Le réseau des Alcooliques Anonymes, un modèle d’ entraide mutuelle et de pair accompagnement à l’échelle internationale
V.D, membre du réseau d’ entraide mutuelle des Alcooliques Anonymes (AA) répond à nos questions en s’appuyant sur les textes officiels du réseau.
– Pouvez-vous nous raconter l’histoire du réseau des Alcooliques Anonymes ?
Je vous propose de découvrir l’histoire de notre réseau à travers cet extrait d’un discours lu et rédigé par nos membres lors de l’ouverture du Congrès national des Alcooliques Anonymes de Nancy en 2016.
Le 12 mai 1935 a lieu la première rencontre entre Bill Wilson et le Docteur Bob Smith à Akron, en Ohio. Bill, abstinent depuis peu, ne fit pas la morale à Bob, ne lui donna aucun conseil, ne lui demanda aucune promesse. En revanche, il lui raconta son histoire…
Bob se reconnut dans l’histoire de Bill puisqu’il accepta de subir une nouvelle cure de désintoxication, qui cette fois fut la bonne…
Le 10 juin 1935 Bob buvait son dernier verre d’alcool (jour de naissance des Alcooliques Anonymes) et naissance du 1er groupe à Akron. En 1937 : 40 alcooliques sont devenus abstinents…
En 1938 : les 12 étapes sont rédigées et la rédaction du livre »Alcoolics Anonymous » (le big book) commence. Il sera publié l’année suivante en 1939 et les AA comptent alors 100 membres. En 1941 on compte déjà 8000 membres. En 1946, la première rédaction des 12 traditions voit le jour.
En 1950, s’est tenu à Cleveland le premier Congrès international des AA. Le Dr Bob y a fait sa dernière apparition publique, centrant son message final sur la nécessité de garder toute sa simplicité à la formule des AA.
Avec tous les participants, il a été témoin de l’adoption enthousiaste des Douze Traditions des Alcooliques anonymes comme cadre permanent de fonctionnement des AA dans le monde entier. (Bob est mort le 16 novembre de la même année).
En 1953 la brochure » Les 12 étapes et les 12 traditions » est publiée.
En 1955 a eu lieu à Saint Louis le deuxième Congrès international pour célébrer le 20e anniversaire du Mouvement. À cette date, la Conférence des Services généraux avait fait la preuve de son utilité. En cette occasion et au nom des pionniers des AA, Bill a confié à la Conférence et à ses administrateurs la charge de voir désormais à la bonne marche et à la survie des AA. Dès ce moment-là, le Mouvement devenait autonome : le Mouvement des AA était devenu adulte.
En juillet 1965 plus de 10 000 membres venus du monde entier se réunissent à Toronto pour le 30e anniversaire. Le 24 janvier 1971, par suite d’une pneumonie, Bill mourait à Miami Beach, en Floride, où, sept mois plus tôt, lors du Congrès international du 35e anniversaire, il avait livré ce qui devait être son dernier message à ses amis AA : « Que Dieu vous garde toujours, vous et le Mouvement des Alcooliques anonymes ! ».
Les Alcooliques anonymes comptent aujourd’hui plus de deux millions de membres, répartis dans 170 pays à travers le monde. Soit 115 000 groupes d’ entraide mutuelle dont environ 600 en France.
Parlons maintenant de l’implantation de A.A. En France :
Depuis 1949 des membres AA de nationalité américaine se réunissent à Paris dans l’arrière salle d’un bistrot. À partir de1955 leur groupe se tient au 65, Quai d’Orsay.
En 1960 Joseph Kessel publie dans France soir une série d’articles sur les AA américains et notre ami Manuel ayant lu ces articles, se sent concerné, écrit à France Soir et reçoit en réponse une lettre chaleureuse de Nick H. Il se rend au 65, quai d’Orsay, rencontre les Américains, leur demande s’il peut organiser une réunion en français dans une salle voisine, ce qui lui fut accordé.
Le premier groupe AA de langue française sur notre territoire voit le jour. Il était composé de : Manuel M, d’origine espagnole, François B, un Tchèque, Lennard, suédois.
Au début de l’année suivante, le premier comité de groupe composé de six membres est constitué.
En 1963, il y a pratiquement une réunion par jour à Paris, mais il faudra dix ans avant que l’on puisse compter 6 groupes d’ entraide mutuelle AA dans la capitale.
Des groupes voient également le jour en province. En 1970, la France compte 23 groupes et organise sa première conférence des Services Généraux. En 1980 on dénombre 62 groupes et on adopte le principe du découpage des régions En 1985, 19 régions sur 23 participent à la Conférence. En 1995 on peut se réunir dans 480 groupes, en 2000 dans 550, et aujourd’hui dans près de 600 groupes
Ces mots d’un de nos membres résument justement AA :
» Le salut des AA Passe par les yeux et les oreilles. Nous ne croyons que ce que nous voyons et entendons. La maladie n’est pas raisonnable et le salut non plus. »
Comment fonctionne le réseau des alcooliques anonymes ?
AA fonctionne grâce à des groupes. Deux alcooliques qui parlent ensemble d’alcoolisme et de ses conséquences et ne revendiquent aucune autre appartenance peuvent se dire groupe AA. Il n’y a pas d’autres conditions. Les groupes AA se réunissent en général une fois par semaine à heure fixe. Tous les groupes sont répertoriés sur les sites Internet AA (en France : http://www.alcooliques-anonymes.fr/), les numéros de contact téléphonique sont aux annuaires et sont donc facile à trouver.
Deux types de réunions :
– fermées : réservées à ceux qui se reconnaissent avoir un problème avec l’alcool
– ouvertes (en général une fois par mois) : ouvertes à tout intéressé pour quelque motif que ce soit
La liberté est totale : il suffit de venir, on est accueilli. Aucune inscription, anonymat oblige, aucune obligation, aucun annuaire, aucune demande…
Dans chaque groupe est présenté le texte suivant :
Notre méthode
Rarement avons-nous vu faillir à la tâche celui qui s’est engagé à fond dans la même voie que nous. Ceux qui ne se rétablissent pas sont des gens qui ne peuvent ou ne veillent pas se soumettre complètement à ce simple programme. Ce sont d’habitude des hommes et des femmes qui sont naturellement incapables d’être honnêtes envers eux-mêmes. Il y en a de ces malheureux. Ce n’est pas leur faute, ils semblent être nés ainsi. Leur nature ne leur permet pas de comprendre et de mettre en pratique une façon de vivre qui exige une rigoureuse honnêteté. Leurs chances de réussir se situent au-dessous de la moyenne. Il y a aussi ceux qui souffrent de graves désordres émotifs et mentaux ; mais plusieurs d’entre eux se rétablissent s’ils sont capables d’honnêteté.
Les récits de nos vies révèlent, de façon générale, ce que nous étions, ce qui nous est arrivé et comment nous sommes maintenant. Si vous avez décidé que vous voulez ce que nous avons et que vous voulez tout faire pour l’obtenir, alors vous êtes prêts à prendre certaines mesures.
Voici les étapes que nous avons suivies et que nous proposons comme programme de rétablissement :
- Nous avons admis que nous étions impuissants devant l’alcool – que nous avions perdu la maîtrise de notre vie.
- Nous en sommes venus à croire qu’une Puissance supérieure à nous-mêmes pouvait nous rendre la raison.
- Nous avons décidé de confier notre volonté et nos vies aux soins de Dieu tel que nous Le concevions.
- Nous avons procédé sans crainte à un inventaire moral approfondi de nous-mêmes.
- Nous avons avoué à Dieu, à nous-mêmes et à un autre être humain la nature exacte de nos torts.
- Nous étions tout à fait prêts à ce que Dieu élimine tous ces défauts.
- Nous Lui avons humblement demandé de faire disparaître nos défauts.
- Nous avons dressé une liste de toutes les personnes que nous avions lésées et nous avons consenti à réparer nos torts envers chacune d’elles.
- Nous avons réparé nos torts directement envers ces personnes dans la mesure du possible, sauf lorsqu’en ce faisant, nous risquions de leur nuire ou de nuire à d’autres.
- Nous avons poursuivi notre inventaire personnel et promptement admis nos torts dès que nous nous en sommes aperçus.
- Nous avons cherché, par la prière et la méditation, à améliorer notre contact conscient avec Dieu, tel que nous Le concevions, Lui demandant seulement de connaître Sa volonté à notre égard et de nous donner la force de l’exécuter.
- Ayant connu un réveil spirituel comme résultat de ces étapes, nous avons alors essayé de transmettre ce message à d’autres alcooliques et de mettre en pratique ces principes dans tous les domaines de notre vie.
C’est ce que nous appelons le programme de rétablissement suggéré. Aucune obligation là non plus.
Ce programme est dit « spirituel », mais non confessionnel. La conception d’un dieu n’est pas obligatoire, c’est dieu tel que chacun peut le concevoir ou pas. Ce peut être le groupe, le mouvement, la vie, le temps, ou une puissance supérieure quelconque, ou rien.
Certains membres choisissent de pratiquer les étapes avec un parrain ou une marraine et s’en portent bien.
À lire ces différentes étapes, on a l’impression que la religion tient une très grande place dans le réseau des Alcooliques Anonymes…
La religion est évoquée mais pas au sens confessionnel, car les AA comptent beaucoup de gens de tous horizons dont une grande partie qui ne sont pas croyants. Quand on mentionne un « Dieu » dans nos documents, c’est simplement pour laisser tels quels les textes fondateurs du réseau, car ce serait très compliqué de les modifier tellement le mot Dieu est cité. À partir de là, c’est au sens où chacun le conçoit. D’ailleurs il y a eu des personnes agnostiques dès le début. On se réfère donc à quelque chose qui n’est pas soi-même pour avancer, on essaye d’apprendre à faire confiance aux autres plutôt qu’à soi-même uniquement. Cela part donc de cette confiance au groupe de présents, et après, pour la « puissance supérieure », chacun l’interprète comme il veut. Pour ma part j’ai décidé de remplacer le mot dieu par « le temps ». J’ai décidé de faire du temps un allié qui peut m’aider à aller mieux. Cela n’a rien à voir avec une religion déterminée, et des groupes se montent partout y compris au Maghreb, en Asie… toujours avec ces textes fondateurs. Le seul lien que l’on trouve remonte aux origines du réseau des AA aux États-Unis, car à l’époque les gens qui essayaient de s’occuper du rétablissement des personnes alcooliques étaient des protestants du groupe d’Oxford. Et cela fonctionnait assez mal parce que justement c’était une forme d’embrigadement. Ils ont alors trouvé la solution qui rassemblait tout le monde en ajoutant aux fondements la notion de « Dieu tel que chacun le conçoit ».
Parlez-nous du système de parrainage : comment fonctionne-t-il ?
On parle de parrainage d’accueil pour dire que souvent la première personne rencontrée par un nouveau a une importance pour celui-ci pendant un certain temps. Après un temps d’apprivoisement, il est suggéré de choisir un parrain ou une marraine, pour des échanges plus fréquents et/ou plus intimes, « une personne de confiance à qui on peut tout dire » et qui peut l’accompagner dans un travail de rétablissement à partir des étapes du programme. Certains le font et s’en portent bien. Pour le service au groupe (ouverture, modération, représentation du groupe au niveau régional, information publique, etc.) il est recommandé d’avoir un parrain ou une marraine de service. Là aussi, rien d’obligatoire.
Le bénéfice du parrainage est très important. Tous ceux qui en ont profité en témoignent, ce tant dans la vie quotidienne qu’à long terme. Compte tenu de nos règles de fonctionnement, nous n’avons aucune possibilité de chiffrage des pratiques de nos membres. Les membres ont une liberté totale. On suggère… C’est très utile d’avoir un parrain, mais parfois on n’en n’a pas et cela se passe bien aussi.
Qui peut être parrain ?
En principe il vaudrait mieux que ce soit quelqu’un de plus âgé, et du même sexe. Et quelqu’un qui ait déjà une histoire un peu plus longue dans la voie du rétablissement. Si ce n’est pas au sein du réseau des AA, cela peut être tout simplement une tierce personne, qui suit l’évolution au long court. Quelqu’un de confiance. Il n’y a pas de règles précises. On essaye toutefois d’éviter les parrainages hâtifs, en conseillant aux membres de ne pas se précipiter pour être parrains, notamment s’ils sont trop jeunes ou s’ils débutent tout juste leur rétablissement. Le rôle du parrain sera d’aider l’autre à faire son ménage intérieur. C’est la personne qu’on peut appeler facilement au téléphone. Ça devient une relation privilégiée. Cela remplit aussi un rôle entre les réunions. D’ailleurs les AA ont un service de partage par téléphone accessible à tous 24h/24.
Y a-t-il des règles ou coutumes spécifiques qui permettent le bon fonctionnement et la stabilité du réseau ?
Le fonctionnement du réseau est fondé sur des principes appelés « Traditions ». Chaque groupe s’auto-contrôle par rapport à ces principes.
Les 12 traditions AA (principes de fonctionnement des groupes)
- Notre bien-être commun devrait venir en premier lieu ; le rétablissement personnel dépend de l’unité des AA.
- Dans la poursuite de notre objectif commun, il n’existe qu’une seule autorité ultime : un dieu d’amour (tel que chacun le conçoit) tel qu’il peut se manifester dans notre conscience de groupe. Nos chefs ne sont que des serviteurs de confiance, ils ne gouvernent pas.
- Le désir d’arrêter de boire est la seule condition pour être membre des AA.
- Chaque groupe devrait être autonome, sauf sur les points qui touchent d’autres groupes ou l’ensemble du Mouvement.
- Chaque groupe n’a qu’un objectif primordial ; transmettre son message à l’alcoolique qui souffre encore.
- Un groupe ne devrait jamais endosser ou financer d’autres organismes, qu’ils soient apparentés ou étrangers aux AA, ni leur prêter le nom des Alcooliques anonymes, de peur que les soucis d’argent, de propriété ou de prestige ne nous distraient de notre objectif premier.
- Tous les groupes devraient subvenir entièrement à leurs besoins et refuser les contributions de l’extérieur.
- Le Mouvement des Alcooliques anonymes devrait toujours demeurer non professionnel, mais nos centres de service peuvent engager des employés qualifiés.
- Comme Mouvement, les Alcooliques anonymes ne devraient jamais avoir de structure formelle, mais nous pouvons constituer des conseils ou des comités de service directement responsables envers ceux qu’ils servent.
- Le Mouvement des alcooliques anonymes n’exprime aucune opinion sur des sujets étrangers ; le nom des AA ne devrait donc jamais être mêlé à des controverses publiques.
- La politique de nos relations publiques est basée sur l’attrait plutôt que sur la réclame ; nous devons toujours garder l’anonymat personnel dans la presse écrite et parlée de même qu’au cinéma.
- L’anonymat est la base spirituelle de toutes nos traditions et nous rappelle sans cesse de placer les principes au-dessus des personnalités.
Comment procédez-vous pour créer et maintenir une dynamique d’entraide ?
Alcooliques anonymes ne mène pas de campagne de recrutement pour convaincre les alcooliques de se joindre au mouvement. Le réseau existe pour les alcooliques qui veulent devenir abstinents. D’autre part, les groupes sont actifs pour faire part de leur existence autour d’eux, notamment à travers la théorie du compas : Les AA n’ont qu’un seul but, transmettre le message à l’alcoolique qui souffre encore.
Organiser un atelier de cinquième tradition, ce n’est pas compliqué. Il faut des amis, une cafetière, un bottin ou internet, des brochures, des affiches. Et un compas. Sur une carte, vous disposez la pointe sur l’adresse du groupe. Le cercle formé par le compas est votre environnement proche, votre terrain d’exploration pour l’information locale. À l’intérieur de ce cercle, vous repérez les acteurs sociaux, les professionnels de santé (médecins, cabinets infirmiers, kinés, cliniques…), les associations, les structures, les journaux et magazines, etc. par l’intermédiaire desquels vous pouvez espérer transmettre le message à l’alcoolique qui souffre encore.
L’information locale est un niveau plus aisé à mettre en œuvre que l’information publique. Celle-ci demande des amis sobres et avertis : des amis présentent le mouvement et témoignent devant un public généralement constitué, entre autres, d’acteurs sociaux et de professionnels de santé. « L’information locale est une application concrète et pragmatique de la cinquième tradition. Elle nous invite à ouvrir les yeux sur ce qui nous entoure, à mettre le bon sens et la sobriété en action, à renouer le dialogue avec notre environnement. Nous cherchons souvent à compliquer les choses, alors qu’il suffit souvent de regarder autour de soi », dit un ancien d’un groupe de Bretagne et adepte de la théorie du compas. « Cette mise en œuvre de la cinquième tradition donne du sens à l’abstinence et le travail de défrichage qu’il suppose, est intéressant à faire avec les nouveaux. La 5ème tradition permet de faire des choses ensemble, dans la proximité, de faire savoir que nous existons ».
Les infos doivent être disponibles et consultables par tous. Nos interlocuteurs : médecins, cabinets infirmiers, kinés, médecins du travail, Centres communaux d’action sociale, associations caritatives ou autres, comités d’entreprises, bulletins communaux et de communautés de communes, journaux locaux, radios, écoles d’infirmiers ou d’aides-soignants, aide à domicile, ambulanciers, pompiers, commissariat de police, gendarmerie, etc.
Monique, présidente du comité régional Bretagne
Plus d’infos sur le groupe d’ entraide mutuelle Les Alcooliques Anonymes : http://www.alcooliques-anonymes.fr
Témoignage d’un membre du groupe d’ entraide mutuelle des Alcooliques Anonymes
Maurice, membre des AA, partage son expérience de vie et son regard sur les échanges entre pairs.– Parlez-nous de votre expérience au sein du réseau des alcooliques anonymes.
J’ai longtemps galéré tout seul par rapport à mes problèmes d’alcool. Je suis passé par les hôpitaux, j’ai fait des passages en psychiatrie… jusqu’à ce que je rencontre un alcoolique anonyme à l’hôpital. Il m’a parlé du groupe dans lequel il allait. Je connaissais l’existence de ce groupe car je l’avais déjà contacté pour un beau-frère, mais je ne me sentais pas concerné. Ce patient m’a proposé de venir à une réunion avec lui. Ce qui m’a énormément frappé, dans les premières réunions où je suis allé, et revenu après, c’est qu’on m’a fichu la paix et qu’on ne m’a rien demandé. On m’a juste dit : « Tu es là, tu écoutes, tu regardes ce qu’il se passe ». J’ai entendu des gens qui parlaient d’un problème que je rencontrais et dans lequel je me suis reconnu, et en plus ils allaient bien, ce qui m’a scandalisé ! (Rires). Je ne comprenais pas qu’ils puissent avoir le même problème et qu’ils aillent bien ! C’est alors que j’ai décidé de croire ce que je voyais. Ça m’a bousculé car on se sent seul, et malade, qui plus est d’une maladie honteuse… et d’un coup on se rend compte qu’on n’est pas seul du tout, qu’il y en a beaucoup d’autres et qu’ils vont bien. Le fait qu’on ne me demande rien m’a incité à revenir. Il y a simplement une grande règle : on est là pour parler des problèmes liés à l’alcool, pas de la pluie et du beau temps. Un modérateur est présent pour veiller à ce que chacun s’écoute et lève la main pour prendre la parole. C’est d’ailleurs une très bonne école d’écoute. En écoutant les autres j’ai compris moi-même qu’il fallait que je change quelque chose dans ma vie de tous les jours pour aller mieux et m’en sortir. Et voyant les autres progresser, ça m’a aussi donné l’espoir que je pouvais y arriver. Cela s’est fait petit à petit et aujourd’hui je suis en bien meilleure santé. Je n’ai plus besoin d’aucun traitement. Le fait d’être avec des gens qui ont les mêmes problèmes permet aussi de parler beaucoup plus facilement et de se sentir compris.– Vous avez également une expérience auprès de personnes souffrant d’autres handicaps que l’alcool…
Oui, quand j’étais au lycée j’avais un camarade qui était en fauteuil roulant. Je l’aidais à se déplacer dans les couloirs et les escaliers (il y avait peu d’ascenseurs à l’époque dans les établissements). Un jour il m’a proposé de rencontrer son frère… qui était également en fauteuil mais beaucoup plus abîmé que lui. Cela m’a choqué car il ne m’avait pas prévenu, et en plus c’était une personnalité extrêmement forte. Finalement je suis devenu très ami avec eux. Et tous deux sont devenus les fondateurs du GIHP, où j’ai travaillé avec eux comme facilitateur pendant plusieurs années, côtoyant des personnes ayant tout type de handicap. J’ai arrêté cela vers les 23-24 ans. C’était devenu stable, il y avait des salariés, c’était déjà devenu une institution… Plus récemment j’ai donc fréquenté le réseau des alcooliques anonymes, ainsi que le réseau des narcotiques anonymes puisque j’étais dépendant aux médicaments. J’ai aussi connu les « Al-Anon », ceux qui souffrent de l’alcool de l’autre (les familles). Après avoir accompagné ma fille auprès de son gendre qui souffrait d’un cancer, je suis également devenu accompagnant en soins palliatifs (voyant que je pouvais le faire).– Pensez-vous que les méthodes de pair accompagnement du réseau des Alcooliques Anonymes AA puissent se transposer facilement à d’autres domaines ?
Oui, je pense que ça peut être transposé, dans une certaine mesure. À un certain moment, j’ai été sollicité à titre personnel par quelqu’un qui savait je faisais partie du réseau AA. Il m’a demandé de venir dans une association d’accompagnement de la dépression chronique. Je suis entré dans le conseil d’administration et là je me suis aperçu qu’il y avait des choses qui ne pouvaient pas fonctionner pour deux raisons.
Aux Alcooliques Anonymes il y a tout de même deux aspects bien particuliers :
– Nous avons l’anonymat, qui permet en quelque sorte une rotation de service et fait que personne ne reste trop longtemps à la même place. Personne ne prend la grosse tête ou n’occupe une place plus importante que les autres dans le groupe. Il y a peu de rapports de pouvoir. C’est vraiment un réseau de pairs. Dès le moment où il y a des personnalités qui ont un pouvoir et qui le gardent, cela change la donne…
– Autre limite : Dans certains groupes ou face à certaines problématiques, les simples pairs ne peuvent pas toujours suffire et parfois l’intervention d’experts dans tel ou tel domaine est nécessaires, notamment dans le cas de la maladie.– Et d’autre part nous avons un programme de rétablissement par étapes, qui lui peut être transposé je pense : accepter les faits, faire confiance au fait qu’on peut faire avec, faire un ménage intérieur et comprendre d’où vient le mal-être – qui ne vient pas forcément du handicap ou de l’alcool, faire une étape de restitution où l’on redonne ce que l’on a reçu. Cette dernière étape peut se traduire par le parrainage… c’est pour cela qu’il ne doit pas intervenir trop tôt. On doit déjà aller bien soi-même, ce que l’on n’a pas on peut difficilement le donner. Se servir du don aux autres comme béquilles n’est à mon avis pas une bonne solution, et c’est le gros danger du parrainage.
En matière de transposition du modèle du réseau des AA, je pense donc qu’il y a des choses que l’on peut faire et d’autres non. On peut reprendre certains principes et faire ce qui est possible. Et d’ailleurs la méthode AA est déjà inspirante pour d’autres causes et groupes de parole, qui reprennent parfois exactement la même structure par étapes.