Accessibilité dans le Rhône : « La prise de conscience amenée par la loi de 2005 s’est concrétisée seulement en 2015 »
Rencontre avec Éric Benon, président du Carpa, le collectif des associations du Rhône pour l’accessibilité dans le Rhône.
Le Carpa, qu’est-ce que c’est ?
C’est une association loi 1901 qui a été créée en 1990 et qui a la particularité d’avoir comme adhérents des associations représentatives du handicap, soit une trentaine en tout.
Nous représentons ces associations sur les sujets liés à l’accessibilité dans le Rhône au sein des instances de concertation et au sein des commissions de sécurité et d’accessibilité au niveau du département du Rhône et de la ville de Lyon.
Le CARPA a une filiale : CARPAccess. C’est une association également mais qui a un caractère plutôt commercial et qui propose du conseil et de la formation à Lyon et dans toute la France.
Quel état des lieux faites-vous de l’accessibilité en France aujourd’hui ?
Les choses évoluent, notamment depuis l’ordonnance de 2014, qui a mis en place le dispositif d’Ad’Ap. On a senti une accélération réelle à ce moment-là.
Si je compare l’accessibilité à ce qu’elle était lorsque j’étais enfant, il est certain que la situation a beaucoup changé, mais il reste encore énormément de choses à faire, que ce soit au niveau des transports, des logements, des ERP, de l’espace public, la voirie… Après, certaines communes et réseaux sont tout de même plus en avance que d’autres selon les domaines.
Le problème est que l’on a beaucoup tardé. La loi de 2005 a amené la prise de conscience mais rien ne s’est vraiment concrétisée jusqu’au 1er janvier 2015. Si on avait commencé il y a 40 ans, on n’en serait peut-être plus là aujourd’hui, mais ce qu’il faut retenir c’est que ça avance enfin.
Qu’en est-il plus particulièrement pour la ville de Lyon et de l’accessibilité dans le Rhône ?
Au niveau du Rhône, 19000 ERP sont entrés dans le dispositif Ad’Ap. Il reste encore quelques petits établissements qui ne sont pas rentrés et ne rentrerons pas dans cette démarche puisque l’État a décidé de mettre fin au dispositif de dépôt d’Ad’Ap au 31 mars 2019.
Pour se mettre en conformité ils devront désormais faire une demande de travaux, l’établissement faisant, alors, l’objet d’un réaménagement. C’est finalement une procédure plus simple d’un point de vue administratif, mais si ces personnes-là ne sont pas rentrées dans le dispositif dans les délais, c’est qu’il y a peut-être eu soit de la mauvaise volonté, soit un manque d’information et de communication. Cela concerne essentiellement des petits établissements car les grosses collectivités, en tout cas sur le département du Rhône, sont en grande majorité entrées dans le dispositif Adhap depuis longtemps, y compris la ville de Lyon qui est y entrée depuis le départ. Elle poursuit les travaux de mise en accessibilité de tous ses ERP, qui sont au nombre de 600 environ. Le travail a commencé depuis plus de 4 ans maintenant, et les choses se font petit à petit et de concert avec nous, le Carpa. Nous avons en effet la chance d’être très souvent sollicités par les techniciens de la ville de Lyon et les choses avancent bien.
Concernant les quelques établissements qui ne sont pas entrés dans le dispositif, ils prennent le risque qu’un jour une personne les attaque en justice pour non-conformité, ce qui pourrait arriver contenu de l’exaspération générale des personnes en situation de handicap quant à l’accessibilité.
Il est important de rappeler que les premiers textes de loi concernant l’accessibilité remontent à 1975. De même si des aménagements ne sont pas faits, ou mal faits, et que cela provoque un accident, ce sera très attaquable face au propriétaire.
Toujours concernant la ville de Lyon, que pouvez-vous nous dire sur l’accessibilité :
De la voie publique ?
La voie publique relève la Métropole du Grand Lyon. Un plan d’accessibilité voirie a été réalisé en 2010 en concertation avec le Carpa et les autres associations membres de la Commission Métropolitaine d’Accessibilité. C’est à partir de ce plan que chaque année une programmation est faîte avec plusieurs centaines de milliers d’euros engagés pour mettre en accessibilité la voierie, sur la base de critères que nous avons définis ensemble dès le départ, mais aussi en fonction des besoins des habitants et des décisions des élus. L’idée prioritaire est notamment de rendre la voierie accessible dans l’environnement des hôpitaux, des écoles, des mairies… en relation avec les transports en commun. Une fois que cela sera fait, il faudra bien sûr continuer, sachant qu’il y a 2000 km de voierie sur la Métropole.
Ce qui nous pose problème aujourd’hui, au sein du Carpa, c’est que dans les programmations qui sont faîtes en dehors du plan d’accessibilité voierie, les priorités des élus et de la Métropole ne sont pas forcément les mêmes que les nôtres en tant que représentants d’usagers. Ils souhaitent parfois voir aboutir des projets emblématiques et cela oblige à faire des choix entre ces projets et le réaménagement des lieux où la voierie est endommagée. Toutefois les concertations régulières nous permettent de rappeler régulièrement que ces travaux-là sont importants aussi. Trop souvent, des lieux très fréquentés sont en mauvais état, et nous recevons des plaintes des usagers tous les jours devant la situation qui se dégrade… Notre rôle consiste donc aussi à permettre une meilleure cohérence entre les besoins des usagers et la perception des élus. Nous avons justement créé un groupe de travail interne au sein du Carpa pour essayer, après diagnostic, de sensibiliser les élus locaux sur les besoins.
Des transports publics ?
Le réseau TCL (Transports en Commun Lyonnais) est l’un des réseaux les plus conformes par rapport aux autres réseaux en France. L’accessibilité est prise en compte depuis longtemps, notamment depuis la construction de la ligne D en 1992, pour laquelle il y a eu une prise de conscience et un travail en commun avec les associations et le Carpa. Les discussions ont commencé au début des années 1990 et se poursuivent encore aujourd’hui.
Nous avons un réseau métro équipé d’ascenseurs permettant d’accéder à chaque station, à l’exception de la station Croix-Paquet à cause de la pente naturelle de la Croix-Rousse – nous avons fait le choix sécuritaire de ne pas en mettre, estimant que ce serait dangereux pour les usagers de se retrouver sur cette pente à 18%. Chaque rame de la ligne D dispose d’un comble-lacune qui vient se placer entre la rame et le quai pour éviter que les roues des fauteuils butent dans un creux. La ligne B – prochaine ligne automatisée à l’automne 2020 – bénéficiera du même dispositif.
Concernant les bus, 80% des arrêts sont accessibles aux personnes en fauteuil roulant – ils ont été surélevés pour permettre à la rampe d’accès de ne pas avoir une pente trop importante pour monter dans le bus. Les bus disposent d’un emplacement réservé aux fauteuils, et ils proposent des indications visuelles pour les personnes sourdes, et sonores pour les personnes non-voyantes.
Nous avons travaillé également sur la signalétique du futur tramway T6 et du futur métro B de manière à prendre en compte les personnes en situation de handicap mental, psychique ou cognitif.
Au niveau des tramways, il y a de moins en moins de difficultés, avec des rames accessibles via toutes les portes, des informations visuelles et sonores, des graphismes étudiés pour être compris par le plus grand nombre. De nombreux arrêts sont également équipés de bornes visulys, qui permettent de savoir dans combien de temps arrive le prochain métro, tram ou bus et duquel il s’agit. Ces bornes sont aussi vocalisées pour les personnes déficientes visuelles.
Les travaux se poursuivent et le Sytral n’a pas échappé à son Sd’Ap (Schéma D’Accessibilité Programmé) pour les transports en commun, et qui doit se mettre en œuvre sur une période de 6 ans. Le Sytral a priorisé les arrêts dits prioritaires selon les critères de l’ordonnance de 2017 – notamment ceux qui sont proches d’un établissement spécialisé ou d’un pôle multimodal. Parallèlement à cela, la mise en accessibilité des autres arrêts se poursuit.
Concernant ce qu’il reste à améliorer, nous avons toujours deux lignes de métro qui ne sont pas totalement accessibles et qui ne le seront probablement pas dans les années qui viennent. Il y a des ascenseurs mais ces deux lignes ne disposent pas du comble-lacune, petite lamette qui se place entre la rame et le quai pour permettre un accès en fauteuil sans prendre le risque de mettre la roue dans le trou. C’est un vrai problème car beaucoup de personnes en fauteuil ou mal marchantes n’arrivent pas à franchir cet obstacle et de fait ne prennent pas le métro, notamment des personnes en fauteuil électrique ou tétraplégiques – ces personnes se rabattent souvent sur le service Optibus, ce qui amène d’autres problématiques.
Il y a aussi certains arrêts de bus qui doivent encore être rendus accessibles.
Quant aux ascenseurs qui tombent en panne, cela reste un problème mais il y a une nette amélioration depuis dix ans, et on a compris d’où venaient les pannes : les ascenseurs étaient conçus pour accueillir un nombre limité de personnes mais ils ont eu plus de succès que ce qui était prévu. Depuis, ces appareils ont été remplacés et on constate beaucoup moins de pannes, même si cela reste des machines.
Par ailleurs, pour l’accessibilité dans le Rhône, nous n’avons aucune visibilité sur les cars interurbains : les cars du Rhône etc. À l’époque où le Conseil général était l’autorité organisatrice de transports pour les Cars du Rhône, nous travaillions très bien ensemble, mais depuis que c’est le Sytral nous n’avons plus de nouvelles et nous ne savons pas ce qui se fait en matière de développement de l’accessibilité. Nous avons un interlocuteur auprès du Sytral pour les TCL mais pas pour les Cars du Rhône.
Des commerces et cabinets médicaux ?
Les petits commerçants ne sont a priori, pour un grand nombre, pas entrés dans le dispositif. Je pense que cela a pu venir, dans une majorité des cas, d’un manque de bonne information, de communication et de relai, bien que les chambres consulaires aient mené des actions en ce sens, de même que la Direction départementale des territoires (DDT). Cela a permis d’avancer mais ce n’était pas assez fluide pour dépasser le cas par cas.
Pour ce qui est des cabinets médicaux, il y en a fort heureusement quelques-uns qui ont fait les démarches, avec des demandes de travaux. Mais il y a eu tout de même, dans ce secteur, beaucoup de tentatives d’échapper à tout ce dispositif, avec un gros lobbying, et là aussi un manque d’informations, notamment sur la possibilité de déroger dans certains cas pour les professionnels installés dans des immeubles d’habitation anciens sans ascenseurs. Ce qui ne les dédouane pas de l’obligation pour les autres types de handicap. Certains syndicats d’hôteliers ont aussi assez mal vécu la chose, peut-être par rapport à la manière dont ces obligations d’accessibilité ont été présentées. Aujourd’hui la situation s’est améliorée dans ces différents secteurs. Même s’il y a encore des tentatives et une certaine tentation à ne rien faire. À ce sujet, je pense que l’État devrait être en mesure de donner plus de pouvoir aux préfets (interdire l’ouverture si la commission constate que l’établissement n’a pas joué le jeu de la transparence, par exemple).
Des logements ?
En 2010, le Conseil général, qui avait encore la main sur le sujet, a mis en place une charte du logement adapté de concert avec les associations. Parallèlement à cela, les instances de concertation qui ont été instaurées par la Loi de 2005, ont aussi eu l’obligation de recenser les logements accessibles. Très vite, il y a eu une confusion entre ce qu’était un logement accessible et un logement adapté. Et on a mis beaucoup de temps – on y arrive enfin mais cela remonte à moins d’un an – à faire comprendre aux collectivités, aux bailleurs sociaux et à quelques promoteurs, quelle est la différence entre un logement accessible et un logement adapté.
Un logement accessible est un logement qui répond aux normes dès le départ, que l’on vient forcément adapter en fonction de la pathologie de la personne.
À côté de cela, certains logements ont été adaptés par les bailleurs sociaux, notamment, et cela les a conduits à les considérer comme des logements accessibles, ce qui n’était pas le cas, puisqu’ils avaient été adaptés à des pathologies particulières.
Donc lorsque la collectivité a sollicité les bailleurs sociaux pour leur demandé quelle était leur part de logements accessibles, ils ont donné comme référence le nombre de logements adaptés.
En outre, dans l’approche qu’avait la Charte du Conseil général de 2010, on allait plutôt vers des logements adaptés pour des personnes âgées. Résultat : pendant des années, nous avons fait des logements adaptés pour personnes âgées.
Pour ce qui est des bâtiments neufs – qui jusqu’à la Loi ELAN devaient être accessibles à 100% depuis le 1er janvier 2007 – les promoteurs se sont acharnés à faire des immeubles d’habitations qui ne dépassaient pas les trois étages, pour ne pas être obligés d’installer un ascenseur. Finalement, sur le parc neuf, on a très peu de logements accessibles. Ils pensent avoir fait des économies, mais est-ce que la société a fait des économies, rien n’est moins sûr.
Face à cela, la Métropole du Grand Lyon, qui a récupéré plus tard la compétence du logement, est partie plutôt vers une politique de logements regroupés. C’est extrêmement intéressant, notamment du point de vue économique puisque, la Métropole payant la PCH (l’aide humaine), le fait de regrouper les PCH entraîne des économies. Aujourd’hui on va donc vers cette politique-là, qui est favorable aux personnes qui ont un handicap lourd et peuvent disposer d’un logement accessible… mais cela se fait au détriment des autres personnes en situation de handicap. C’est-à-dire que dans un programme neuf, on a préféré faire trois ou quatre logements accessibles en travaillant avec les futurs locataires (pour qu’ils soient adaptés à leurs besoins) et du coup pouvoir se passer de l’obligation de faire 100% des logements accessibles. Le problème étant que pour les personnes en situation de handicap qui ne souhaitent pas s’inscrire dans cette démarche de logements regroupés, qui veulent avoir un logement autonome, il n’y a pas ou peu d’offres. C’est dommage sur les plans économique, social, et pour la mixité… et aujourd’hui il est très difficile de trouver un logement accessible.
Pensez-vous que la Loi de 2005 et la mise en place des Ad’AP ont permis une prise de conscience pour l’accessibilité dans le Rhône et en France ?
La Loi de 2005 a été un début de prise de conscience, mais les gens sont d’abord restés frileux et beaucoup ont attendu l’échéance du 1er janvier 2015 pour voir ce qui allait se passer. Je pense que la vraie accélération a été l’ordonnance de 2014, où là, mis devant le fait accompli, beaucoup de personnes ont commencé à se mobiliser.
Peut-on encore s’attendre des avancées aujourd’hui pour l’accessibilité dans le Rhône et ailleurs ?
Bien sûr, tout n’est pas fait donc les choses vont continuer à avancer. Le risque étant que les lois puissent encore être modifiées, notamment la Loi de 2005 qui peut à nouveau être décortiquée. La Loi ELAN nous a démontré que c’était encore possible.
Mais nous allons certainement continuer à voir des améliorations dans le domaine des transports, du logement, des ERP – avec par exemple la balise sonore pour les personnes non-voyantes, qui sera peut-être remplacée par une nouvelle technologie reliée aux smartphones et qui pourra permettre d’avancer encore sur l’accessibilité. Nous essayons d’ailleurs de répondre positivement aux petites start-ups qui développent de bonnes idées en ce sens et qui sollicitent un accompagnement de notre part. Nous trouvons cela intéressant, fascinant, et surtout important. Et même si nous nous plaçons aujourd’hui beaucoup sur une approche de cadre bâti, nous sommes sûrs que demain (quand tout le monde aura déposé sa demande de travaux !), l’avenir de l’accessibilité reposera sur les nouvelles technologies.
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Malgré tous les manquements et la complexité de la situation, tout le courage qui nous est nécessaire parfois, il ne faut surtout pas que les usagers désespèrent, car il y a tout de même eu de véritables avancées au cours des vingt dernières années, et nous allons nous assurer que cela continue.
En photo : Éric Benon, président du collectif Carpa, pour la promotion de l’accessibilité dans le Rhône.