Peut-on vraiment parler d’habitat inclusif ?
Interpellé par cette question de sémantique sur l’habitat inclusif, nous avons échangé à ce sujet avec Stéphane Forgeron, chroniqueur d’Handirect et auteur de l’ouvrage « Handicap : l’amnésie collective – La France est-elle encore le pays des droits de l’homme ? », co-écrit avec Bachir Kerroumi, aux éditions Dunod.
Selon Stéphane Forgeron, la notion de logement inclusif n’existe pas dans les pays les plus avancés en matière de prise en compte du handicap. En France « habitat inclusif » correspond la plupart du temps à un habitat partagé entre personnes en situation de handicap ou intergénérationnel. Voici la définition donnée par le Larousse : « Habitat inclusif ; mode d’habitation regroupé comprenant des espaces privatifs et des locaux communs affectés à un projet de vie sociale et partagée, qui est librement choisi par des personnes handicapées et/ou âgées, à titre de résidence principale ».
Adopter une approche inclusive, c’est définir et appliquer des politiques publiques accompagnées de plans d’actions
« La notion d’« habitat inclusif » a en fait peu de sens, à tel point que celle-ci n’est pas employée dans les pays qui réellement pratiquent l’inclusion, commente ainsi Stéphane Forgeron. Adopter une approche inclusive, c’est définir et appliquer des politiques publiques accompagnées de plans d’actions offrant les mêmes possibilités à tous les citoyens de pouvoir vivre dignement au cœur de la cité en leur garantissant une haute qualité de vie, et non dans des établissements à l’écart de la société. Cela demande d’appliquer des politiques publiques qui agissent sur les causes de l’exclusion du logement, tant à l’intérieur (accessibilité) qu’à l’extérieur (urbanisme). Dans nombre de pays, l’inclusion est conçue comme un moyen de lutter activement contre l’exclusion ».
Il ajoute : « Prenons l’exemple de l’éducation. En Finlande, l’école inclusive est considérée comme une politique publique globale, laquelle intègre toutes les dimensions du système éducatif : vision, stratégie, planification, programmes scolaires à travers la conception universelle de l’apprentissage, organisation scolaire, structures éducatives, outils pédagogiques, formation des enseignants et évaluation de l’apprentissage.
Faire l’adaptation de logements sans se préoccuper de l’environnement dans lequel les personnes vivent est un non-sens
Il estime par ailleurs que pour ce qui est de l’habitat, faire l’adaptation de logements sans se préoccuper de l’environnement dans lequel les personnes vivent est un non-sens. Un logement parfaitement adapté pour qu’une personne en fauteuil vive à domicile peut se transformer en lieu de privation de libertés : en effet, les architectes et les urbanistes français n’ont pas pensé à ce lien entre le dehors et le dedans. Les personnes handicapées au sens large veulent pouvoir faire leurs courses, se promener, se divertir, se rendre chez le médecin en toute autonomie et non être assignées à résidence en raison d’un cadre urbain conçu pour les bien-portants par des bien-portants. Les architectes et les urbanistes ne tiennent pas compte de la diversité des habitants qui composent une ville.
Enfin, Stéphane Forgeron indique que l’avancée en âge de la population entraîne une mutation des demandes et des besoins dans les secteurs de l’urbanisme, de l’habitat et des services urbains. Pour que la population puisse continuer de vivre normalement, depuis une trentaine d’années le logement social aurait dû s’adapter aux besoins des individus les plus vulnérables en raison de leur condition physique, sensorielle ou cognitive. La construction standardisée du XXème siècle a trop souvent omis de prendre en considération les modes de vie et d’habitat de ceux vivant avec des problèmes liés à l’âge, à une maladie chronique ou à un handicap. En Suède, par exemple, toute personne handicapée doit vivre en milieu dit ordinaire : c’est une question d’équité, d’épanouissement de la personne, de respect de ses droits et de pleine participation à la société.
Pour Stéphane Forgeron, en France, nous devrions donc plutôt parler d’habitat partagé. Et il n’est pas question de dévaloriser cette pratique qui possède d’excellentes qualités.