HAS : » Le secteur médico-social connaît un véritable tournant tout comme l’organisation des établissements pour le handicap «
Christiane Jean-Bart est chef de service de la mission handicap pour le secteur social et médico-social au sein de la HAS (Haute Autorité de Santé). D’abord responsable du secteur handicap à l’ANESM (Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux), elle a intégré la HAS en avril 2018 lorsque l’ANESM y a été rattachée. Elle nous parle de l’évolution du secteur médico-social et des établissements pour le handicap.
Le secteur médico-social au regard du handicap : Le médico-social, qu’est-ce que c’est ?
Le secteur médico-social, c’est un ensemble de services et d’établissements. Aujourd’hui, par exemple pour les personnes âgées, on compte environ 7400 EPHAD. Pour le secteur du handicap, on rescence environ 11 250 établissements et services. Cela peut sembler énorme mais on intervient souvent sur l’ensemble des parcours de vie, cela comprend le suivi et l’accompagnement des enfants puis celui des adultes. Enfants et adultes compris, cela n’est donc pas démesuré.
Depuis quelques années le secteur médico-social évolue davantage vers la création de plateforme de services . Nous sommes donc actuellement dans un virage inclusif, avec la mise en place de services coordonnés avec les acteurs du territoire.
Cette construction de services pour le handicap a commencé notamment avec les SESSAD, où une coordination nécessaire rend les professionnels très mobiles : ils interviennent auprès de différents acteurs/partenaires comme la famille ou encore l’Éducation nationale.
Les établissements pour le handicap s’étaient construits en étant par définition un peu fermés sur eux-mêmes, et avec cette émergence des services, les professionnels se déploient beaucoup plus sur le territoire et rencontrent les acteurs complémentaires avec lesquels ils se coordonnent et répondent aux besoins des personnes. Dans ce changement de paradigme, le service est vraiment le début d’une meilleure inclusion sociale.
Aujourd’hui quel est le rôle du secteur médico-social au regard du handicap ?
Dans le cadre du handicap, le médico-social a pour rôle d’accompagner au mieux les personnes et de répondre à leurs besoins, leurs attentes et leurs aspirations.
La loi de 2002 a mis en avant la nécessité de mettre l’usager au cœur du dispositif. Ensuite la loi de 2005 sur l’égalité des chances a réaffirmé le droit pour chacun d’aller à l’école et de s’intégrer dans la société. Aujourd’hui avec ces lois, qui ne sont peut-être pas encore bien abouties, on est sur un vrai objectif d’inclusion sociale.
Le rôle du médico-social est de permettre une meilleure articulation de tous les éléments qui composent la vie sociale d’un individu en situation de handicap. Dans le changement de paradigme actuel, on est sur un modèle écologique où l’on part du principe que la personne en situation de handicap est amenée à évoluer dans différents systèmes (scolaire politique…). Une évaluation des besoins de la personne est réalisée, à partir de laquelle vont émerger les attentes, choix et aspirations de la personne. Elle sera ensuite accompagnée dans les différents systèmes en se basant uniquement sur ses besoins qui auront été donc évalués au préalable. C’est vraiment un changement pour les professionnels du médico-social : il ne s’agit plus de partir de ce que l’établissement peut proposer, mais de partir de la personne et d’évoluer avec elle à l’endroit où elle « veut ». Cela signifie que si on ne se coordonne pas, on aura des difficultés pour répondre aux besoins de la personne.
Autre chose importante : À une époque, les établissements pour le handicap étaient construits pour essayer de répondre à tous les besoins en même temps – mais on sait que c’est impossible et que cela entraîne des ruptures dans les parcours de vie. En 2014, le rapport Piveteau « zéro sans solution » a d’ailleurs pointé le problème des personnes qui étaient en rupture de parcours. Désormais, lorsqu’un établissement/service qui accompagne une personne ne dispose pas de toutes les ressources et compétences pour le faire, il doit mettre à profit la coordination avec les autres acteurs du territoire, afin de compléter avec eux le panel de services délivrés à la personne accompagnée et ainsi couvrir l’ensemble de ses besoins.
Il peut s’agir de faire appel à une orthophoniste, de se mettre en lien avec le dentiste d’un secteur, avec des associations, des écoles… Le professionnel doit anticiper, identifier ses compétences et celles dont il a besoin pour compléter son offre, puis aller expliquer autour de lui ce qu’il développe dans son établissement, à quel public il s’adresse et faire des autres acteurs du territoire ses partenaires. Dans cette perspective, un établissement/service est amené à inscrire cette coordination dans son projet d’établissement et ne pourra théoriquement plus refuser d’accepter une personne du fait qu’il lui manque telle ou telle compétence pour l’accueillir. Les ressources et compétences manquantes sont apportées pour d’autres acteurs du territoire qui auront été identifiés en amont. Comme nous l’indiquons dans nos recommandations sur la coordination : il faut que les professionnels se considèrent comme une ressource du territoire. C’est encore nouveau mais les choses commencent à se mettre en place.
État des lieux : Quelles sont les problématiques actuellement rencontrées dans le secteur médico-social, plus particulièrement au regard du handicap ?
On peut citer deux grandes problématiques : celle de la coordination, évoquée plus haut, et celle des « comportements problèmes ».
Les comportements problèmes peuvent se manifester par de l’agressivité ou un repli sur soi, c’est une problématique très forte au niveau du handicap qui conduit parfois à des ruptures de parcours. C’est pourquoi nous avons élaboré une recommandation à ce sujet. . Au niveau du handicap, nous avons la chance de bénéficier à ce jour d’une littérature scientifique assez riche qui explique les choses de manière spécifique par rapport à des types de handicap donnés. Il est donc plus facilement possible à présent de se documenter sur ces comportements problèmes et les professionnels du médico-social commencent à mieux les appréhender.
Certaines personnes ont été renvoyées d’un établissement parce qu’elles développaient ce type de comportements. Quand les services et établissements mettent en place un plan de prévention et d’intervention des comportements-problèmes, il est beaucoup plus aisé pour les professionnels d’accompagner les personnes en situation de handicap. Face à cette problématique il faut penser aux évaluations et à la formation des professionnels. On peut estimer qu’il y a un avant et un après.
Avant, souvent, les personnes handicapées pouvaient être accueillies dans les établissements pour le handicap sans que l’on évalue la manière dont elles communiquaient, le type d’aménagements adéquats par rapport à leur sensorialité et habitudes de vie.… cela pouvait générer des comportements problèmes. La littérature nous a également montré que la majorité des personnes qui développaient ces comportements étaient des personnes qui avaient eu des problèmes somatiques non diagnostiqués.
On se rend compte par exemple que certains dossiers de patients sont un peu vides sur les bilans de santé : certains n’ont jamais vu de dentiste depuis leur petite enfance, d’autres n’ont eu aucun bilan de santé depuis plusieurs années alors qu’un bilan annuel est préconisé… À cela s’ajoute le fait que ces personnes prennent parfois des neuroleptiques depuis plusieurs années et développent des effets secondaires, également sources de comportements problèmes. Il est donc important pour les professionnels d’être très vigilants lorsqu’une personne prend des médicaments, de connaître l’hygiène de vie à mettre en place et en parallèle de bien connaître la personne et son handicap pour pouvoir l’accompagner au mieux.
Pourriez-vous nous donner votre point de vue sur ces différents sujets au regard du secteur médico-social ?
- La modernisation du secteur médico-social
C’est un sujet très large dans lequel je vais évoquer plus particulièrement certains points.
– L’habitat connaît actuellement un vrai tournant. À travers nos recommandations sur l’autisme, nous préconisons de créer des habitations prévues pour 4 à 5 personnes. À l’époque où l’on a pensé la collectivité, dans les années 1970, on a créé de grands établissements pour le handicap avec d’immenses baies vitrées… et finalement on ne sait pas si cette architecture correspond à un endroit où les gens ont envie de vivre, s’y sentent bien qu’ils aient ou non un handicap.
Aujourd’hui on peut remarquer une évolution positive sur ce point puisque les architectes sur ce type de projet ont travaillé pour essayer de construire :
* soit des unités de petite taille, pour respecter le bien-être et l’intimité ;
* soit des « logements éclatés », pour promouvoir un habitat dans la cité. On parle d’habitat inclusif – au lieu de trouver un foyer médicalisé comme c’était le cas auparavant. Il s’agit de trouver des logements vides, pour lesquels le gestionnaire de l’établissement va signer une convention avec un bailleur social pour disposer de quelques appartements dans un immeuble. Avec cette formule, les éducateurs ne sont plus cantonnés à un établissement, ils se déplacent au domicile des personnes pour leur apporter les services d’accompagnement dont ils ont besoin. Ce changement de paradigme est très important car il signifie que l’on ne voit plus ces personnes uniquement sous l’angle du handicap mais comme des personnes qui ont des capacités, une autodétermination et qui sont capables de vivre dans un appartement où l’on va respecter leur intimité. Il sera tout autant possible de répondre aux attentes des personnes, par exemple en leur apportant des repas lorsqu’elles ne sont pas en mesure de cuisiner, en adaptant un appartement au bruit si la personne le supporte mal… Ce type de démarche permet de personnaliser davantage l’accompagnement et de sortir de l’établissement, ce qui est très positif et qui fonctionne bien à l’étranger (au Québec et en Suède par exemple).
– Le secteur de l’emploi connaît également des changements. Auparavant, notamment pour le handicap psychique, on cherchait surtout à accompagner la personne et mettre en place des choses avant de lui proposer un emploi. Seulement ensuite, une évaluation était réalisée pour savoir si les personnes étaient capables ou non d’intégrer un emploi. On oubliait parfois d’évaluer, en première intention, les capacités d’apprentissage des personnes et leurs aspirations.
Aujourd’hui, on évalue davantage ces deux aspects et on constate que dans certains cas les personnes obtiendront des résultats très positifs si elles intègrent directement un emploi, alors que d’autres auront besoin d’une insertion progressive avec un travail plus long sur la définition de leurs projets.
– Le même changement s’observe au niveau de l’école. Pour certains enfants, on sait qu’à partir d’un certain âge il ne sera pas possible de les scolariser. Mais pour les autres, le fait d’aller à l’école, d’être en interaction avec d’autres enfants, peut être bénéfique aussi bien pour les enfants que pour les professionnels qui peuvent réfléchir à ce qu’ils doivent évaluer dans une classe. L’école plus inclusive est possible et se développe de plus en plus. On observe notamment la création d’unités maternelles pour des enfants autistes, où les professionnels se questionnent sur les aménagements et les accompagnements à mettre en place pour permettre à ces enfants d’aller à l’école et d’intégrer des classes classiques. Une dynamique est en marche et on voit qu’elle fonctionne à l’échelle internationale, avec davantage d’enfants handicapés accueillis dans les écoles chez nos voisins. Un enfant en situation de handicap scolarisé aura certainement une palette d’interactions plus riches et variées dans son quotidien que s’il reste dans un centre. Bien entendu, cela passe également par un travail sur nos représentations sociales, sur le regard que la société française porte sur le handicap. Le développement de la mixité dans les écoles peut également entrainer une évolution de l’entraide et de la solidarité. - La formation : Les formations des professionnels sont-elles adaptées à la réalité du terrain ?
Il y a beaucoup de professionnels dans le secteur médico-social. Toutefois, certaines choses sont à revoir au niveau de la formation. La littérature existante sur le sujet donne des informations très spécifiques sur l’accompagnement à réaliser, par exemple sur l’addictologie, les personnes traumatisées accueillies dans un établissement… et les professionnels des établissements pour le handicap ne connaissent pas forcément ces informations parfois cruciales. Aujourd’hui, lorsque les professionnels terminent leur cursus de formation, ils manquent d’immersion avec les publics qu’ils vont rencontrer sur le terrain. Il y a donc quelque chose à revoir, soit dans la formation initiale en permettant une meilleure connaissance des différents handicaps ; soit dans la formation continue au moment où une situation spécifique se présente – par exemple lors de l’accueil d’une personne autiste dans un établissement novice en la matière.
Aujourd’hui, lorsque les professionnels terminent leur cursus de formation, ils manquent d’immersion avec les publics qu’ils vont rencontrer sur le terrain. Il y a donc quelque chose à revoir, soit dans la formation initiale en permettant une meilleure connaissance des différents handicaps ; soit dans la formation continue au moment où une situation spécifique se présente – par exemple lors de l’accueil d’une personne autiste dans un établissement novice en la matière.
- Le vieillissement de la population et ses conséquences sur le secteur médico-social
Depuis plusieurs dizaines d’années, l’espérance de vie des personnes en situation de handicap augmente. Le vieillissement de la population et celui des personnes en situation de handicap est donc une réelle problématique sur laquelle les réflexions et les évaluations sont nécessaires. Les transitions liées à l’âge sont toujours importantes à considérer dans le parcours d’une personne en situation de handicap, notamment lors du passage de l’adolescence à l’âge adulte et lors du vieillissement, périodes durant lesquelles se produisent des ruptures de parcours. Cela implique aux professionnels de se questionner et d’être vigilants à réaliser des évaluations. A titre d’exemple, pour une personne ayant des troubles cognitifs, il sera nécessaire d’évaluer si ces troubles ont diminué ou se sont aggravés avec le temps. Pour une personne présentant différents troubles qui a travaillé durant sa vie, comment adapter son accompagnement lorsqu’elle sera à la retraite ? Par ailleurs, toutes les personnes âgées en situation de handicap ne pourront pas aller dans des EPHAD car ce type d’accompagnement n’est pas toujours approprié. Ces aspects doivent donc être pris en compte dans le cadre du projet personnalisé élaboré pour chacun. Finalement, selon que les personnes soient enfants, adultes, en âge et en capacité de travailler, vieillissant, etc., les évaluations sont indispensables pour pouvoir adapter leur accompagnement de manière adaptée à leurs besoins. Beaucoup de choses restent à penser, d’autant que les établissements n’ont pas été pensés de cette manière au moment de leur création.
Ce vieillissement de la population en situation de handicap peut-il booster l’évolution du médico-social ?
Probablement car cela va nécessiter de réadapter, réorganiser et revoir toutes les routines qui ont été mises en place et qui n’ont plus lieu d’être aujourd’hui. Pour accompagner convenablement les personnes, nous devons davantage anticiper et réaliser plus d’évaluations pour prévenir le vieillissement.
- Le quotidien et la vie privée dans les établissements pour le handicap
Là aussi les choses évoluent. Aujourd’hui, beaucoup d’architectes travaillent sur de nouveaux établissements pour le handicap ou sur leur réaménagement pour mieux répondre aux besoins des personnes. Auparavant, on pouvait avoir deux personnes dans une petite chambre avec deux lits et une salle de bain collective. À présent, on essaye de personnaliser davantage et de mieux respecter les besoins d’espace et d’intimité de chacun. Le concept de petit appartement ou d’unité évoqué plus haut fait partie des réponses qui vont dans ce sens. Pour les grands établissements qui sont encore très nombreux, une réflexion a été menée pour savoir comment les espaces peuvent être pensés pour permettre aux personnes de se retirer, de conserver leur intimité, leurs droits et leur liberté d’aller et venir. Cette problématique de réussir à concilier les espaces collectifs et l’espace privé des personnes est constante pour les professionnels. C’est pourquoi, les recommandations sur ce thème ont été réalisées, thème qui reste en pleine évolution.
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Aujourd’hui, on avance dans une « approche positive » du handicap. Cette approche nécessite de mieux connaître le handicap et ses spécificité, de mettre en place une réflexion éthique pour accompagner les personnes en respectant leur projet personnalisé. Elle nécessite également un travail sur la posture professionnelle (au niveau de l’attitude et du langage) à adopter envers chaque personne en situation de handicap accompagnée, que ce soit au sein des établissements pour le handicap ou à l’extérieur.
Plus d’infos sur : www.has-sante.fr
En photo : Christiane Jean-Bart, chef de service de la mission handicap pour le secteur social et médico-social au sein de la HAS © DR/HAS
La Haute Autorité de Santé
– La Haute Autorité de santé (HAS) est une autorité publique indépendante à caractère scientifique, créée par la loi du 13 août 2004 relative à l’Assurance maladie. Depuis le 1er avril 2018, son périmètre s’est élargi aux champs social et médico-social avec l’intégration de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm). La HAS envisage ainsi la santé dans sa globalité, y compris sur le plan des établissements pour le handicap.
– La HAS a pour but d’assurer aux personnes un accès pérenne et équitable à des soins et des accompagnements pertinents, sûrs et efficients.
– La HAS travaille en liens étroits avec les pouvoirs publics auprès de qui elle a un rôle de conseil, avec des professionnels pour optimiser leurs pratiques et leurs organisations, et au bénéfice des usagers pour renforcer leurs capacités à faire leurs choix.
– La HAS a trois grandes missions :
* évaluer les produits de santé en vue de leur remboursement ;
* recommander les bonnes pratiques auprès des professionnels de la santé, du social et du médico-social, recommander des politiques de santé publique ;
* mesurer et améliorer la qualité des soins dans les hôpitaux et cliniques, des accompagnements dans les établissements pour le handicap, sociaux et médico-sociaux.
Source : HAS.Les recommandations de bonnes pratiques professionnelles de l’Anesm
« Pratiques de coopération et de coordination du parcours de la personne en situation de handicap », mars 2018« Qualité de vie : Handicap, les problèmes somatiques et les phénomènes douloureux », avril 2017
« Les comportements-problèmes » : Prévention et réponses au sein des établissements et services intervenant auprès des enfants et adultes handicapés, décembre 2016
« Les espaces de calme-retrait et d’apaisement », décembre 2016
« Trouble du spectre de l’autisme : interventions et parcours de vie de l’adulte », décembre 2017
« Trouble du spectre de l’autisme : interventions et parcours de vie de l’adulte, guide d’appropriation des recommandations de bonnes pratiques professionnelles », mars 2018