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Être agriculteur avec un handicap : Le témoignage d’Arnaud Gaëtan

Être agriculteur avec un handicap : Le témoignage d'Arnaud Gaëtan
Branly – Spot 2 – PC
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Témoignage Arnaud Gaëtan, agriculteur : « Faire ce travail avec un handicap, c’est possible, mais il faut être courageux et accepter de s’investir sur la durée »

À l’occasion de la Semaine Européenne Pour l’Emploi des Personnes Handicapées 2021, ou SEEPH, nous avons décidé de nous pencher plus précisément sur l’un des thèmes principaux de cette nouvelle édition à savoir : « Ruralité et handicap ». Dans cette optique, nous vous proposons de découvrir ici le témoignage d’Arnaud Gaëtan, 46 ans, agriculteur à Espalem, en Haute-Loire. En situation de handicap depuis qu’il est devenu paraplégique suite à un accident de la route, il a tout de même fait le choix de reprendre l’exploitation familiale.

Pouvez-vous vous présenter et nous raconter votre parcours ?

J’ai 46 ans. Je suis agriculteur à Espalem, près de Brioude, en Haute-Loire.

En avril 2000, à l’âge de 24 ans, j’ai eu un accident de moto qui m’a rendu paraplégique. À cette période, j’étais en train de m’installer sur mon exploitation agricole, avec des vaches laitières.

Peu de temps après l’accident, en août 2000, j’ai d’abord recommencé à travailler comme agriculteur avec une première adaptation de mon tracteur, installée par un collègue, pour compenser mon handicap. Puis je me suis dit que ça allait être compliqué de reprendre l’affaire. Je n’avais pas de frères et sœurs qui étaient intéressés par la ferme et mon père était tout seul pour le faire. Et je sentais que j’avais besoin de m’éloigner un peu suite à l’accident, que je devais vivre tout seul pendant un temps.

À ce moment-là, j’ai décidé de partir faire du sport dans le Sud, à Perpignan, où j’avais trouvé une équipe de basket fauteuil. J’y suis resté un peu plus d’une dizaine d’années. Puis je suis parti jouer à Toulouse pendant deux ans. J’ai gagné ma vie avec le basket durant les 12-13 dernières années. Et en venant jouer au Puy, il y a douze ans, j’ai décidé de revenir m’installer sur mon exploitation agricole, à Espalem. J’ai repris l’exploitation sans élevage, sans animaux, en 2016. Je vends des céréales (blé, orge, seigle, tournesol) et du fourrage (foin).





À quoi ressemble le programme de l’une de vos journées ?

Je me lève à 6h du matin. Je range un peu la maison. Je m’occupe des enfants. Je les envoie à l’école. Ensuite je sème (en ce moment) jusqu’à très tard le soir. J’ai deux entraînements de basket par semaine. Je participe également à la gestion du club. Je ne fais plus partie des joueurs professionnels depuis cette année mais je m’occupe des partenariats et des mécénats avec les entreprises.

Comment avez-vous pris la décision de revenir à l’agriculture ? Ça ne vous a pas fait peur de redevenir agriculteur tout en ayant un handicap ?

Cela m’a toujours un peu tenté. J’avais d’ailleurs recommencé à travailler très peu de temps après mon accident. J’ai ensuite eu ce besoin de partir. Et quand je suis revenu au Puy, j’ai eu mon premier enfant et j’ai voulu lui montrer autre chose que du sport. J’avais aussi envie de reprendre l’exploitation par respect pour mon père et mon grand-père, qui avaient toujours travaillé sur la ferme. Plus tard, les enfants feront ce qu’ils voudront.

Et non… je n’ai pas eu peur. Je connais le métier par cœur. Lorsqu’on est en fauteuil, il y a plus de difficultés pour effectuer certaines tâches, mais il faut être un peu ingénieux et alors il y a moyen d’y arriver. De temps en temps, j’ai besoin d’aide pour atteler un matériel ou autre chose mais mon fils de 7 ans peut m’aider ! Mon papa, qui a 74 ans, et qui comme tous les anciens paysans n’arrêtera jamais de travailler, m’aide aussi.

Nous avons la chance aujourd’hui d’avoir accès à de bons systèmes pour travailler, les techniques et la modernité simplifient beaucoup les choses.





D’ailleurs, j’ai deux tracteurs qui ont très bien adaptés par la société Handi Équipement.

Pouvez-vous nous parler de cette adaptation ?

Il s’agit d’une sorte de siège sur lequel je me transfère. Le système me permet de monter jusqu’à hauteur du tracteur, puis je me transfère sur le siège de conduite. C’est un système électrique et hydraulique. Le coût du matériel et la pose ont été pris en charge par l’Agefiph après que j’aie monté un dossier. C’était assez lourd à préparer mais ça valait le coup.

C’est en visitant le salon Autonomic de Paris, peu de temps après mon accident, que j’ai découvert ce système sur un stand. Il y avait la photo d’un homme qui laissait son fauteuil et montait dans un tracteur. Suite à cela j’ai contacté les fournisseurs et ils m’ont confirmé que c’était possible dans mon cas. J’ai commandé le système et des collègues me l’ont monté.

Si vous vous adressiez à des jeunes en situation de handicap ou à des personnes qui auraient eu un accident au cours de leur vie, est-ce que vous leur diriez : « Oui, c’est possible d’être agriculteur avec un handicap » ?

Alors… peut-être pas à tout le monde. C’est peut-être moins compliqué en étant déjà agriculteur au départ. Mais déjà, pour des valides qui ne sont pas encore agriculteurs, je leur conseillerais de bien réfléchir, alors en étant porteur d’un handicap, je ne le conseille pas vraiment. Ou alors il faut qu’ils soient très courageux. Cela demande de s’investir sur la durée, d’accepter beaucoup de contraintes et de faire de très grosses journées. Même si, pour ma part, j’arrive à y prendre du plaisir (rires). Dans l’agriculture, on ne compte pas le temps, sinon on deviendrait fou. Je ne connais pas un agriculteur qui pourra vous dire combien de temps il travaille.

Donc pour quelqu’un qui serait extrêmement motivé, je ne dis pas que ce n’est pas possible. Simplement que cela implique des investissements énormes, en termes de temps, d’argent, d’énergie. Le seul conseil que je peux donner c’est qu’il faut que ça vienne d’eux-mêmes. Il ne faut pas prendre la décision à la légère. La tendance aujourd’hui est de passer d’un secteur à un autre, mais là on est dans un corps de métier où on ne peut pas passer d’une chose à l’autre… c’est pour la vie et on inclut sa famille dans ce choix de vie. Il n’y a pas beaucoup de temps pour les vacances par exemple.

Mon exploitation fait 70 hectares, ce qui est une surface de taille moyenne. Cela peut paraître beaucoup mais il faut relativiser. J’ai un collègue qui est aussi en situation de handicap, en fauteuil, et qui est également agriculteur, il fait du bio et de la lentille, il a des vaches laitières… D’un autre côté, j’ai un ami qui joue au basket et dont les parents sont agriculteurs, et il a fait le choix de ne pas reprendre leur exploitation après son accident… mais celle-ci couvre une surface de 500 hectares.

Le fait de vivre en zone rurale avec un handicap, notamment quand on se déplace en fauteuil, peut paraître compliqué vu de la ville… Qu’en pensez-vous ?

Je pense que la notion de campagne est relative et que les zones rurales sont parfois mieux adaptées que la ville. Je me suis déplacé régulièrement dans de grandes villes pour le basket et c’est parfois extrêmement compliqué d’aller au restaurant ou à l’hôtel, notamment à Paris. Alors qu’ici, il y a un bar restaurant dans le village voisin où le gérant a fait aménager de grands toilettes accessibles… Dans les grandes villes, j’ai l’impression que beaucoup s’en fichent et préfèrent payer des amendes.

Après il y a campagne et campagne… J’habite à 1km de l’autoroute A75, c’est un petit village de 300 habitants e je peux me déplacer en voiture. Si vous habitez au fin fond du Cantal à 1500 m d’altitude et qu’il y a six mois de neige, c’est un peu différent… Cela dépend vraiment des endroits et du type de handicap. Par exemple, si je fais les magasins au Puy-en-Velay ou que je veux m’y promener, c’est très compliqué, il y a des pavés partout, ça monte, ça descend… Mais lorsqu’il y a eu la fête de mon village, récemment, j’ai fait le trajet – une grande montée – en fauteuil, et je crois que je suis l’un des seuls à y être allé à pied ! Dans un sens, c’est une chance d’être handicapé car cela permet de montrer autre chose aux enfants, de repousser un peu les limites. En résumé, ce qui gêne quand on est en fauteuil, ce sont les grandes montées et les escaliers, et il n’y en a pas plus à la campagne qu’en ville.

Avez-vous ressenti un changement de regard, positif ou non, de la part des autres depuis l’arrivée de votre handicap ?

Les gens brillants restent brillants, les cons deviennent plus cons. Le handicap nous met à l’épreuve, et un peu comme l’alcool, cela fait ressortir ce qui est prédominant en nous. Ce n’est pas parce qu’on vit en fauteuil que l’on est plus intelligent ou non. On reste les mêmes.
Après que je sois parti jouer au basket dans le Sud, quelqu’un m’a demandé « si on s’était bien occupé de moi pendant les dix années passées en centre ». J’ai voyagé dans de nombreux pays, pris l’avion régulièrement, rencontré énormément de monde, j’ai eu beaucoup de chance… Et cette question m’a rappelé à quel point les préjugés sur le handicap peuvent être ancrés chez certaines personnes, qui, inconsciemment, sont certaines de savoir ce que l’on peut faire ou non… et je pense que ce n’était pas la seule personne à penser que j’étais resté enfermé. À côté de cela, les gens voient que je construis une maison, que je conduis un tracteur, que j’ai eu deux enfants… Chacun est libre de penser ce qu’il veut.

En photo : Arnaud Gaëtan, accompagné de son fils et son père, et son tracteur aménagé pour faciliter son transfert.

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