Des personnes dépendantes organisées en groupe d’ entraide entre personnes handicapées
Avec Emmanuel Loustalot, son fondateur, nous vous présentons le SAAHED, un service mandataire qui s’adresse aux personnes en situation de handicap moteur. Son objectif est de créer une entraide entre personnes handicapées qui ont recours à l’emploi direct, à organiser et à sécuriser leur aide humaine, tout en favorisant leur autonomie et leur participation. Une aventure humaine et collective basée sur l’entraide entre pairs et le partage d’un mode de vie.
Comment et pourquoi le SAAHED est-il né ?
Le point de départ se situe entre 2007 et 2008 après la mise en place de la PCH. Nous sommes sur un département l’Hérault où beaucoup de personnes souhaitent organiser leurs aides humaines en devenant employeur. C’est une revendication historique et forte surtout maintenant qu’ils sont bénéficiaires d’un important nombre d’heures. Cette revendication est aussi née parce que les services prestataires ne peuvent pas offrir la souplesse d’un emploi direct au niveau planning et réactivité. Dans les cas les plus extrêmes 24/24h, aucun prestataire ne le propose. En qualité d’employeur la personne peut choisir elle-même ses aides et leur demander exactement ce dont elle a besoin. Elle aura à son service des personnes stables avec qui elle pourra développer des liens privilégiés. Et surtout elle pourra organiser sa vie comme elle l’entend.
Cette demande était-elle nationale ou très concentrée ?
Elle est nationale mais j’ai l’impression que c’est assez fort dans le département de l’Hérault. Tout du moins parce que les gens qui en ont envie le manifestent clairement. Nous faisons face à de nombreuses personnes qui souhaitent passer par l’emploi direct. Ceci sans même avoir pleine conscience de ce que cela représente en termes de contraintes. En effet, certains vont se retrouver avec de nombreux salariés. Mais c’est plutôt vu comme une bouée : « Enfin je vais sortir de mes galères, enfin je vais vivre… ». Mais nous avons aussi vu en 2007/2008 les premières difficultés apparaître. Les personnes titulaires de 12h à 24h de PCH par jour quittent le système qu’elles utilisaient pour devenir employeur (réseau, solidarité, bricolage, trucs et astuces, prestataires…). Tout est déconstruit pour laisser place à l’emploi direct. Mais certaines n’y arrivent pas. Du coup elles se retrouvent sans aide humaine et sans solution. C’est donc pour elles pire qu’avant !! Nous faisons ce constat et essayons déjà de répondre à l’urgence. En travaillant sur ces situations, nous découvrons qu’il y une vraie problématique sur l’emploi direct, mais que malgré les difficultés les gens n’ont pas envie de lâcher. Il nous vient alors l’idée de travailler sur les causes pour éviter la rupture, c’est comme cela que nous en sommes arrivés à l’idée de créer un service qui accompagne les personnes handicapées sur l’ensemble de la fonction employeur, sur les aspects juridiques, administratifs mais surtout sur son rôle de manager car c’est la clé de tout. Si je suis bon manager, le juridique, l’administratif, c’est facile et ça peut se sous-traiter. Le management c’est les yeux dans les yeux ! Nous avons donc construit un service avec des personnes déjà employeurs qui font déjà bien les choses, car pour nous tout était à créer dans ce domaine. Nous nous sommes appuyés sur nos premiers clients pour lancer la méthodologie et créer les premiers outils. C’est en écoutant ceux qui savent faire que nous avons pu lancer ce service et co-construire avec eux. La première phase c’était d’aller tous les rencontrer pour voir comment ils fonctionnaient. De mon poste de Directeur de Délégation APF j’avais déjà une bonne connaissance du réseau des grands dépendants de l’Hérault. C’est l’avantage de l’ancrage territorial. L’aventure démarre officiellement en 2010. Nous avons collecté beaucoup d’informations, créé rapidement beaucoup d’outils et enfin, nous avons amené à se rencontrer toutes les personnes intéressées car nous souhaitions créer un service solidaire qui vit par et avec le partage d’informations. Et puis l’argent des frais de gestion servira aussi à venir en appui à des personnes qui en ont besoin dans leur quotidien. Tout cela a fait sens pour beaucoup de personnes, et aujourd’hui une véritable entraide entre personnes handicapées est née de ce projet.
Nous ne nous sommes appuyés que sur des spécialistes pour parfaire nos outils dans ce domaine et nous le faisons encore car c’est très pointu.
Fin 2010, nous avions 7 clients, le chiffre que nous nous étions fixé pour garder une bonne qualité relationnelle et une bonne qualité de service. Nous nous adressions à des personnes en grande dépendance qui avaient des aides humaines 24h/24. Car la tension et l’enjeu est sur ce public. Grâce aux clients, nous avions de quoi embaucher un salarié à temps plein pour faire tourner le groupe avec une bonne qualité d’accompagnement. Ce ratio est très confortable car généralement dans ce secteur nous sommes à un ration de 1 pour 30, voire pour un conseiller tutélaire 1 pour 60. Il est nécessaire pour nos référents d’avoir du temps et surtout pas une nécessité de rentabilité temporelle.
Combien de fois se voient-ils chaque année ? Comment le partage d’expérience est-il organisé ?
Nous faisons en sorte que tout le monde puisse se rencontrer une fois par an lors d’une journée complète. Nous les invitons avec leurs auxiliaires de vie autour d’un repas. Parallèlement, trois fois par an sur des créneaux plus étroits, on les réunit sur un thème précis qui peut avoir été préparé par une personne du service. Nous les réunissons toujours dans la convivialité, le prétexte est le partage d’expérience.
Aujourd’hui de quelle association relève ce service ?
C’est un service de l’APF qui est soutenu par les instances nationales dans le sens où l’on nous a autorisés à expérimenter ce service un peu singulier dans ses prestations.
Pourra-t-il devenir national ?
Nous sommes dans une phase de déploiement depuis un peu plus d’un an et demi. Avec une collègue Cindy Pouget qui a créé le service avec moi nous pilotons une mission nationale sur les mandataires à l’APF. Nous travaillons avec eux pour bouger petit à petit certains curseurs de postures et dans l’idéal les faire évoluer vers notre modèle, mais cela reste un idéal. Depuis un an et demi nous sommes aussi de fait dans une logique d’ouverture de services et je précise que la question de l’adhésion à l’APF n’est pas un sujet pour bénéficier des services. Dans ces nouveaux services toute personne dépendante, employeur direct pourra être accueillie quel que soit le nombre d’heures de PCH dont elle bénéficie. Nous nous baserons uniquement sur des critères prioritaires et non excluant. Une personne ne pourrait demander que les bulletins de salaire et se débrouiller pour tout le reste. Chacun vient piocher dans un éventail de prestations ce qui l’intéresse et au degré qui l’intéresse. C’est un système d’entraide entre personnes handicapées.
Ce service se développe-t-il dans d’autres associations ou restez-vous uniques ?
Nous sommes uniques pour plein de raisons. La première c’est que le service d’aide à la personne en France c’est d’abord et avant tout « le prestataire », dans toutes les associations c’est la notion et la forme juridique de prestataire qui est utilisée. Y compris à l’APF où le mandataire ne pèse pas lourd. L’autre aspect, c’est que le public majoritairement bénéficiaire des aides humaines, ce sont les personnes âgées. Sur l’ensemble de ce secteur, le handicap ne pèse que 10% en termes de public. Nous sommes en termes économiques sur une niche et comme ce n’est pas la culture du secteur du handicap, beaucoup de services mandataires ferment parce qu’ils trouvent que cet accompagnement est d’une complexité folle.
Avez-vous un lien avec les tierces personnes salariées ?
Jamais, c’est ce qui nous différencie des services prestataires. Nous avons des clients qui sont employeurs et nous travaillons avec eux, c’est notre unique périmètre.
Intervenez-vous sur le montage des dossiers PCH et leur renouvellement ?
Oui, c’est ce qui fait partie du nouveau modèle, nous nous sommes dit que ça n’avait pas de sens d’accompagner des personnes employeur en situation de handicap sans tenir compte de la situation de handicap. De fait nous les aidons aussi sur la partie relations avec les administrations mais uniquement sur la partie aide humaine. Les problèmes peuvent surgir d’une inadaptation de la PCH, il nous faut être aussi spécialistes de la PCH pour déjouer les problèmes et trouver des solutions adaptées.
De quelle convention collective dépendent ces personnes ?
De la convention collective des salariés du particuliers employeurs, mais rien dans cette convention n’existe à propos des situations de handicap et des relations aidants/aidés. Seule est prise en compte la relation contractuelle avec le salarié. Pour compenser cette situation, nous avons mis en place une convention avec la FEPEM. Celle-ci a permis un rapprochement avec leur service juridique et celui de l’APF, afin que les juristes spécialisés en droit du travail des particuliers-employeurs échangent avec des juristes spécialisés en droit du handicap. Sur certains thèmes les deux travaillent ensemble.
La relation particulière qui s’engage entre la personne dépendante et ou ses tierces personnes relève de l’intime, y a-t-il des clauses particulières concernant cela ?
Non, mais cela constitue mon sujet de travail prioritaire. Il y a quelques années, j’ai enclenché un travail de thèse qui ne porte que là-dessus. Eve Gardien vient de piloter un ouvrage sur l’aide humaine à domicile dans lequel je suis intervenu entre autres sur la question du management dans ce cadre. Cela remet en question plein de choses, plein de postures que l’on a sur la question de la distance, qui a priori serait indispensable dans la relation. Pour ma part, je pense que la distance dans ce cadre ne répond à aucune règle. Quand on passe entre 12 et 24 h par jour avec une personne, il se joue autre chose. Certains utilisent la notion de relation de couple pour en parler, dans son intensité, sa proximité et sa durée. Pour certains on est dans une relation frère sœur, c’est pour dire à quel point la notion de distance n’a aucun sens. Pour certains, c’est réfléchi et identifié, si on ne s’aime pas, on ne peut pas passer autant de temps ensemble ! Bien sûr, cet aspect ne ressort pas spontanément sur la place publique, y compris lors de nos échanges de groupe. Très rares son ceux qui maintiennent de la distance et du vouvoiement. Il y en a qui préfèrent cela mais on constate que ce sont ceux qui s’en sortent en général le moins bien. La plupart des personnes que j’ai rencontré lors de mes entretiens me disent : « S’il ne sait pas faire la toilette ce n’est pas grave, je lui expliquerai comment je souhaite que ça se fasse ». Et pour tous ces aspects, ils disent : « On n’a pas besoin de gens formés sur ces aspects, on a surtout besoin de personnes qui ont envie de le faire, qui ont envie d’une relation et qui ont envie d’apprendre. A partir de là, ça roule ! ».
Le recrutement est-il orienté sur un genre particulier ?
Je ne dirais pas cela même si ce sont majoritairement des femmes qui sont recrutées. Finalement il y a de plus en plus d’hommes, ne serait-ce quelques fois que pour des raisons de force physique.
Avez-vous toujours plus de demandes ?
Oui, nous avons une liste d’attente même si ça ne déborde pas. La pérennité du service est assurée dans les conditions de qualité et de respect qui avaient été définies au lancement du service. On ne veut pas grossir !
Plus d’infos sur : http://aidantpro34.blogs.apf.asso.fr/
Photo : Emmanuel Loustalot, fondateur du SAAHED – Entraide entre personnes handicapées