Découvrez la nouvelle chronique de Catherine Sanches : Bidule, machine et compagnie… Ou des histoires désaffectivées.
Par Catherine Sanches. Ce ne pourrait être que de simples anecdotes… Des petites histoires pour raconter des malentendus. Je souhaiterais partager avec vous deux ou trois petites choses que j’ai eu du mal à entendre, et qui m’ont donné mal au cœur. Il sera question d’un abandon, d’un accident de la vie et d’un rendez-vous raté.
Depuis le premier confinement, une représentante de la gente féline a décidé de nous rendre visite de plus en plus souvent. Ce comportement sympathique est devenu systématique. Une brève enquête de quartier ne nous permit pas d’identifier un propriétaire et, avec l’automne, nous avons souvent laissé « la minette » se pelotonner au chaud.
Un soir, je croisais une ancienne voisine qui avait mis en vente sa maison. Rapidement, j’évoquais un chat : « Ah, c’est Bidule. Vous voulez parler d’une petite chatte au pelage de type écailles de tortue ? Bidule ? Elle vit dehors, elle vient de la rue, comme elle avait ses habitudes dans le quartier, on s’est dit que c’était mieux qu’elle reste… De toute façon, c’est ça ou la SPA. » Je vous passe l’absence de suivi vétérinaire, l’oubli de son âge et le ton désinvolte qui va avec.
Bidule ? Avec un nom pareil, cette dame n’a pas parlé de ses habitudes, ni même évoqué de câlins au creux d’une couette. Pas d’affect, pour un abandon, c’est pratique : il n’y a aucun regret, encore moins de remord. Je ne m’étonne plus des propos du ministre de l’Agriculture Julien Denormandie. Il a présenté un plan pour les animaux de compagnie en décembre dernier. Il a évoqué des pistes pour lutter contre les abandons et rappeler à chaque adoptant ou acheteur sa responsabilité. Dès 2021, il y aurait un « certificat de sensibilisation obligatoire » qui listerait les engagements. Mais est-ce que cela aurait suffi pour déclencher plus de respect envers Bidule ? Je ne fais pas le pari. Par contre, notre famille a officiellement adopté celle que nous avons nommée Minette, avec un M « comme un emblème… » *.
Par la suite, je me suis remémoré un souvenir du début de ma carrière au sein d’un service de gériatrie. Loin de moi l’idée de vous décrire un lieu où des patients sont traités comme des animaux. Non, c’est un bon service, le personnel est qualifié, décrit comme à la pointe du progrès et novateur dans les traitements engagés. Les lieux sont propres et le sol brille. Un infirmier me croise : « Tu as été voir le col de la chambre 27 ? ». Je n’ai pas compris la question. « Oui, celui qui s’est cassé le col du fémur… ».
Après cette explication donnée avec un ton agacé, je peux renseigner mon collègue par l’affirmative. Effectivement, j’ai rencontré un vieil homme, encore surpris par ce qui lui est arrivé : un accident de la vie, l’accident de sa vie. Il s’agit d’une personne très affectée. Il ne s’agit pas de gravir un col, encore moins d’un col de chemise ou d’un objet d’étude de laboratoire à manipuler.
L’affectivité est trop souvent considérée comme une valeur désuète, voire un sujet de défiance. Ainsi, ce soignant travaillait sans doute de manière professionnelle mais en évitant un registre de soins relationnels. S’impliquer comme personne humaine, pas seulement comme professionnel, est cependant un effort toujours à renouveler. Se retrouver dans des services de soins de longue durée peut éroder la confiance du soignant et l’inviter à se replier dans un mode de fonctionnement défensif. D’où l’intérêt de soutenir la formation continue, les échanges en équipe, de renommer ce que sont les bonnes pratiques de soins et de redire l’intérêt de la bientraitance dans une relation réciproque.
Enfin, une émotion très personnelle est revenue à la surface. Il y a un peu moins de 20 ans, j’accompagnais ma fille aînée le jour de sa première rentrée des classes. Avec son papa, nous avions la même fébrilité que d’autres parents. Nous avions préparé cette rentrée avec le médecin de la PMI, rencontré la directrice de l’école pour évoquer les soucis de santé de notre enfant, et convenir des aménagements. Nous étions confiants et fiers devant la porte principale ce jour-là. Mais nous avons été arrêtés dans notre élan.
La directrice nous barre l’accès : « Je ne peux pas vous laisser entrer… ». « Mais, pourquoi ? ». « Eh bien, enfin, mais ça se voit ! ». Ni l’un ni l’autre, nous n’avons su quoi dire et dans le flot de la rentrée personne ne s’est arrêté pour nous aider à progresser…
« Ça ? ». Impossible de ne pas avoir mon cœur qui saigne à l’évocation de ce souvenir. Mais je vous rassure, nous avons trouvé des solutions. Souvent tordues, car on arrive peu à modifier la bêtise, on la contourne plus facilement. Et des gens bien, il y en a. Il n’est pas toujours facile de les trouver, souvent ils sont discrets, mais leur amour à la tâche peut faire des merveilles. Ma fille se présentera bientôt à ses examens de CAP, elle a pu franchir des portes car, en plus de ses parents, elle a été portée par des professionnels qui ont eu à cœur de la soutenir comme une personne à part entière.
Catherine Sanches Rodrigues
*en référence à la chanson de Mathieu Chedid : « Je dis aime »
Illustrations © APOLLINE SANCHES RODRIGUES