« Les salariés de l’entreprise adaptée ont travaillé main dans la main avec les usagers de l’ESAT depuis le début de la crise du Covid »
Depuis le début de la crise sanitaire et économique liée au Covid, nous nous penchons sur la manière dont les établissements du secteur protégé (ESAT) et les entreprises adaptées (EA) s’accommodent de ces circonstances exceptionnelles. Ainsi, nous nous sommes tournés vers l’ESAT et l’entreprise adaptée APF 57 de Saint-Julien-lès-Metz. Rencontre avec Arnaud Fernandez, responsable de production de l’entreprise adaptée, et Youssef Ben Lahbib, cadre éducatif et social de l’ESAT.
Pouvez-vous nous présenter votre structure et ses activités ?
Youssef Ben Lahbib : Au sein de l’ESAT, le cœur de métier repose sur la sous-traitance industrielle, ce qui comprend beaucoup d’activités. Concrètement, les clients font appel à nous pour de petites interventions de manutentions sur leurs propres produits. Ils nous fournissent l’ensemble des pièces nécessaires, on intervient, puis on leur rend l’ensemble une fois les travaux réalisés. Parmi nos clients, on peut citer la société luxembourgeoise Carlex, pour laquelle on intervient sur des protections de joints de pare-brise ; notre client historique le groupe France Transfo, racheté par Schneider Electric, et pour qui on travaille sur tout ce qui touche aux transformateurs électriques ; ainsi que Grille-découpage, pour qui on fait des traites – petites rondelles qu’on va assembler et sertir pour faire de tout petits ressorts utilisés dans l’industrie ferroviaire et agricoles.
Par ailleurs, nous avons quelques activités en dehors de la sous-traitance industrielle, avec comme objectif de sortir les usagers de leur quotidien : la reprographie, la numérisation et l’horticulture – on fait du semi jusqu’à la vente des plantes, des aromates, des fleurs à replanter… avec des collectivités partenaires comme clients mais aussi le grand public.
Arnaud Fernandez : Les activités de l’entreprise adaptée sont, elles aussi, très diversifiées avec également un volet sous-traitance industrielle. Cela va de la confection de câbles électriques à la soudure de câbles sur circuit électroniques, en passant par le branchement et le montage de ventilateurs. Nous avons aussi un gros marché au niveau de l’aéronautique.
Concernant les autres secteurs, nous avons une activité d’espaces verts, exclusivement pour les entreprises, avec des salariés qui se rendent sur place pour tondre, tailler les haies, débroussailler…
Une activité de travaux multi-services (rénover un bureau, faire de la peinture, remonter des cloisons… mais pas de gros œuvre) qui vient en complément de notre activité signalétique – des petites pancartes de bureau aux grands panneaux sur-mesure. C’est complémentaire car c’est notre équipe multi-service qui va faire la pose chez les clients.
S’y ajoute une activité de transports de personnes à mobilité réduite (TPMR), à travers laquelle on transporte essentiellement des enfants en situation de handicap dans les écoles, collèges et centres APF, ainsi que quelques adultes.
Autre activité : la prestation sur site. Cela fonctionne comme une entreprise d’intérim : nous mettons du personnel à disposition des entreprises sur nos différents champs de compétences. Cela correspond à notre but initial en tant qu’entreprise adaptée : être une porte de sortie pour permettre aux personnes en situation de handicap d’intégrer par la suite le milieu ordinaire. Le fait de missionner des personnes dans les entreprises, c’est déjà un pas en ce sens.
Comment vous êtes-vous adaptés à la crise sanitaire ?
Youssef Ben Lahbib : L’ESAT et l’entreprise adaptée sont séparés par une simple cloison. Nous partageons les mêmes locaux et nous avons le même directeur. De fait nous travaillons main dans la main au quotidien et nous échangeons beaucoup. Au sein de l’ESAT, lorsque nous avons des marchés sur lesquels nous ne sommes plus en capacité de répondre au niveau de la production, nous n’hésitons pas à aller voir nos collègues de l’entreprise adaptée.
Ainsi, lorsque le Covid est arrivé, avec le premier confinement de mars 2020, nous avons réfléchi ensemble à ce qu’on allait mettre en place pour l’ESAT et l’EA. Le matin-même, pour midi, nous devions faire rentrer tout le monde à la maison. Dès lors, nous avons étudié la meilleure manière de maintenir des liens, et anticipé le retour futur à l’activité professionnelle.
À l’ESAT, c’était particulier parce que la direction régionale a décidé que les usagers ne reviendraient pas dans les locaux avant le mois de juin 2020. En conséquence, mon équipe, moi-même, et le directeur, avons mis en place une cellule d’écoute et de dialogue psychologique avec ces usagers. À tour de rôle, chaque jour, deux personnes de l’équipe téléphonaient à chacun pour donner et prendre des nouvelles, et ainsi conserver un lien.
C’est la première chose que nous avons mise en place, dès le départ, et il en a été de même pour l’entreprise adaptée.
Au sein de l’ESAT, comment avez-vous géré cet arrêt des activités lié au Covid ?
Youssef Ben Lahbib : Progressivement, certains de nos clients sont revenus au travail, notamment au mois d’avril. Ils nous ont informés qu’ils allaient reprendre la production et nous ont demandé si on pouvait les suivre et reprendre nos prestations pour eux. Et les clients les plus insistants ont été ceux de l’ESAT. Mais nos usagers ne devaient pas revenir avant le mois de juin…
C’est là que le fait de travailler en partenariat avec l’EA a été une force et une chance : beaucoup de travailleurs de l’entreprise adaptée souhaitaient reprendre le travail et en manifestaient clairement l’envie. Certains étaient au bord de la rupture et n’en pouvaient plus de rester à la maison, de tourner en rond… on nous a même parlé de pensées suicidaires. N’ayant pas d’activité à ce moment-là, ces salariés qui voulaient reprendre ont pu venir travailler dès le mois d’avril à l’ESAT malgré le Covid. Ainsi, cinq d’entre eux sont venus travailler sur nos activités, encadrés par les salariés de l’ESAT, et pour répondre aux clients de l’ESAT. Quelques années en arrière, nous n’aurions jamais pu faire cela car ces deux secteurs étaient très cloisonnés, ne serait-ce que par leur différence de statut (milieu ordinaire pour l’EA et secteur protégé pour l’ESAT). Mais là, cela a été rendu possible grâce au partenariat entre les deux structures, appuyé et souhaité par notre directeur, Philippe Blot.
Les travailleurs de l’ESAT étaient fiers de savoir que les salariés de l’Entreprise Adaptée avaient pris le relais de leurs activités pendant la période de confinement due au Covid. Et de leur côté, les salariés de l’EA étaient heureux de retravailler et de soutenir leurs collègues, c’était quelque chose de normal pour eux. Ils ont fait un travail de qualité, nous ont permis de répondre présent à nos clients. Et ces clients sont devenus plus proches de nous depuis, ce sont de véritables partenaires.
En parallèle, le confinement de mars 2020 est tombé en pleine saison de vente pour l’horticulture, et tout n’avait pas encore été préparé par les travailleurs de l’ESAT au moment de l’annonce. En réaction à cette problématique, tous les membres de l’équipe espaces verts de l’EA se sont portés volontaires pour maintenir l’activité horticulture dès la fermeture de l’ESAT liée au Covid. Ils sont venus en disant : « Nous, ces plantes vertes, on ne peut pas les laisser mourir. On va assurer le rempotage, l’arrosage et la vente ». Ce sont également les membres de l’entreprise adaptée qui ont assuré toutes nos ventes de plantes horticoles sur la saison d’avril à juin 2020, ainsi que le drive et les livraisons.
Ce partenariat est vraiment une force et nous sommes très fiers de le mettre en avant.
Et comment cette période a-t-elle été vécue au sein de l’entreprise adaptée ?
Arnaud Fernandez : Concernant l’entreprise adaptée, à partir du premier confinement, nous avons renvoyé tout le monde à la maison. Mais sur environ 90 salariés, il y a eu 7 personnes qui ne souhaitaient pas rester isolées à leur domicile. Du coup, nous n’avons pas complètement fermé. Nous avons conservé une ligne d’activité avec ces personnes-là, qui étaient principalement les salariés de l’équipe espaces verts. Et comme il s’agit de travaux en extérieur, on a pu conserver cette activité contrairement à la sous-traitance qui se fait en atelier à l’intérieur. Nous avons donc pu continuer le travail des espaces verts chez les clients, et dans les locaux de la l’APF 57 pour reprendre l’activité de nos collègues de l’ESAT.
Toutefois cette période de confinement nous a fait perdre énormément d’activité en sous-traitance industrielle, notamment dans l’industrie aéronautique où nous avons notre plus gros client – et ce secteur a connu une importante baisse d’activité. Cela a des répercussions directes sur nous, car 10 à 20 personnes travaillaient uniquement pour ce client là en temps normal, et nous sommes passés à zéro pendant le premier confinement. À partir de mi-avril, cela a recommencé tout doucement, mais à l’heure actuelle seules 3 à 5 personnes retravaillent pour ce client. Cette grosse perte de charge de travail a été difficile à vivre.
Et comment cela s’est-il passé en termes d’organisation ?
Arnaud Fernandez : Mi-avril, nous avons fait une reprise d’activité partielle au sein de l’entreprise adaptée, car on a commencé, comme nos collègues de l’ESAT, à recevoir des demandes de salariés qui se sentaient très isolés et mal dans cette situation, et qui souhaitaient retravailler malgré le Covid. Certains salariés sont revenus, avec des postes de travail leur permettant d’être bien éloignés les uns des autres, pour respecter les gestes barrières. Bien sûr, la reprise s’est faite avec port du masque obligatoire et minimum deux mètres de distance entre chaque personne. Tout a été fait pour limiter au maximum les risques.
Le fait d’avoir repris mi-avril est aussi venu d’un client du secteur de la signalétique, qui nous a fait une demande conséquente. Il fournissait des masques à ses salariés et nous a demandé si nous pouvions faire du conditionnement de ces masques par milliers et les livrer. Nous étions en capacité de le faire et cela nous a permis de faire revenir des salariés qui le souhaitaient. C’est une activité que nous n’avions pas avant mais qui compense en partie la perte d’activité que nous avons eue sur l’aéronautique. Nous avons donc su nous adapter.
Youssef Ben Lahbib : En termes de ressources humaines, il faut savoir que l’on a essayé d’être aussi souples et accompagnants que possible. Les personnes ont repris à leur rythme. S’il fallait reprendre une demi-journée par semaine, c’était possible. Les personnes qui souhaitaient venir travailler seulement l’après-midi le pouvaient aussi.
À l’ESAT, nous faisions reprendre seulement trois à quatre usagers toutes les deux semaines, pour leur donner le temps de s’habituer aux nouvelles mesures de protection imposées. Nous avons vraiment pris le temps de construire le retour dans l’établissement, pour l’entreprise adaptée et l’ESAT.
Nous avons aussi décidé d’éviter aux usagers d’avoir à prendre les transports en commun. Comme nous avons un service de transport et de chauffeurs au sein de l’entreprise adaptée, nous avons demandé aux salariés d’assurer des tournées de ramassage des usagers jusqu’au mois de septembre. Et cela se fait le plus naturellement possible. Tout le monde a joué le jeu.
Ce partenariat entre l’ESAT et l’EA nous a vraiment permis de limiter la casse.
Avez-vous eu des retours de la part des travailleurs de l’ESAT et de l’EA sur la manière dont ils vivent cette crise sanitaire lié au Covid ?
Arnaud Fernandez : Oui, au fur et à mesure que les salariés et les usagers ont repris sur site, nous avons échangé avec eux pour savoir comment ils vivaient cette situation. Notre directeur et notre service RH ont pris contact avec le médecin du travail pour leur demander s’il était possible de faire une enquête auprès de tous nos salariés. Ainsi, l’infirmière de notre médecin du travail a appelé chaque personne à tour de rôle et posé des questions bien précises, sur le port du masque, le vécu du confinement, la reprise du travail, leurs inquiétudes potentielles… Un constat est ressorti plus particulièrement : notre décision de faire une reprise partielle mi-avril a été très bénéfique pour un certain nombre de salariés qui commençaient à se sentir vraiment isolés, mal dans leur peau, et à ne plus supporter le fait d’être enfermés. Certains salariés nous ont d’ailleurs remercié de leur avoir permis de reprendre le travail petit à petit, et à mi-temps pour ceux qui le souhaitaient.
Youssef Ben Lahbib : Comme nous avons toujours gardé le contact avec les salariés et usagers, lorsqu’on on a proposé la reprise du travail, on a pu s’adresser directement aux personnes qui étaient le plus en demande… ce qui était le cas de 8 personnes sur 49 à l’ESAT. Il faut souligner aussi le travail énorme de notre directeur, de notre direction régionale, du CHSCT et du médecin du travail, qui ont permis que la reprise se passe dans de très bonnes conditions et sans créer de cluster.
Aujourd’hui comment envisagez-vous la suite ?
Arnaud Fernandez : En cas de reconfinement strict, nous ferions comme nous avons fait il y a 1 an, en nous organisant et en faisant des réunions pour définir la meilleure méthode pour accompagner les usagers et les salariés. À nouveau, la priorité sera de protéger nos salariés et non le chiffre d’affaires. On limite la casse, comme toute structure, mais la priorité reste le fait d’accompagner nos salariés et de faire qu’ils se sentent en sécurité.
Et si on reste comme aujourd’hui, le but est de continuer sur la même lignée, avec notre partenariat entreprise adaptée et ESAT, le partenariat avec tous nos clients, et nous espérons pouvoir redémarrer bientôt avec notre client de l’aéronautique. Si demain ce marché reprend, nous aurons de nouveau un chiffre d’affaire, du travail pour tous nos salariés.
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Youssef Ben Lahbib : Au niveau de l’APF, nous menons actuellement un combat pour permettre au public, fragile, que l’on accueille de bénéficier d’une vaccination prioritaire. Nous avons mené une petite enquête et nous avons constaté que 99 % des personnes qui travaillent avec nous aujourd’hui souhaitent se faire vacciner.
Arnaud Fernandez : Lors du premier confinement, notre directeur a proposé auprès de la délégation régionale de l’APF que notre centre devienne le centre logistique Grand Est Covid de référence : nous sommes donc devenus centre dépôt logistique. Nous stockons les masques, gels, blouses, gants – et tout ce qui concerne la protection contre le Covid – pour tous nos collègues des centres APF de la région Grand Est. Dès qu’ils ont un besoin de matériel en lien avec le Covid ils peuvent s’adresser à nous.
Pour plus d’informations, rendez-vous sur : http://www.apf-entreprises-57.fr/ et http://www.apf-entreprises-57.fr/m-188-l-esat-saint-julien-etablissement-et-service-d-aide-par-le-travail-.html
En photo principale : Un groupe de travailleurs au sein d’un atelier © J.Deya-ESAT-EA Metz – Photo prise avant le début de la crise du Covid-19 et la mise en place des gestes barrières.