Avez-vous signalé votre mucoviscidose auprès de votre établissement scolaire pour obtenir un soutien ?
Oui. J’ai un projet personnalisé pour les études supérieures (PPES). Je suis allée voir la médecine préventive de mon université. Je leur ai exposé mon souci. Par exemple il y a des lieux de stage où je ne peux pas me rendre, notamment en pneumologie, car c serait trop dangereux pour moi et pour les patients. Il était donc nécessaire que je puisse « choisir » mes lieux de stage pour ne pas être confrontée à ce genre d’incompatibilités.
À partir de là, plusieurs aménagements ont été mis en place pour que je puisse suivre mes études normalement, et je trouve que ma fac, à Marseille, a bien géré la situation.
Lorsque je suis en stage, je parle également de ma maladie à mes supérieurs, et globalement les gens sont bienveillants par rapport à cela. J’ai déjà entendu quelques remarques déplacées, mais les discriminations par rapport à cela restent très rares.
Par exemple, lors du premier jour de mon premier stage à l’hôpital, la cadre infirmière m’a dit : « Mais que fais-tu en médecine si toi-même tu es malade ? ». Une aide-soignante m’a également dit devant des patients : « Ah, c’est toi qui a la mucoviscidose ? Ne m’approche pas alors ! ». Alors que la mucoviscidose n’est pas du tout contagieuse.
Selon les médecins vous ne deviez pas vivre plus de 15 ans… Quel est votre état d’esprit aujourd’hui par rapport à cela ?
Déjà, lorsque j’étais enfant, je ne savais pas que les médecins avaient dit cela. C’est quand j’ai eu 16 ans que mes parents m’ont raconté que les médecins leur avaient au départ annoncé que je ne vivrais pas plus de 15 ans. Voir que je fêtais mes 16 ans était donc assez incroyable pour eux.
Pour ma part, je ne peux pas me mettre à la place des médecins à ce moment-là… mais je trouve cela quand même dur de faire une telle annonce à des parents qui viennent d’avoir un enfant, de prévoir une date de fin… alors qu’en fait personne n’en savait rien. Déjà quand j’étais petite, les progrès étaient importants et j’ai trouvé cela étonnant, d’autant plus que je connais aujourd’hui beaucoup de patients adultes qui vont bien, et même certains qui sont à la retraite !
Maintenant, ce que je sais c’est que mon espérance de vie est inférieure à celle d’une personne qui n’a pas de problèmes de santé. Mais je sais aussi que l’on peut mourir à n’importe quel moment, et de n’importe quoi… et pour autant, tout le monde ne vit pas en se répétant sans cesse : « Je vais mourir un jour ». Donc j’essaye de faire pareil. J’ai des amis qui malheureusement sont décédés avant moi alors qu’ils étaient en très bonne santé. Cela me fait relativiser et me rappelle que qui que l’on soit, on ne sait pas pour combien de temps on est là, et qu’il faut profiter de la vie tant qu’on peut.
Est-ce que cela déclenche en vous une sorte de « Carpe diem » ? Avez-vous l’impression de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête ?
Oui. Cela me travaille effectivement. Et je n’arrive pas toujours à être aussi positive. Cela m’arrive d’avoir peur comme tout le monde, de me demander pourquoi j’ai choisi des études aussi longues… je me pose de nombreuses questions, mais j’arrive toujours à me raisonner et à me dire que ça ne sert à rien d’avoir peur maintenant. Du coup j’essaye de profiter du moment présent, de faire ce que j’aime. Pour l’instant je vais bien et il n’y a pas de raison forcément que ça aille plus mal, donc je vis au jour le jour, et ce n’est pas quelque chose que je subis au quotidien. Je le gère bien.
Que souhaitez-vous dire aux personnes qui sont dans la même situation que vous, et notamment aux plus jeunes ?
Nous n’avons pas eu de chance de naître avec la mucoviscidose – ou avec une autre maladie d’ailleurs. Mais ce n’est pas pour cela qu’on ne peut pas être heureux. Certes, il y a des moments difficiles, cela demande de l’organisation, ce n’est pas toujours facile. Mais au final il y a toujours moyen d’être heureux malgré les difficultés. La médecine avance énormément – encore plus dans le cas de la muco – et on ne peut pas savoir de quoi l’avenir sera fait. Je pense qu’il faut profiter de l’instant présent au maximum. Au départ on m’annonçait pas plus de 15 ans de vie et j’ai aujourd’hui 21 ans. On peut vivre longtemps avec la mucoviscidose. Je connais des personnes qui vivent avec depuis 40 ans, 60 ans et qui vivent bien alors que les médecins ne leur donnaient pas plus de 8 ans d’espérance de vie.
Par ailleurs, il ne faut pas voir le handicap comme un obstacle absolu ou définitif. Dans mon cas j’ai choisi de faire des études difficiles malgré la muco et ça fonctionne… Après cela ne veut pas dire que forcément, parce qu’on a un handicap, il faut faire des études difficiles, mais simplement qu’on peut faire beaucoup de choses. Ça peut être aussi ouvrir une entreprise, voyager… Et pour les parents qui ont des enfants atteints de mucoviscidose et qui viennent d’apprendre le diagnostic, c’est important qu’ils sachent que rien n’est écrit, qu’ils ont un avenir, et qu’on peut être heureux avec cette maladie. Tout reste possible.
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Je tiens également une page Facebook et un compte Instagram qui se nomment : « Pour une vie sans muco ».
J’y partage mon quotidien de patiente atteinte de la mucoviscidose, et aussi d’étudiante en médecine. Je fais le lien entre les deux. Ce que j’aime beaucoup, c’est que grâce à ces page il y a un grand nombre de gens qui me contactent : des personnes qui sont en médecine et qui ont une maladie chronique autre que la mucoviscidose, des personnes atteintes de mucoviscidose, des parents d’enfants malades… et cela me plaît beaucoup de pouvoir discuter et échanger avec elles.