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Marcel Nuss : « Je sais ce qu'est la misère affective ! »

Branly – Spot 2 – PC
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Marcel Nuss, c’est une figure qu’on ne présente plus. Une des figures emblématiques de la lutte pour les droits des personnes handicapées. Atteint d’amyotrophie spinale infantile, âgé de cinquante-quatre ans, il est totalement immobilisé et souffre d’insuffisance respiratoire. Père de deux enfants, il a été successivement marié, puis divorcé. Aujourd’hui, il vit avec une nouvelle compagne : « J’ai une vie sentimentale très pleine ! » lance t’il en préambule à notre entretien sur son action pour le droit des personnes handicapées à une sexualité épanouie.

H. : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager dans ce combat pour le droit à la sexualité ?
Marcel Nuss : Ma réussite personnelle me pousse à m’intéresser à celle des autres. Je sais ce que c’est que la misère affective alors dans la mesure de mes capacités et de mes moyens, j’ai voulu lutter contre quelque chose qui me révolte et que j’ai connu quand j’avais vingt ans.

 

H. : Quel type d’actions menez-vous ?
M.N. : Je veux porter le débat sur la place publique pour faire reconnaître le droit à l’accompagnement sexuel. Je me bats pour la défense de ce droit et aussi pour le droit à la vie affective.

 

H. : Percevez-vous, depuis quelques années, une différence dans la prise en compte de ces besoins, une évolution des mentalités en la matière ?
M.N. : Non, elles sont à peu près aujourd’hui au même stade qu’il y a des années. Il est probable qu’aujourd’hui, en France, il y a encore une majorité de personnes qui sont contre ou qui ne comprennent pas. En même temps et d’un point de vue politique, les choses commencent à évoluer dans le sens d’une prise de conscience et de la reconnaissance d’un besoin irréversible. D’ailleurs, politiquement, l’affaire est en très bonne voie et l’année prochaine devrait être importante.





 

H. : Vous pensez que l’Assemblée va légiférer ?
M.N. :
Il n’y a pas à légiférer sur le sujet ou alors on doit légiférer sur tout et n’importe quoi ! Ce mois-ci, nous avons une réunion avec Patrick Gohet à la Délégation Interministérielle et un juriste va travailler sur le faire pour faire des propositions concrètes qui permettent de protéger les accompagnants sexuels et les personnes qui vont avoir un rôle d’intermédiaire, tout en n’ouvrant pas non plus la porte à une dérive vers la prostitution.

 

H. : Donc, la reconnaissance du statut d’accompagnant sexuel est proche ?
M.N. :
Aujourd’hui, dans la mesure où on tombe sous le coup du Code pénal avec, par exemple, accusation de proxénétisme pour quelqu’un qui jouerait le rôle d’intermédiaire entre un(e) accompagnant(e) sexuel(le) et une personne handicapée, il est très difficile de pratiquer. Il faut que les directeurs d’établissements ou les auxiliaires de vie puissent être mieux protégés.

 

H. : Justement, n’y a-t-il pas une certaine différence entre les personnes vivant en Centre ou à domicile ?
M.N. :
Non, si un des aidants cherche un(e) prostitué(e) pour la personne auprès de laquelle il intervient, il tombe sous le coup de le loi. Il est vrai que c’est un peu plus simple à domicile qu’en milieu institutionnel où existent encore de nombreuses psychoses, angoisses et freins internes ! Le problème, c’est que jusqu’à présent, personne n’a jamais été poursuivi en France pour délit d’humanité. Et certains directeurs d’établissements prennent des risques ouvrent leurs établissements… A ce propos, il existe dans plusieurs départements des expériences officieuses et il existe des accompagnants sexuels qui exercent déjà même si l’on fait en sorte que cela ne s’ébruite pas. Il convient de les légaliser et de les officialiser !





 

H. : Dans certains pays, les prestations de ces aidants sont remboursées par la Sécurité sociale. Seriez-vous favorable à un tel remboursement ?
M.N. :
C’est hors de question pour moi ! Ce n’est pas un acte médical, donc ce n’est pas à la Sécurité sociale d’assumer. On va proposer que les charges spécifiques qui sont dans la PCH (100 euros/mois) soient augmentées à concurrence de 150 ou 200 euros, en sachant que même si cette somme est portée à 200 euros, il sera difficile de payer sur ces fonds plus d’une prestation, puisqu’une séance coûte environ 120 euros. Les personnes devront donc faire des choix. Avec le doublement des charges, elles pourront assumer une partie des frais d’accompagnement sexuel, mais à raison de pas plus d’une séance par mois, ou les utiliser ainsi que l’a prévu le législateur pour assumer des charges liées à l’achat de médicaments ou de matériels non remboursés par la Sécurité sociale – comme le Viagra mais aussi les couches… – mais pourtant indispensables pour la personne handicapée. On arrive alors à la situation suivante : ou bien la personne se paie deux séances par mois, ou bien elle paie les couches ! Il faut responsabiliser l’accompagnement sexuel. C’est un droit, mais pas un dû ! C’est un choix individuel qu’il faut défendre et qu’il faut que chaque personne assume.

 

H. : En somme, il risque d’y avoir toujours des exclus ?
M.N. :
Ce n’est pas le but. La mise en place va se faire par étapes. Le Collectif Handicap et Sexualité (CHS) est en train de créer un concept qui va donner un statut plus clair à la PCH. Il va d’ailleurs se joindre à d’autres associations, élargissant ainsi le champ de la réflexion et de la gestion de la question. Les personnes handicapées psychologiques et les personnes âgées à terme seront prises en compte. Il faut avancer progressivement pour ne pas froisser certains esprits…L’ouverture à terme sera la plus large possible et il n’est pas question d’exclure ou d’ignorer une catégorie au détriment d’une autre. Cela n’aurait aucun sens.

 

H. : Pensez-vous que l’accompagnement devra être le fait de personnes volontaires ou de prostitué(e)s ?
M.N. :
Il devra être pratiqué par des personnes dûment formées. Ainsi, en Suisse, à Lausanne, ont été récemment remis les dix premiers diplômes (voir article p. ndlr) à des personnes formées par le SEHP, une association qui a lancé la première formation francophones d’accompagnants sexuels, en association avec le Dr Catherine Agthe. Parmi les dix diplômés, il y avait deux Français dont un kiné et un psychologue. Il y avait aussi une prostituée… Parmi les personnes intéressées par l’accompagnement sexuel, on trouve beaucoup de gens issus du milieu paramédical ou de la prostitution et c’était le cas pour la plupart des dix qui ont suivi la formation suisse. Ensuite, parmi eux, on trouvait aussi une personne très malvoyante qu’un homme amputé…

 

H. : Un mot sur le Livre blanc que vous avez rédigé
M.N. :
Il marche toujours très bien et je crois qu’il est presque épuisé. Il a joué son rôle dans la mesure où il est très complet. Il sera sans doute réédité car il faut toujours informer et faire bouger les esprits mais j’espère sincèrement que, dans quelques années, il sera dépassé et que, dans dix ans, il n’aura plus lieu d’être.

 

H. : En conclusion ?
M.N. :
On est en train d’avancer. On va dans le bon sens et c’est une évolution inéluctable. On ne peut pas stopper un train en marche ! Nous voilà au XXIe siècle ! Je suis confiant, mais mon objectif est fixé au second semestre 2010 et j’ai l’intention de tour faire pour que « ça » marche… le fait que des juristes s’en mêlent est pour moi une très bonne chose. Le travail que nous menons avec Patrick Gohet depuis un an et demi à raison d’une rencontre tous les trois mois porte ses fruits même s’il reste à faire. Au niveau des medias, il y a eu la récente programmation (février 2009) du documentaire « L’amour sans limite » sur France 5 et je sais qu’un nouveau documentaire sur l’accompagnement sexuel en Europe est en préparation pour France 2.

 

Propos recueillis par Serge Mouraret

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