Le domaine des vêtements est-il le grand oublié de l’accessibilité au vu des difficultés pour s’habiller que rencontrent de nombreuses personnes ? C’est la question à laquelle Véronique Barreau, psychologue, journaliste santé et diversité, nous propose de réfléchir dans sa nouvelle chronique.
S’habiller lorsqu’on ne peut pas bouger à sa guise, lorsque la douleur ou la fatigue sont trop intenses ou que les sens sont altérés peut relever d’un véritable défi. Trop formaté pour des corps mobiles et bien portants, le secteur de la mode peine à s’ouvrir aux consommateurs plus singuliers, et nombreux sont ceux qui témoignent de difficultés pour s’habiller au quotidien.
Ils sont nombreux à témoigner d’une difficulté à s’habiller au quotidien ; Claire a dû changer une grande partie de sa garde-robe depuis qu’elle est en fauteuil : « Mes manteaux, mes blousons, mes vestes sont devenus trop longs, mes robes impossibles à enfiler toute seule, mes chaussures importables ». Stéphanie, une accro du shopping, passe des heures en boutiques pour repérer la perle rare, facile à enfiler, tout en restant stylée : « Certains de mes amis handi choisissent le confort et se limitent à porter des vêtements amples, des joggings et des sweats par simplicité. Et c’est souvent pire pour les personnes qui sont habillées par quelqu’un ». Laura, maman d’un petit garçon touché par l’autisme, explique qu’elle doit dénicher des habits adaptés à la sensibilité cutanée de son fils : pour éviter l’inconfort et les tensions exacerbées, elle privilégie les textiles doux, sans couture et sans étiquette. Les besoins des consommateurs, toujours plus variés et plus nombreux, peinent à trouver des réponses, dans des collections pourtant vastes et diversifiées.
Des entrepreneurs en ont fait leur cheval de bataille et créent depuis quelques années des vêtements adaptés aux publics touchés par une particularité physique, un handicap ou une maladie. Pour ne citer que les principaux, A&K Classics®, Selfia®, MaMode, et plus récemment les Loups bleus ou Constant & Zoé proposent des garde-robe, confectionnées en micro production, répondant aux difficultés d’un grand nombre de personnes à mobilité réduite ou habillées par un tiers : des leggins stretch, des tuniques plus courtes, des boutons remplacés par des zippe ou des petits aimants. Les jeans ont une longueur de jambe plus importante, et, s’ils sont conçus plus hauts derrière que devant, ils ont aussi l’avantage d’avoir été pensés pour éviter les échauffements sur les points d’appuis. D’autres créateurs, comme Anne-Cécile Ratsimbason, ont choisi de proposer un service de prêt-à-porter sur mesure et « à la demande » pour les personnes alitées ou souhaitant camoufler un petit appareil de santé (poche de stomie, pompe à insuline…).
Si de petites initiatives individuelles voient le jour chaque année, l’industrie de la mode peine à s’ouvrir aux besoins grandissant des acheteurs qui ont des difficultés pour s’habiller. Le secteur de la mode méconnaît encore très largement les besoins de son public. Les industriels continuent à concevoir et produire pour des personnes ultra mobiles, alors que l’on recense 15 millions de personnes âgées de plus de 60 ans, et qu’elles seront 20 millions en 2030. En 2019, les stylistes conçoivent exclusivement leurs produits pour des individus vivant debout, alors que le temps que nous passons en position assise ne cesse d’augmenter. Des milliers de jeans, pantalons, jupes s’avèrent ainsi très inconfortables assis, voire même inesthétiques. Les consommateurs déficients visuels, toujours plus nombreux dans cette silver économie, sont aussi les grands oubliés de l’accessibilité vestimentaire.
Les vêtements naturellement inclusifs existent pourtant bel et bien dans chaque collection, sans que les stylistes n’en n’aient même conscience. Le label Bien à Porter ® de l’association Cover-dressing en a fait son adage. La petite association sélectionne les vêtements les plus ergonomiques des enseignes de prêt-à-porter disposées à jouer le jeu de l’inclusion. Leurs testeurs, en situation de handicap, analysent jupes, pantalons et autres articles de mode, avant d’y apposer le label « Bien à porter ». Si les petites initiatives fleurissent ici et là, elles se noient dans les 700 000 tonnes de vêtements produits en France chaque année, pour des centaines de marques nationales et internationales. Les stylistes, étudiants ou en fonction, les responsables de boutiques, leurs vendeurs, ignorent encore tout, ou presque, des besoins de leurs clients. Le vêtement restera encore longtemps le grand oublié de l’accessibilité, pourtant vecteur d’identité et pourvoyeur d’une bonne image sociale.