Cet article a été rédigé par
Laura JANNOT, ED STT, Université d’Angers, ESTHUA, Laboratoire Espaces et Sociétés (UMR6590 CNRS). Doctorante en Géographie du Tourisme et enseignante universitaire, dyslexique, dysorthographie et dyspraxique.
Edison Giovanny CONTRERAS, ED ESC (Espaces, Sociétés, Civilisations), Université Bretagne Sud, Laboratoire PREFICS UR 4246. Doctorant en Sciences du langage, enseignant universitaire et relecteur scientifique de Laura.
La dyslexie de quoi parle-t-on ?
La dyslexie est un trouble neurodéveloppemental caractérisé par des difficultés de traitement phonologique, qui se manifeste par des déficits dans l’apprentissage et l’utilisation des compétences scolaires, notamment en lecture et en écriture. Elle touche environ 10% de la population et est souvent associée à la dysorthographie. Bien que les causes exactes de la dyslexie fassent encore débat, l’hypothèse phonologique reste la plus répandue. Malgré l’absence de consensus scientifique, la dyslexie est reconnue comme un trouble spécifique des apprentissages qui persiste tout au long de la vie.
Pour mieux comprendre les conséquences et les défis de ce handicap, notamment pour l’accès aux études supérieures et au doctorat, nous avons recueilli les témoignages de 13 doctorants dyslexiques. Depuis l’école primaire, ces personnes ont souvent été stigmatisées, harcelées et orientées vers des filières professionnelles, l’institution inclusive ne s’ouvrant difficilement aux élèves en difficulté d’apprentissage, les considérant comme faignants, ou moins capables. « Madame, n’espérez même pas en faire un ouvrier qualifier », explique une conseillère d’orientation en 3éme, a une maman d’un doctorant en histoire. Au travers le récit de ses 13 doctorants nous allons explorer les difficultés et les stratégies de contournement des uns et des autres pour arriver au plus haut diplôme universitaire, « quand on ne sait même pas faire une phrase sans faire de fautes ».
Alors comment arriver à des études supérieures et notamment au doctorat avec un tel handicap ? Quand la norme de l’excellence intellectuelle et académique est conditionnée par une capacité rédactionnelle parfaite ?
Notre étude met en évidence l’aggravation de la dyslexie pendant la scolarité, en particulier au cours de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture en primaire. Cela coïncide souvent avec une période de difficultés marquée par des brimades et des punitions. Pour de nombreux interrogés, c’est le début d’un quotidien difficile qui s’étendra sur toute leur scolarité. Souvent, la dyslexie est mal comprise et perçue comme de la paresse, plutôt que comme un handicap. Cela peut entraîner les parents dans un certain désarroi et les conduire à orienter leurs enfants vers des études professionnelles plutôt que littéraires, considérant que ces élèves n’ont pas le niveau ou les capacités intellectuelles nécessaires pour poursuivre des études supérieures. Les tabous autour des troubles dys restent des obstacles à l’épanouissement des étudiants. Paradoxalement, comme le démontre Aimar, (2021) [1]les blessures du passé vont dans un premier temps les pousser à mettre en place des stratégies de dissimulation, mais va aussi s’avérer une force dans la résilience à arriver au bout du doctorat.
Les défis des élèves en difficulté en lecture et écriture
« À l’école on te donnait cette impression tout le temps que tu étais un cas désespéré … » (doctorante en sociologie)
« J’étais traitée de débile tout le temps, traitée d’incapable » (doctorante en histoire médiéval)
Dans le système éducatif français, les stéréotypes de l’intelligence apparaissent dès la primaire au moment de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture qui sont considérées comme des compétences fondamentales, essentielles à la réussite scolaire, professionnelle mais aussi sociale. Toute difficulté dans ce domaine est malheureusement encore souvent perçue comme un signe de déficience intellectuelle. Les conséquences pour les élèves en difficulté ne sont pas indolores et ce dès la primaire, impactant parfois l’ordre familiale et surtout la confiance en soi des élèves. Afin de palier la différence et surtout l’humiliation de la lecture à voix haute extrêmement difficile quand on est dyslexique, des stratégies de dissimulations sont mises en place dès premières années d’école.
“Pour moi, en primaire, la lecture et l’écriture, l’apprentissage en fait, c’était très très dure, très très très dure…. Alors ce que j’ai fait pour compenser le fait que je n’arrivais pas à lire correctement, c’est que j’apprenais par cœur les textes. Je les lisais, je les lisais, je les lisais, je les lisais et en fait au final quand je suis arrivée et que je devais faire semblant, quand elle me disait la maitresse de lire, je faisais semblant de lire mais parce que je l’avais appris par cœur.” (Doctorante en histoire médiéval)
“En gros, la dyslexie a été une galère depuis tout petit, en fait, la phobie scolaire et ce genre de choses. Je galéré à me concentrer sur une seule tâche, à faire vraiment les trucs, sauf, les choses que j’adorais. Et dès petit, je me souviens, il fallait dire ce que vous voulez faire comme métier, ect. Chercheur d’animaux-rare, donc, un truc un peu… et les professeurs m’ont dit, non, c’est pas possible, ça existe pas ce métier. Tu ne peux pas faire ça, du coup, je me suis dit qu’est-ce que je vais faire de ma vie. Déjà à 4 ans, je n’étais pas un peu sombre mais je me posais pleins de questions. Et du coup, ça s’était en maternel et jusqu’au CP. Après arrivé au CP, il y a avait des lacunes en lecture et écriture ect… c’est compliqué, il faut faire des choses. Soit mettre votre enfant dans un centre d’éducation spécialisée pour les personnes qui ont du retard, soit il faut le faire soigner.” (Doctorant en biologie, spécialiste des grenouilles en Guyane)
L’attitude du corps enseignant est cruciale à ce moment de l’apprentissage et de la confiance en soi.Dans le récit des doctorants, on se rend compte que de nombreux enseignants ou professeurs rejettent le handicap invisible.
« Sur toutes les thématiques, j’étais bon sur la littérature et tout ça. Tous les trucs qui, tous les autres aspects qui ne dépendaient pas directement de l’orthographe, j’étais bon. » (doctorant en histoire médiéval)
“ Ma scolarité, c’était chaud. Et en fait, ça m’épuise, mentalement et physiquement. Et franchement je me disais vraiment je suis bon à rien, autant que je me flingue, enfin franchement, et quand je pense à ça aujourd’hui je me dis comment au collège ou en primaire tu peux penser à ce genre de choses. Je ne sais pas, tu es censé jouer au Legos et t’amuser avec tes potes à la récré, je ne sais pas….” (doctorant en biologie).
L’orthographe un marqueur social
L’orthographe est bien plus qu’un simple outil de communication écrite, c’est un marqueur social très puissant. Elle reflète non seulement notre niveau d’éducation et de maîtrise de la langue, mais elle est aussi étroitement liée à notre statut social, notre origine, notre appartenance culturelle. En effet, la maîtrise de l’orthographe est souvent perçue comme un signe de raffinement, de culture et d’intelligence. Ceux qui excellent dans l’écriture sans faute sont généralement considérés comme plus instruits, plus intelligents et plus crédibles que ceux qui éprouvent des difficultés orthographiques. Cette perception peut avoir des conséquences importantes, que ce soit dans le milieu scolaire, professionnel ou social. Ainsi, l’orthographe devient un moyen de distinction, voire d’exclusion sociale.
« L’orthographe c’était une catastrophe. C’est un peu ses punitions quand tu ne fais pas bien les dictées ou les trucs comme ça, parce que t’y arrives pas. Donc ça c’est un truc que j’ai fait jusqu’en 6e je pense, me taper, j’étais habitué toutes les semaines t’avais des dictées à réécrire ou des textes à recopier “ (doctorant en histoire)
« Jusqu’à mes 18 ans, j’ai eu le droit à des dictées tous les soirs. Ça n’a jamais fonctionné bien entendu. Mais j’ai eu le droit à ça…. En fait, ce n’est pas de la dyslexie, c’est parce que tu ne fais pas d’effort. Donc à la fin on se met une espèce de blindage, on se dit je suis nulle, je ne vaux rien à ce niveau-là, ce n’est pas grave je vais trouver d’autre chemin. » (Doctorante en sociologie)
La dysorthographie, même avec des séances d’orthophonie régulières, peut malheureusement persister tout au long de la vie d’une personne. C’est un trouble spécifique de l’apprentissage de l’écrit qui se manifeste par des difficultés récurrentes dans l’acquisition et la maîtrise des règles de l’orthographe. Malgré les efforts déployés et les interventions orthophoniques, ce trouble peut s’avérer tenace et nécessiter un accompagnement sur le long terme. Les personnes atteintes de dysorthographie doivent souvent développer des stratégies compensatoires pour pallier leurs faiblesses orthographiques, tout en continuant à travailler sur leurs difficultés de manière régulière. La dysorthographie constitue un défi de taille qui peut avoir un impact significatif sur la vie académique, professionnelle et personnelle des individus concernés, mais avec un soutien adapté, ils peuvent apprendre à vivre avec et à surmonter ces défis au fil du temps.
Faire des études quand on et dyslexique : Les stratégies et les aménagements du handicap
« Tout au long de mon collège et de mon lycée, ma mère m’a aidé à rencontrer l’orthophoniste, qui a bien dégrossis le travail, mais il reste toujours que sur un mail, en moyenne, je vais avoir 3 ou 4 fautes par paragraphe. Et en fait, si je n’avais pas eu pour mes différentes lettres de motivation, pour mon master et tout ça, des gens autour de moi qui les relisent, qui prenaient des heures pour moi, m’aider à, et pour travailler, bah, je n’aurais pas réussi. Si je me mets dans la situation de quelqu’un qui n’est pas, des parents ou des amis qui pouvaient se permettre ça, bah c’était, c’est sûr, j’aurai pas pu arriver là. » Doctorant en histoire médiéval)
Les doctorants proposent deux types de solutions. Tout d’abord, des stratégies personnelles pour contourner les difficultés. Ensuite, la relecture par une tierce personne est souvent nécessaire pour réduire les fautes. Les relecteurs professionnels sont coûteux, pouvant atteindre 2 000 euros pour une thèse. Les doctorants utilisent souvent des outils comme Antidote[2], Dragon[3] (un logiciel de reconnaissance vocale pour les dyslexiques) et l’IA ChatGPT [4] en combinaison. Il est important de faire reconnaître un handicap (RQPH) car cela permet d’obtenir des aménagements tels que du temps supplémentaire, un ordinateur, des logiciels payants ou un correcteur.
« Dans le cadre de ma thèse, j’ai, grâce àa ma reconnaissance RQPH et le service handicap de ma fac, eu la chance d’avoir un ordinateur avec les logiciels le temps de ma thèse et une personne que j’ai choisie pour relire et corriger mes écris pris en charge également par l’Université. J’ai effectué un RDV avec la médecine du travail et nous avons listé ce qui me permettait de me soulager pour ma thèse, mon université a été très réactive » (doctorante en géographie)
Malheureusement, tous les étudiants n’ont pas cette chance. Un premier obstacle est d’obtenir un rendez-vous avec un orthophoniste. Dans certaines régions, l’attente peut aller jusqu’à 2 ans. Un étudiant en géographie a expliqué : « Ils ont dit qu’ils ne prenaient plus les adultes en priorité, car ils ne pouvaient rien nous faire. »
Ensuite, il faut constituer le dossier pour obtenir la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). Il est souvent difficile de faire reconnaître la dyslexie comme un handicap lorsqu’on est en master ou en thèse, considérant que si l’on est arrivés jusque-là, c’est que l’on n’a pas besoin d’aide.
Les personnes présentant un handicap invisible, comme la dyslexie, font face à des obstacles dans leur parcours académique en raison des préjugés liés à l’orthographe. Cependant, ces difficultés les poussent à faire preuve de résilience et à développer des stratégies de contournement. Bien que l’inclusion de ces étudiants nécessite encore des progrès au sein de certaines institutions universitaires, leur capacité à surmonter les défis et à atteindre les plus hauts niveaux de diplôme prouve que la capacité rédactionnelle n’est pas un indicateur de leur capacité intellectuelle ou de leur potentiel de recherche. Notre étude souligne l’importance de reconnaître et de valoriser la diversité des parcours et des compétences au sein de la communauté académique.
« Il y a des millions de personnes capables d’écrire sans fautes, pourtant elles ne sont pas en thèse » (doctorante en géographie)
« Il y a autre chose en fait, dans toutes ces fautes, il y a quand même un texte, qui raconte un truc » (doctorant en histoire médiéval)
[1] Aimar, Damien. « Dissimuler et révéler : l’impact du stigmate sur la gestion du handicap de la dyslexie en contexte organisationnel ». Relations industrielles / Industrial Relations 76, no 4 (2021): 733‑60. https://doi.org/10.7202/1086008ar.
[2] https://www.antidote.info/fr/
[3] https://www.lexidys.com/logiciel-reconnaissance-vocale-dragon-v16.html