Un retard de diagnostic peut entraîner des répercussions majeures sur le traitement de la maladie et son évolution : c’est ce qui ressort de l’enquête sur l’importance du diagnostic réalisée par l’association Bipolarité France et ses partenaires dans le cadre de la journée mondiale des troubles bipolaires qui a eu lieu le jeudi 30 mars 2023.
« Si la littérature scientifique évoque entre 8 et 10 ans pour un diagnostic des troubles bipolaires, il est intéressant de regarder au-delà de cette moyenne : certains témoignages parlent de 10 ans, 15 ans, voire 20 ans… », explique l’association Bipolarité France. C’est pourquoi elle a décidé de lancer cette enquête auprès des personnes atteintes de troubles bipolairse en partenariat avec l’Unafam, la Fondation Pierre Deniker et Bipolar UK. Objectif : récolter un ensemble de données permettant de mieux comprendre les enjeux du diagnostic.
Nous vous proposons de revenir sue les principales conclusions de l’association Bipolarité France et de ses partenaires à l’issue de cette l’enquête à laquelle 1024 personnes ont pris part.
Un parcours souvent long et complexe entre les premiers symptômes et le diagnostic
« Le trouble bipolaire est une maladie psychiatrique chronique caractérisée par des troubles récurrents de l’humeur. Les personnes atteintes d’un trouble bipolaire alternent épisodes maniaques, hypomaniaques, dépressifs ou mixtes, rappelle l’association Bipolarité France. La littérature scientifique nous apprend que les premiers symptômes du trouble bipolaire apparaissent en général entre 15 et 25 ans ». Elle ajoute : Le trouble bipolaire est une maladie extrêmement complexe avec des causes multifactorielles : des facteurs génétiques, biologiques, psychologiques et socio-environnementaux sont impliqués. Même si l’on ne peut pas affirmer avec certitude l’origine de ce trouble, il semblerait qu’il existe une forte prédisposition familiale. En effet, le risque de développer un trouble bipolaire est 10 fois supérieur à celui de la population générale lorsqu’un parent du premier degré est atteint. L’environnement peut jouer également un rôle dans le déclenchement du trouble ».
À travers l’enquête, 19 % évoquent une apparition des premiers symptômes avant 15 ans, 32 % entre 15 et 20 ans, et 17 % entre 21 et 25 ans.
Également interrogés sur les événements qui auraient été, selon eux, déclencheurs des premiers symptômes du trouble de la bipolarité, ils répondent qu’un traumatisme (de façon général) serait déclencheur, chez 39 % des personnes interrogées, d’autres répondants évoquent l’arrivée d’un enfant (9 %), de mauvaises conditions de travail (19 %), une période d’examen (13 %), un départ du domicile familial pour les études (11 %), ou même encore un déménagement (10 %).
« Ces données nous montrent qu’en fonction de l’état émotionnel de la personne, un événement qui peut sembler au premier abord assez « classique » dans une vie, peut en réalité provoquer des conséquences dramatiques et être potentiellement déclencheur d’un trouble mental, ici le trouble bipolaire, commente Bipolarité France. Ces données empiriques montrent qu’un changement de vie, quel qu’il soit, n’est pas à prendre à la légère et que le moindre dérèglement de l’humeur doit alerter et être pris en charge, voire diagnostiqué s’il s’agit d’un trouble mental ».
Reconnaître le diagnostic des troubles bipolaires comme un enjeu majeur de santé publique
Autre aspect important qui ressort de l’enquête : les répondants sont catégoriques concernant le retard de diagnostic. Ils estiment que celui-ci a eu des conséquences lourdes dans leur vie, et notamment au niveau des relations. En effet, 72 % des répondants affirment que le retard de diagnostic a eu un impact au niveau des relations personnelles. 69 % ont également évoqué un impact sur leur santé mentale, suivi de près par des pensées suicidaires (61 %) : un retard de diagnostic qui n’a donc fait qu’aggraver la situation de ces personnes déjà en détresse. 44 % ont perdu leur emploi ou abandonné leurs études, quand d’autres sont passées à l’acte et ont tenté de se suicider (36 %).
« À ce jour, il n’existe pas d’outil d’évaluation objectif pour le diagnostic du trouble de la bipolarité, précise l’association. Le diagnostic des troubles bipolaires repose uniquement sur un examen clinique psychiatrique du patient, réalisé par un médecin spécialiste à l’aide de questionnaires et de diverses échelles validées. À partir des symptômes rapportés et des signes observés, le médecin peut poser le diagnostic de trouble de la bipolarité. Le diagnostic est généralement long et complexe : or, détecté tardivement, ce trouble peut avoir des répercussions très néfastes pour la santé mentale et physique des patients, pour leurs aidants et plus généralement dans les sphères familiale, sociale, et professionnelle ».
De ce fait, si le trouble de la bipolarité est si difficile à diagnostiquer, c’est parce qu’il est souvent confondu avec la dépression, avec plusieurs raisons à cela, comme l’explique l’association Bipolarité France. « Une majorité de personnes consultent en phase dépressive (c’est souvent le symptôme qui s’exprime en premier lieu) ; le début des états maniaques peut ne pas être alarmant au premier abord ; il peut y avoir une confusion avec la schizophrénie ; l’abus de toxiques peut masquer d’autres symptômes ; les variations de l’humeur à l’adolescence peuvent être perçues comme normales et/ou transitoires ».
En ce sens, plus d’un tiers des répondants de l’enquête (37 %) évoquent la présence unique d’épisodes dépressifs (sans épisodes maniaques) comme cause principale du retard de diagnostic.
« Aujourd’hui, il y a urgence à poser un diagnostic rapidement car la personne avec un mauvais diagnostic peut recevoir un traitement inapproprié qui ne soulagera pas ses symptômes, et pourra même aggraver son état de santé physique et mental, alerte l’association. Les pathologies de bipolarité et de dépression ne répondant pas aux mêmes traitements, le mauvais diagnostic peut aussi favoriser les comportements à risque (abus d’alcool et d’autres substances par exemple) et également augmenter le risque de suicide ».
L’enquête démontre d’ailleurs qu’il aura fallu entre 2 à 5 ans pour obtenir la confirmation du diagnostic à 50 % des personnes interrogées, 5 à 10 ans pour 18 %, 10 à 15 ans pour 11 %. Pour 20 % des répondants, le diagnostic aura été confirmé plus de 15 ans après l’apparition des premiers symptômes.
10 recommandations pour réduire le temps de diagnostic des troubles bipolaires et améliorer leur prise en charge
Forts de ces différents constats et convaincus de l’enjeu que représente le diagnostic des troubles bipolaires, l’association Bipolarité France et ses partenaires formulent 10 recommandations actionnables à court, moyen et long termes pour réduire le temps de diagnostic et améliorer la prise en charge.
1. Sensibiliser le grand public au trouble bipolaire
2. Soutenir l’innovation au service des patients.
3. Augmenter le nombre d’heures de formation dédiées à la santé mentale et au diagnostic des pathologies mentales dans le cadre des formations initiale et continue obligatoires des professionnels de santé.
4. Redonner goût à la psychiatrie.
5. Encourager la psychiatrie de précision.
6. Sensibiliser les médecins généralistes aux enjeux de la symptomatologie du trouble bipolaire difficile à différencier de la dépression, ainsi qu’à l’enjeu du diagnostic précoce pour la santé mentale et physique de leurs patients.
7. Créer un véritable écosystème autour des troubles bipolaires.
8.Former l’entourage pour qu’il puisse mieux accompagner et soutenir.
9. Démocratiser l’utilisation du digital en psychiatrie.
10. Faire évoluer le rôle du psychologue.
L’ensemble du rapport de l’enquête est accessible depuis le site de Bipolarité France : https://bipolaritefrance.com/diagnostic-des-troubles-bipolaires
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