Interview de Sandra Senou, maman de deux enfants qui a écrit un livre jeunesse inspiré du parcours de son fils et fondé l’association « Nos enfants extra-capables », dédiée aux parents d’enfants à besoins spécifiques.
Nous avons échangé Sandra Senou, autrice d’un roman jeunesse, créatrice du podcast « Nos vies extraordinaires » et fondatrice de l’association « Nos enfants extra-capables », dédiée aux parents d’enfants à besoins spécifiques – en situation de handicap.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
J’ai 37 ans. Je suis cadre administrative dans un établissement de santé, épouse et maman de deux enfants. Dans une autre vie, je suis autrice du livre jeunesse « Les aventures d’Alexandre », créatrice du podcast « Nos vies extraordinaires » et fondatrice de l’association « Nos enfants extra-capables ».
Pouvez-vous nous parler de votre fils Alexandre ?
Alexandre a 11 ans aujourd’hui. Il a une infirmité motrice cérébrale qui se traduit par une incapacité à marcher et à utiliser ses mains. Alexandre est un grand prématuré né à 25 semaines et 4 jours. Cela représente à peu près le début du 6e mois.
Aujourd’hui, il a des séquelles dues à son extra-prématurité. On nous parle aussi d’une maladie rare, mais on ne sait pas encore laquelle c’est, les médecins cherchent. Son handicap a évolué avec le temps. Il y a des choses qu’il arrivait à faire lorsqu’il était petit et qu’il n’arrive plus à faire maintenant. Il y a des symptômes qui sont apparus il y a trois ou quatre ans, et qui ont fait dire aux médecins qu’il ne s’agissait pas que de séquelles neurologiques. Nous en sommes là aujourd’hui. Mais Alexandre est un garçon très attachant, très souriant, déterminé et investi dans ce qu’il fait.
Vous avez écrit un ouvrage : « Les aventures d’Alexandre : le rêve d’Alexandre ». Quel a été l’élément déclencheur de ce livre et que pouvez-vous nous en dire ?
Quand Alexandre était petit, je lui lisais souvent une petite histoire. Mais je trouvais qu’il n’y avait pas d’histoires avec des héros handicapés ou différents. Cela me frustrait un petit peu et je me disais que cela devait aussi être frustrant pour l’enfant à qui on lit une histoire, et qui ne peut pas s’identifier. Alexandre ne pouvait pas marcher… donc avoir un héros qui court, qui saute, qui fait ci et ça que lui ne peut pas faire, je trouvais que ça ajoutait de la difficulté, ou que ça pouvait créer un problème de doute et de manque de confiance en lui. C’est quelque chose qui me manquait. Et j’avais déjà en tête d’écrire un livre, sans savoir vraiment sur quoi j’allais écrire.
Lorsqu’il avait 3 ou 4 ans, il s’est passé quelque chose avec Alexandre. Il avait un chanteur préféré : Gims. Son papa lui avait offert des tickets pour son concert et il m’a dit : « Maman, moi ce que je voudrais, c’est le rencontrer un moment et discuter avec lui ». Je lui ai répondu : « Oh, ben ça, c’est un peu compliqué… ». Mais je lui ai proposé qu’on enregistre une petite vidéo, pour qu’il lui demande directement s’il était possible d’organiser une rencontre. C’est ce qu’on a fait. Puis j’ai posté la vidéo sur les réseaux sociaux.
Que s’est-il passé ensuite ?
Cette vidéo a fait le tour du web. Elle a été très largement partagée, même par des célébrités. C’était énorme ! Jusqu’à ce qu’elle parvienne à une personne qui connaissait la femme de Gims. Il a envoyé un message à sa femme. Un peu plus tard, une personne de la production de Gims nous a contactés pour nous proposer de le rencontrer à telle date. Il était donc d’accord. Je n’y croyais pas, c’était génial !
Juste après cela, je me suis dit : « C’est une très belle histoire, c’est un enfant handicapé qui a un rêve et qui fait tout pour le réaliser ». C’est donc à ce moment-là que j’ai écrit le livre : je raconte cette histoire de telle sorte que ce soit vraiment comme un conte, et avec des illustrations, parce que c’est un livre qui est d’abord destiné aux jeunes enfants. Comme ça, au moins, on a un livre qui illustre la vie d’un enfant handicapé, qui est le héros de l’histoire. Et cet enfant, il n’est pas en train de parler de sa maladie, il n’est pas en train de s’apitoyer sur son sort, il est vraiment en train de vivre sa vie et de réaliser son rêve. C’est un enfant qui est handicapé mais qui est comme les autres.
Quelles sont vos attentes par rapport à cet ouvrage ?
Le but, c’est que chaque enfant puisse s’identifier, qu’il soit handicapé ou non.
Le premier volet consiste donc à sensibiliser à la différence les enfants qui ne sont pas porteurs de handicap. Forcément, un enfant qui va voir un autre enfant en fauteuil va poser des questions à ses parents, parce que les enfants sont curieux. Là c’est l’occasion, pour les parents, d’aborder ce sujet. On leur tend une perche.
Le deuxième volet vise à permettre aux enfants porteurs de handicap ou à besoins spécifiques de s’identifier à un héros qui leur ressemble. De leur montrer que, en fait, ce n’est pas parce qu’on est handicapé qu’on n’a pas le droit de rêver. Vous pouvez rêver, vous pouvez même réaliser vos rêves si vous le souhaitez ! L’objectif est d’apporter une confiance en soi et de leur dire : le handicap n’est pas une fatalité et vous pouvez faire plein de choses.
Ce livre est donc un outil d’inclusion et de sensibilisation au handicap.
Comment peut-on se procurer cet ouvrage ?
On peut le commander sur internet : sur le site « Les aventures d’Alexandre » et bientôt sur le site de l’association « Nos enfants extra-capables ». Il est vendu au prix de 15 euros. Il est aussi disponible sur les principaux sites de vente en ligne, mais les délais d’expédition sont plus courts en passant par nos sites.
Vous avez également réalisé une série de podcasts. Comment vous est venue l’idée ? Pouvez-vous nous présenter ces podcasts ?
Cette série de podcasts existe depuis un an et nous venons de lancer la saison 2. Après la sortie du livre, j’allais souvent sur les réseaux sociaux et souvent, les gens me demandaient : « Comment se passe votre quotidien ? Qu’est-ce qu’il a Alexandre ? ». Ils se posaient des questions sur le handicap, par rapport à Alexandre mais aussi de manière générale. Je trouvais donc qu’il manquait des outils de sensibilisation pour le grand public sur le sujet du handicap. Mon livre permettait de sensibiliser mais pas assez, parce qu’il ne parle pas du handicap en soi.
C’est comme ça que j’ai commencé. Je me suis dit que ce serait bien de faire un podcast qui parle de la vie des familles d’enfants porteurs de handicap et à besoins spécifiques, mais pas que. J’ai intitulé ce podcast : « Nos vies extraordinaires ». Il est disponible sur toutes les plateformes d’écoute et ici : https://podcast.ausha.co/nos-vies-extraordinaires/
Ce podcast va parler du quotidien des enfants porteurs de handicap, des prises en charge qui existent, des difficultés qu’on peut rencontrer… Il entre vraiment en profondeur dans les sujets et met en lumière des choses qu’on n’imagine pas autour du handicap des enfants. Derrière, ce podcast est aussi l’occasion d’apporter de l’espoir. On est là [l’association] pour que le handicap ne soit plus un sujet tabou, mais également pour porter ce message d’espoir « qu’on peut y arriver à condition de s’en donner les moyens ». L’idée, c’est donc de sensibiliser et d’encourager, dans la suite du livre. Le podcast va toucher des parents d’enfants à besoins spécifiques et aller plus loin.
La saison 1 comporte 15 épisodes et plusieurs épisodes de la saison 2 sont déjà en ligne ici.
Autre moment fort de votre parcours : vous avez créé l’association « Nos enfants extra-capables », pour les parents d’enfants à besoins spécifiques, que vous avez citée précédemment. Comment ça s’est passé et que fait cette association ?
Comme j’aime bien le dire : les actions ont une suite logique. On a fait le livre, on a fait le podcast. Ensuite, on s’est dit que ce serait bien d’aller sur le terrain et d’aider les autres. Parce que je me rendais compte que les parents d’enfants porteurs de handicap restaient toujours dans une souffrance. Parmi ceux qui me suivent sur Instagram, certains témoignent chaque jour des difficultés qu’ils rencontrent et de l’isolement qu’ils ont ressenti à l’annonce du handicap de leur enfant.
Je suis aussi passée par là avec mon mari. Alexandre a 11 ans aujourd’hui. Je sais la douleur que cela peut créer. Nous, on a eu la chance d’être deux, de pouvoir suivre une thérapie, de tenir et de nous relever et d’en faire une force. Alors, je me suis dit : « Pourquoi ne pas profiter de cette expérience pour en faire bénéficier d’autres parents ? Leur dire que même si ce n’est pas facile, ce n’est pas la fin du monde, qu’ils peuvent s’en sortir ». L’idée est venue comme ça et nous avons fondé l’association « Nos enfants extra-capables », pour accompagner les parents d’enfants porteurs de handicap, les aider à accepter le handicap de leur enfant.
L’action de notre association repose notamment sur des groupes de parole dédiés aux parents d’enfants à besoins spécifiques, avec une psychologue. Il s’agit de soutenir ces parents mais aussi de leur montrer qu’ils ont le droit de vivre en dehors du handicap de leur enfant. Souvent, ils consacrent tellement d’énergie à s’occuper de leur enfant qu’ils n’ont pas de vie, qu’ils sont isolés… notamment lorsqu’il n’y a pas de structures pour accueillir leur enfant. Cela peut aussi entraîner des nuits blanches, de la fatigue chronique. Ils sont parfois épuisés sans s’en rendre compte. De temps en temps, en tant que parents aidants, nous devons prendre du temps pour nous-mêmes et sortir un peu pour trouver un équilibre. De mon côté cela m’a beaucoup aidée, j’ai confié mon enfant à quelqu’un d’autre alors qu’avant je n’osais pas… J’étais tellement tombée dans une phase où j’étais fatiguée et triste tout le temps, que je me suis dit : « Je ne peux plus, il faut que je reprenne un rythme de vie plus ou moins normal ». Cela m’a fait du bien et ça m’aide à tenir aujourd’hui.
L’association propose aussi aux parents des ateliers de bien-être, des massages, pour prendre soin de soi et retrouver confiance en soi. Des échanges et des partages d’expérience.
Il y a également un volet de sensibilisation important, ainsi qu’un volet dédié à l’accompagnement.
Votre association intervient également pour aider les enfants à besoins spécifiques et leurs parents en Afrique…
En effet. En Afrique, le handicap est un sujet difficile, tabou. Les enfants porteurs de handicap ne sont pas intégrés dans la société. Les associations n’ont pas mis en place de structures pour les accueillir dans les écoles, qui ne sont pas toujours adaptées. Parfois ces enfants n’existent pas pour la société. Il y a donc beaucoup de sensibilisation à faire sur ce plan.
Nous apportons aussi de l’aide matérielle : des fauteuils roulants, des déambulateurs, des lits médicalisés, des ordinateurs… pour que ces enfants puissent bénéficier des outils nécessaires pour leur vie quotidienne et leur éducation.
Autre volet : nous essayons d’apporter des compétences venues d’ici, c’est-à-dire des professionnels de santé (ergothérapeutes, orthophonistes…), qui, par leur expertise vont pouvoir faire des consultations par visio, ou se rendre sur place pour faire des consultations et former du personnel au niveau local, pour que les enfants puissent ensuite être pris en charge dans des structures adaptées.
Concernant vos actions en France, qui peut s’adresser à l’association « Nos enfants extra-capables » et comment ?
L’association est basée en Île-de-France, et c’est également dans cette région que sont organisés les groupes de parole. Ceci dit, en fonction de la demande, on peut se déplacer pour en faire ailleurs si vraiment il y a une forte demande sur une zone géographique en particulier. Je peux également m’adresser à une association locale pour créer le lien, car nous travaillons avec d’autres associations qui proposent aussi des groupes de parole.
Concernant l’adhésion à l’association, elle peut se faire sur toutes les zones géographiques de la France. Dans ce cadre, nous pouvons éventuellement aider un parent à financer, en province, un rendez-vous avec un thérapeute ou un moment détente ou bien-être.
Toute personne intéressée peut commencer par se rendre sur le site internet de l’association : https://neec-assohandicap.org/
Elle peut ensuite nous contacter pour savoir ce qui est faisable et ce qu’on peut mettre en place.
Dans tous les cas, tout est toujours soumis au financement, c’est le nerf de la guerre. Nous agissons en fonction des moyens que l’on a et qui nous sont alloués.
Où en êtes-vous aujourd’hui ? Avez-vous déjà de nouveaux projets en tête ?
Des projets, j’en ai toujours plein la tête ! Avant tout, on va continuer à bien faire ce qu’on a commencé à mettre en œuvre. Pour le reste, je finalise en ce moment l’écriture du livre « Les aventures d’Alexandre 2 ». On en est à la phase de relecture et d’illustration.
De plus, nous réfléchissons à organiser un gala de charité l’année prochaine, pour l’association. Justement, en vue de mener plus d’actions sur le terrain, et peut-être de créer un groupe de parole en province.
Par ailleurs, mon souhait, c’est vraiment d’intervenir dans des lieux et instances où on prend des décisions autour du handicap, et aussi de sensibiliser le plus de personnes possible, que ce soit dans des conférences ou des séminaires. Sensibiliser au handicap et à sa face cachée mais aussi montrer que ce n’est pas une fatalité si on met en place des actions bien précises.
Avez-vous un message à faire passer ?
Nos enfants à besoins spécifiques ont des capacités insoupçonnées. Toujours est-il qu’il faut qu’on les accompagne et qu’on leur en donne les moyens. Tant qu’il n’y a pas de moyens, tant qu’il n’y a pas de structures adaptées au mètre carré comme pour les autres enfants, ils n’auront pas les mêmes chances. Prenons la vie du bon côté et voyons comment on peut faire pour intégrer les enfants dans la société.
Vous pouvez soutenir les actions de l’association « Nos enfants extra-capables » par des dons en argent ou en temps si vous avez des compétences, nous avons toujours besoin de ressources. Sachant qu’il y a une possible défiscalisation de tous les dons. Tout parrainage ou partage de nos pages internet et de nos publications de réseaux sociaux représente également une aide précieuse.
En photo : Sandra Senou et son fils Alexandre © DR