« Et si la santé mentale devenait grande cause nationale ? » : C’est ce que propose l’UNAFAM alors que les personnes en situation de handicap sont d’autant plus vulnérables face à la crise du Covid.
La crise sanitaire du Covid-19 et les deux confinements qui l’ont accompagnée ont eu un impact certain sur la vie sociale et la santé psychologique des personnes en situation de handicap. C’est notamment le cas pour les personnes en situation de handicap psychique et leurs aidants. Dans ce cadre, nous avons échangé avec Marie-Andrée Mandrand, présidente de la délégation Unafam 69, Métropole de Lyon et Rhône. Elle nous apporte son éclairage et nous raconte comment cette période est vécue au sein de cette association.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis bénévole à l’Unafam depuis 5 ans et mère d’un jeune homme vivant avec des troubles psychiques depuis une quinzaine d’années. Au niveau professionnel, lorsque mon fils a développé la maladie, j’ai pu bénéficier très tôt du soutien et des services apportés par l’Unafam grâce au premier médecin psychiatre rencontré qui m’a orientée vers l’association. Je me suis fait la promesse qu’une fois arrivée à l’âge de la retraite je rendrais un peu de ce que j’ai reçu, je donnerais à mon tour de mon temps pour aider les familles blessées et désemparées face à la maladie de leur proche. À l’Unafam, les bénévoles sont principalement des personnes concernées par la maladie d’une personne de leur entourage.
Pouvez-vous nous présenter l’UNAFAM et ses activités ?
Depuis sa création en 1963, l’Union Nationale de Familles et Amis de personnes malades et ou handicapées psychiques consacre son action à l’aide des familles et de l’entourage des personnes vivant avec des troubles psychiques sévères (troubles schizophréniques, troubles bipolaires, dépressions sévères, troubles anxieux et phobiques, autres psychoses graves). Elle soutient les familles et les aide à briser l’isolement qui les enferme en les accueillant avec bienveillance et sans jugement, en leur offrant une écoute attentive de pair à pair, en leur fournissant toute information utile pour mieux comprendre les maladies psychiques, le parcours de soins et d’accompagnement nécessaire en vue du rétablissement de leur proche. Elle propose également des journées de formation et des ateliers d’entraide qui amènent les familles à prendre conscience de leur savoir issu de l’expérience, à renforcer l’estime d’elles-mêmes et à dynamiser leurs ressources personnelles.
D’autre part, l’Unafam défend les intérêts communs des familles et des personnes malades en assurant de nombreux mandats de représentation aux plans national, régional et local. L’Unafam 69 représente les usagers-familles et les personnes concernées dans les établissements sanitaires, médicosociaux et sociaux et dans les instances institutionnelles (ARS, MDMPH, CDMCA, CLSM…). Elle participe à l’élaboration et à la mise en œuvre du Projet Territorial de Santé Mentale du Rhône dont l’ambition est d’apporter des réponses novatrices en santé mentale au bénéfice du projet de rétablissement choisi par les personnes concernées, s’appuyant sur leurs capacités d’agir et leurs aspirations et sur la collaboration de l’ensemble des acteurs du territoire.
L’Unafam se mobilise également pour faire changer le regard de la société sur les personnes malades et leur entourage à travers des actions de déstigmatisation auprès du grand public (Semaines d’Information sur la Santé Mentale), de sensibilisation et de formation auprès de tous types de professionnels.
Enfin, l’Unafam soutient la recherche en psychiatrie dans le domaine biomédical et aussi en sciences sociales, organise des colloques et des conférences, s’intéresse à l’innovation dans les pratiques de soins et d’accompagnement.
Lors du premier confinement, puis du second, avez-vous constaté un impact du Covid sur la santé mentale et le bien-être des personnes en situation de handicap que vous accompagnez ? Savez-vous comment ces personnes vivent cette période ?
Lors du premier confinement, les hôpitaux psychiatriques du Rhône ont réorganisé leurs services afin de libérer des lits pour limiter le risque de contamination COVID-19 des patients et des professionnels et mobiliser du personnel soignant supplémentaire en ambulatoire. Comme souvent, les familles se sont retrouvées en première ligne pour accueillir chez elles leur proche sorti précocement d’hospitalisation ou pour lui venir en aide à son domicile ou à distance, sans toujours y avoir été suffisamment préparées ou pouvoir bénéficier de l’accompagnement indispensable à la prise en charge de leur proche. Cette situation a engendré de nouvelles difficultés quotidiennes, une tendance à se replier sur soi et à se sentir très seuls, des tensions dans les relations, du stress, de l’anxiété allant jusqu’à l’angoisse et un sentiment de culpabilité de ne pas se sentir à la hauteur. Le confinement a suspendu les activités thérapeutiques dans les hôpitaux de jour et les CATTP, laissant les personnes désœuvrées sans étayage psychologique suffisant. Et réduisant du même coup les possibilités de temps de répit pour leurs aidants.
« Certains aidants ont pu se sentir livrés à eux-mêmes et se sont épuisés à chercher des solutions pour leur proche »
Selon les secteurs, nous avons constaté que les familles ont eu des difficultés à entrer en contact avec les CMP et que le suivi régulier des patients a parfois été défaillant, malgré les recommandations ministérielles. Certains aidants ont pu se sentir livrés à eux-mêmes, abandonnés et se sont épuisés à chercher des solutions pour leur proche.
En publiant son premier baromètre, l’Unafam a mis en évidence que pour près de 40 % de ses adhérents, cette crise a été synonyme de manque d’accompagnement de la personne malade, associé à un sentiment de solitude face à la situation.
Une enquête menée par l’équipe du Dr. Rey (Unité polaire de Psychothérapies et Psychoéducation du Vinatier) en collaboration avec l’Unafam a révélé que, pendant cette période, plus de la moitié des aidants de personnes malades psychiques présentaient un niveau de dépression significatif, bien supérieur en comparaison de la population générale.
Et qu’en est-il du deuxième confinement ?
Depuis la fin de l’été et le deuxième confinement, on observe une augmentation du passage aux urgences psychiatriques dans notre département et davantage de demandes de prise en charge au niveau des CMP. Les activités groupales en hôpital de jour, en CATTP (Centres d’Accueil Thérapeutiques à Temps Partiel) ont heureusement été maintenues, les personnes hospitalisées ont pu recevoir la visite de leurs familles. Cet allégement des mesures sanitaires a été bienvenu ! Les services extrahospitaliers se sont adaptés pour exercer un suivi des personnes à distance par téléphone ou téléconsultation, pour programmer des rendez-vous en présentiel si nécessaire.
Une implication très forte a réuni l’ensemble des acteurs, du sanitaire, du médicosocial et du social, qui se sont mobilisés pour soigner et accompagner les personnes vivant avec un trouble psychique.
Mais depuis le début de la crise du Covid il y a une tendance à l’accroissement des tentatives de suicide et des suicides chez les personnes en situation de handicap psychique. Les adolescents et les jeunes, population la plus à risque de développer des troubles psychiques, sont particulièrement touchés par des troubles du comportement et des états de crise qui nécessitent des prises en charge intensives en ambulatoire. Il est indispensable que tout soit mis en œuvre sans attendre pour que chacun puisse recevoir tous les soins et accompagnements nécessaires à son rétablissement selon les meilleures pratiques internationales qui ont fait leurs preuves.
Avez-vous également constaté des difficultés et/ou des angoisses accrues du fait de l’épidémie en tant que telle ? Peur de la maladie, application des gestes barrières, port du masque…
L’épidémie a engendré une peur parfois incontrôlable d’être contaminé par le virus, d’autant que certaines personnes ayant des troubles psychiques souffrent de comorbidités (diabète, surpoids, maladies cardiovasculaires) qui sont autant de facteurs de risque.
Un certain nombre d’entre elles ont des difficultés à respecter les règles de confinement et les mesures de protection associées entrainant une inquiétude grandissante de l’entourage au fur et à mesure que la situation de confinement se prolonge.
Avez-vous mis en place des accompagnements spécifiques dans le cadre de la crise sanitaire ? Ou adapté ce qui existait déjà ?
À la délégation du Rhône, nous nous sommes très rapidement adaptés pour maintenir le lien avec nos adhérents en situation de handicap et leurs aidants pendant la crise du Covid. Dans cette situation de crise sanitaire, nous nous devions d’être aux côtés des aidants en difficulté, ils avaient encore davantage besoin d’être aidés.
Nous avons pris toutes les dispositions nécessaires pour assurer la continuité des services d’accueil et d’écoute aux familles, le téléphone ou la visioconférence remplaçant nos habituels rendez-vous ou groupes de parole en présentiel. Nos bénévoles ont eu à cœur de se former aux outils numériques pour répondre aux demandes des familles. Ce dispositif a fait preuve de son efficacité : nous avons réalisé un nombre d’entretiens d’accueil équivalent en 2020 à celui de 2019 malgré le fonctionnement à distance.
Pour y parvenir, nous avons renforcé notre communication à l’externe avec nos adhérents et avec nos partenaires. Les professionnels du sanitaire, du médicosocial et du social sont nos meilleurs alliés pour faire prendre conscience aux familles qu’elles peuvent être accompagnées et soutenues et pour les orienter vers l’Unafam. Les aidants ayant bénéficié le plus tôt possible du soutien des associations de familles et d’un programme de psychoéducation sont les mieux dotés pour faire face aux situations de stress au quotidien.
Par ailleurs, l’Unafam a mis en place une plateforme nationale pour faire remonter les situations complexes rencontrées par les personnes sur les soins et les accompagnements, sur les questions d’ordre juridique en particulier.
Les mesures annoncées par le gouvernement pour le handicap ont-elles facilité le quotidien des personnes que vous accompagnez et de leurs proches ? Attendiez-vous autre chose de la part des pouvoirs publics ?
Ces mesures liées au Covid ont été accueillies avec soulagement par les personnes en situation de handicap et par leurs aidants car elles ont desserré les contraintes parfois difficiles à appréhender par les personnes concernées. Elles ont ainsi contribué à une meilleure acceptation des exigences sanitaires. Elles facilitent le déplacement des personnes et de leur accompagnant, leur permettent d’aller et venir pour dissiper leur anxiété, de sortir plus souvent en fonction de leurs besoins. De même, les activités dans les GEM (groupes d’entraide mutuelle) et dans les ESAT (établissements et services d’aide par le travail) ont participé à renforcer le moral des personnes qui continuent à se sentir incluses dans la vie sociale.
« L’Unafam demande depuis des années la mise en place un véritable plan psychique »
La crise COVID-19 a mis en lumière le fait qu’à côté de la santé physique, la santé mentale doit aussi faire l’objet de toutes les attentions. Des signes alarmants nous alertent sur une augmentation significative des troubles dépressifs dans la population générale. Cela fera-t-il bouger les choses ? L’Unafam demande depuis des années la mise en place un véritable plan psychique, un institut national de psychiatrie, à l’instar du plan cancer et de l’institut national du cancer, pour que les personnes vivant avec des troubles psychiques soient enfin soignées avec le respect et la considération qui leur sont dus comme à toute autre personne malade. Et si la santé mentale devenait « Grande cause nationale » ? Il y a là une réelle opportunité.
Comment envisagez-vous la suite des événements par rapport aux personnes en situation de handicap que vous accompagnez face au Covid ?
Il est essentiel pour nous de favoriser le lien avec les adhérents pour les aider à traverser cette crise dans la durée. Nous essayons d’innover. Nous avons commencé à leur proposer des temps de rencontre conviviaux (toujours à distance), des moments d’échanges libres où ils peuvent parler d’eux-mêmes, certes de leurs difficultés, mais aussi des ressources qui sont en eux et de leurs espoirs. L’entraide et la solidarité sont des valeurs fondamentales pour l’Unafam.
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Devant cette situation qui perdure et qui nous touche de plus en plus avec le temps, il ne faut surtout pas rester seul mais maintenir le contact autant que possible avec ceux qui nous entourent. Et les aidants ou les personnes en situation de handicap ne doivent pas hésiter à se faire aider si elles ont l’impression de perdre pied face au Covid. Nous devons prendre soin de nous. C’est en allant mieux qu’il est possible à son tour de pouvoir mieux accompagner son proche.
Pour plus d’informations sur l’UNAFAM 69 : https://www.unafam.org/
En photo : L’équipe de l’Unafam 69.