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Confinement des personnes handicapées : le bilan de 4 semaines

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Confinement des personnes handicapées : Quel bilan pour les personnes en situation de handicap après bientôt quatre semaines de confinement ?

Un mois bientôt après le début du confinement et 12 jours après le lancement de la plateforme Handicaps Solidaires par le Gouvernement, à grands renforts de communication, la situation de très nombreuses personnes handicapées semble bien compliquée. De nombreux témoignages nous parviennent faisant ressortir des situations de détresse lors du confinement des personnes handicapées, et plus particulièrement de personnes dépendantes vivant à domicile.

Une situation préoccupante
Les associations d’aide à domicile sont dépassées par les événements : elles n’arrivent pas à maintenir leurs effectifs. La grande majorité d’entre elles n’a d’ailleurs toujours pas de masque ou de gant. Les aidants s’exposent et exposent les personnes à une contamination involontaire. De ce fait, de nombreux aidants ont stoppé leur activité laissant dans le désarroi un grand nombre de personnes en situation de handicap en grande dépendance.

Les besoins sont pourtant nombreux, et vont des actes essentiels de la vie à la nécessité de faire ses courses, de faire un minimum de ménage et même d’assurer les démarches administratives. Se coucher, se lever, s’habiller, se laver, aller aux toilettes, se nourrir, prendre ses médicaments, prendre part à des activités chaque jour pour tromper le confinement et sauvegarder sa dignité, sa santé mentale, se faire livrer ses médicaments, tout cela n’est pas du superflu. Et pourtant un grand nombre de personnes dépendantes doit aujourd’hui faire face à l’impossibilité d’obtenir une aide quotidienne pour satisfaire ces actes essentiels.

Les aidants familiaux, comme les parents, à qui l’on a demandé du jour au lendemain de reprendre à domicile leur enfant, ou pour certains un frère ou une sœur, avec une perspective de 15 jours de confinement, n’avaient déjà pas eu le temps de s’organiser. Mais après quatre semaines avec une perspective de 15 à 30 jours supplémentaires, sans aide technique, sans aide humaine extérieure, sans consommable lié au handicap et sans possibilité de se fournir dans des délais raisonnables…. c’est l’implosion qui guette certaines familles. Près de 700 enfants lourdement handicapés hébergés en Belgique ont rejoint un domicile familial non adapté et non préparé. Doit-on encore creuser le sujet ?!!!





Depuis une vingtaine d’années, le secteur du handicap ainsi que l’État se sont trop reposés sur le bénévolat, lequel a montré ses limites. En effet, au travers d’associations aux moyens financiers et humains limités, les personnes handicapées pouvaient être aidées par des bénévoles pour faire leurs courses moyennant une cotisation annuelle. Or, nombre de ces bénévoles ont plus de 70 ans, et du jour au lendemain ils sont restés confinés chez eux, car à leur tour ils sont devenus une population dite vulnérable à cause du Covid-19.

Le simple fait de faire ses courses ou de se faire livrer est devenu un parcours du combattant, qui touche aussi bien les personnes avec un handicap physique difficile à gérer que les personnes aveugles ou malvoyantes, mais aussi toutes les personnes en perte d’autonomie du fait d’une maladie ou de l’âge. De nombreux sites de vente en ligne ne sont pas accessibles numériquement à bien des personnes en situation de handicap sensoriel ou cognitif, contrairement à d’autres pays (ex. Etats-Unis, Canada, Norvège), en raison d’un cadre juridique non contraignant en la matière.

En outre, les sites marchands qui proposent la livraison de nourriture à domicile ont été pris d’assaut (dispositifs de livraison nettement réduits en termes de créneaux horaire), au point que certaines personnes n’ont pas eu accès à leur commande avant une dizaine de jours. Et tout le monde n’a pas quinze jours de nourriture d’avance dans ses placards ou d’aliments frais dans son frigo : fruits et légumes, produits laitiers ou viandes et poissons.

Pour nombre de personnes handicapées vivant seules, il s’agit d’un confinement à la dure, similaire à celui de la ville de Wuhan en Chine, foyer où est née l’épidémie du Covid-19 en novembre 2019. On ne peut que constater que le confinement n’a pas fait l’objet d’une réflexion prenant en compte la diversité humaine de la population française.





L’absence criante de politique d’anticipation du confinement des personnes handicapées

En l’absence de stratégie de résilience urbaine inclusive, à savoir la mise en œuvre de politiques publiques (ex. San Francisco, Tokyo, Londres, Bristol, Berlin, Melbourne, Singapour) accompagnées de plans d’actions en mesure d’anticiper et d’absorber une catastrophe (naturelle, sanitaire, humanitaire) et de retrouver une vie normale à la suite d’une crise majeure, l’improvisation a mis en lumière la faiblesse de nos administrations en termes d’organisation de notre société dans le secteur du handicap, lequel reste grandement sous la tutelle du ministère de la Santé.

Du jour au lendemain, nombre de services ont fermé, et on a dit à cette population vulnérable et à leurs proches : « Aide-toi et le ciel t’aidera ». On a fait appel à la solidarité nationale, mais pour être efficace celle-ci doit être planifiée, testée, coordonnée, avec des moyens spécifiques pour gérer une telle crise. Notre système administratif et notre organisation sociale ont dès le premier jour du confinement montré leurs limites, car ils n’ont été d’aucun soutien pour venir en aide aux populations les plus vulnérables. En cas de crise, la transparence et la réactivité sont deux facteurs-clés pour éviter des catastrophes et instaurer un climat de confiance.

La Ville de Paris a une stratégie de résilience urbaine[1], votée par le Conseil de Paris en 2017. Les Parisiens n’ont pas été informés de l’existence d’un tel plan. Ce document de près de 130 pages consacre deux lignes aux personnes handicapées, et à notre grande surprise ce plan n’a pas été déclenché avec cette crise qui touche également la capitale de la France. Le 18 mars 2020, sur les ondes de France Inter l’adjoint en charge du Logement à la mairie de Paris a demandé aux personnes handicapées vivant seules de se faire connaître auprès de leurs gardiens d’immeubles, pour que ces derniers informent les services sociaux de la présence d’habitants potentiellement en grande difficulté. Quant au numéro 3975 pour venir en aide aux Parisiens handicapés, il n’est accessible que depuis le 6 avril aux personnes sourdes.

De même, dès le 20 mars j’avais alerté dans un éditorial des risques encourus par les personnes et les enfants victimes de violences domestiques, parmi lesquelles les personnes handicapées. Ce n’est que quinze jours plus tard qu’enfin l’État et les principaux médias se préoccupent du problème.

Tout est focalisé sur les soignants à qui nous rendons hommage pour leur engagement sans faille malgré le peu de moyens de protection dont ils disposent. Mais ce ne sont pas les seuls sur la ligne de front de cette crise. Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt, alors que de grandes manifestations contre le féminicide ont eu lieu au 1er trimestre de cette année et que le gouvernement depuis le 15ème anniversaire de la loi de 2005 n’avait que le mot « inclusion » à la bouche! À croire que les décideurs de ce pays et leurs aéropages d’experts sont incapables d’anticiper et découvrent les problèmes au fur et à mesure des dégâts qu’ils causent par leur inaction.

Des solutions hasardeuses et non structurées

15 jours après le confinement, le secrétariat d’État aux personnes handicapées lance une plateforme destinée à recenser les différentes initiatives solidaires en faveur des personnes en situation de handicap, une initiative toute à fait louable. Dix jours après son lancement relayé par de nombreux médias comme de nombreuses associations, les résultats ne sont pas au rendez-vous : en région Auvergne Rhône-Alpes, on ne recense que 5 actions ; en région Île-de-France, on ne recense que 10 actions, dont 5 sont de nature différente ; en région Nouvelle Aquitaine 12 actions, dont 7 sont de nature différente ; en région Centre 10 actions, dont 6 sont de nature différente ; et en région Bretagne 13 actions, dont seulement 8 sont de nature différente. Force est de constater que soit la sauce n’a pas pris, soit des actions solidaires ne sont pas au rendez-vous, soit les personnes handicapées ou les associations n’adhèrent pas à ce type de dispositif, nombre d’entre elles se sentant totalement abandonnées par les pouvoirs publics.

Un autre dispositif, baptisé « Tous Ensemble », a pour but d’améliorer le confinement des personnes handicapées. Sous l’égide de la Fédération Grandir Ensemble, il a pour but d’accompagner les familles touchée par le handicap dans cette période difficile, en les aidant à trouver des solutions concrètes pour organiser leur quotidien. Dix jours après son lancement, cette plateforme ne semble pas non plus connaître le succès. Une cagnotte y est même organisée pour financer différentes initiatives, et au 9 avril elle n’avait récolté que 200 euros. Pourtant, cette plateforme propose de manière très concrète d’aider les familles et les personnes handicapées : bénéficier de quelques heures de répit pour se reposer, faire ses courses, consacrer du temps au reste de la fratrie… mais aussi obtenir de l’aide pour aller faire les courses avec l’accompagnement d’un volontaire bénévole et, si besoin, être écouté et accompagné dans les moments difficiles par une cellule d’écoute ou d’aide éducative à distance.

Lorsque vous tapez « Grandir Ensemble » dans Google, le plus étonnant est que la principale réponse que le moteur de recherche apporte concerne une association loi 1901 de soutien à la parentalité, mais aussi une association religieuse ou bien d’autres sites encore qui portent le même nom. Dans les autres résultats, aucune mention n’est faite à la Fédération Grandir Ensemble.

Handissimo, quant à lui, propose sur son site différentes pages pour venir en aide aux personnes handicapées et leur famille. Il s’agit pour partie d’une liste de structures censées apporter des solutions en lien avec la crise du Covid-19, mais qui n’est en réalité qu’un annuaire de structures ou d’associations de toute nature sans lien avec la crise, et qui sans doute pour la grande majorité d’entre elles sont fermées et sans activité durant le confinement. De plus, il faut être préinscrit sur le site Handissimo pour profiter des informations.

Nous assistons donc à un florilège de réponses tardives, improvisées, pour la plupart incohérentes, non structurées et inefficaces, même si les porteurs de projets sont toujours sincères et désireux de bien faire. Parallèlement, face à l’ampleur des besoins qui existent sur l’ensemble du territoire, on peut également observer que les réponses sont géographiquement très mal réparties, en petit nombre et ne répondant qu’à une petite partie des besoins existants, avoués ou estimés. Seule l’Agefiph semble avoir réfléchi sérieusement à un faisceau de mesures destinées à soutenir les employeurs et les personnes handicapées dans l’emploi ou en recherche d’emploi.

La CNSA maintient quant à elle un lien téléphonique entre les MDPH et les demandeurs de prestations, et prolonge jusqu’à mi-septembre tous les droits arrivés à échéance des personnes handicapées.

L’accès aux soins, bien que sacralisé par le Gouvernement, n’est pas non plus au rendez-vous. Il est pourtant essentiel pour un grand nombre de personnes, et notamment celles qui souffrent de difficultés respiratoires chroniques ou qui nécessitent des manipulations quotidiennes pour éviter les escarres ou divers problèmes physiologiques. Il ne s’agit pas dans la plupart des cas d’une hospitalisation, mais de soins à minima hebdomadaires que les soignants ne peuvent plus assurer car réquisitionnés par le milieu hospitalier et les urgences. Le confinement bien que nécessaire et utile n’a apparemment pas fait l’objet d’une réflexion pour offrir des solutions aux différentes catégories de la population les plus fragilisées ou les plus exposées.

En synthèse, cette crise sanitaire ne fait qu’amplifier l’absence d’une approche par les besoins de la personne handicapée et fait courir de graves risques à cette population. Cette crise inédite doit nous questionner sur l’organisation de notre société afin de systématiquement prendre en considération tous les publics concernant toute mesure, que celle-ci soit prise dans un contexte inédit ou non.

Enfin, cette crise révèle que le Gouvernement n’a pas de politiques publiques (ou stratégie) à long terme en direction des personnes handicapées qui vivent à domicile (plus de 92% de cette population) en matière de vie autonome, d’accès aux soins, à un logement, à l’information, aux services, etc.

Force est de constater que les personnes handicapées passent encore trop souvent en dernier, en dépit des beaux discours et des postures sur le sujet, sans une once de réflexion sur des problématiques majeures en termes de prise en compte de leurs besoins et difficultés au quotidien, depuis de nombreuses années.

Espérons qu’il y aura un avant et un après covid-19 pour les personnes en situation de handicap

Co-écrit par Jean-Marc Maillet-Contoz et Stéphane Forgeron

[1]https://api-site-cdn.paris.fr/images/95335

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