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Pairs aidants : Le programme « un chez soi d’abord »

Pairs aidants : Le programme « un chez soi d'abord »
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Des pairs aidants dans le « chez soi d’abord ». Par Christian Laval, sociologue, chercheur associé au laboratoire ESO (UMR 6590).

Depuis une dizaine d’années, de nouvelles figures émergent dans du médico-social et du sanitaire d’individus reconnus et qualifiés de « pairs » : pairs aidants, pairémulateurs, pairs-accompagnants, médiateurs santé pairs. Ces intitulés mettent tout particulièrement en avant les expériences traversées par ces individus en tant qu’usagers, patients, personnes handicapées, malades, etc., expériences à partir desquelles ils se reconnaissent et sont reconnus comme pairs des publics ciblés par les politiques publiques. S’il ne s’agit pas d’un phénomène massif numériquement en France, il convient de souligner l’institutionnalisation1 progressive de ces pratiques. Ce court article a pour ambition de comparer ces développements dans le champ de la santé mentale et plus particulièrement dans le cadre du programme expérimental « un chez soi d’abord » mis en place de 2011 à 2015.

1 Contexte d’émergence de la pair-aidance en France

Ce programme se présente comme une réponse possible à deux secteurs d’intervention en crise : celui de la psychiatrie publique et celui de l’urgence sociale.

Crise de la psychiatrie publique
Durant la décennie 2000, on assiste à un affaiblissement des références théoriques psychodynamiques2 fondatrices et unificatrices du modèle dit de « psychiatrie de secteur ». Le champ conceptuel se fragmente entre différentes approches (neurosciences d’un côté versus réhabilitation sociale de l’autre). La centration des débats des professionnels sur la segmentation de leur propre savoir les rend partiellement sourds à la demande de plus en plus insistante de participation des usagers, et particulièrement à l’aspiration de reconnaissance des savoirs issus de l’expérience d’être ou d’avoir été un patient en psychiatrie, d’avoir vécu la maladie mentale ou encore les effets de la médication, etc. Mais alors que, dès 2002, la promesse de démocratie sanitaire a été relayée en psychiatrie par un rapport officiel proposant de mettre « les usagers au centre du dispositif » (rapport Piel & Roelandt, 2002), la psychiatrie publique n’a pas su ou pu intégrer dans son « logiciel » ces enjeux de savoirs expérientiels malgré de rares travaux impulsés par le Centre Collaborateur OMS  pour la recherche et la formation en santé mentale Secteur 59G21 / EPSM Lille Métropole ( cf recherche action collective sur les pairs aidants, 2007.





Crise de l’urgence sociale
Depuis la moitié des années 2000 (et particulièrement depuis le mouvement social dit des enfants de Don Quichotte en 2006), les dispositifs d’urgence sociale existant ont montré publiquement leurs limites d’insertion. L’inefficience du « parcours par paliers », dénoncée par le rapport Damon (2002), a contribué à maintenir les personnes sans-abris dans une forme de désocialisation et des états de santé durablement dégradés. Le public concerné se composait majoritairement d’hommes adultes, vivant pour de longue période à la rue ou dans des centres d’hébergement, souffrant souvent de troubles psychiques, d’alcoolisme et de toxicomanie, faisant un usage important des services d’hébergement d’urgence et d’autres services publics (police, justice). Pour autant, la personne SDF est restée jusqu’à ici irrecevable dans les dispositifs psychiatriques hospitaliers ou ambulatoires, renvoyée par les équipes psychiatriques à son stigma social. Or la prévalence globale des troubles psychotiques (schizophrénie, troubles délirants persistants et autres troubles psychotiques) est de 13.2% pour les personnes sans-abris, soit 10 fois plus qu’en population générale (Étude Samenta, 2009). Face à ces constats, les pouvoirs publics ont mis en place des dispositifs spécifiques comme les PASS3 ou les Équipe mobile psychiatrie/ précarité4. Indispensables sur le court terme, ces réponses ont paradoxalement mis en relief l’inefficience d’un parcours par paliers où la question du choix et de l’autodétermination des personnes concernées n’est pratiquement jamais abordée.

2 Vers de nouvelles réponses : « chez soi d’abord » et rétablissement
Comment trouver des solutions à ce qui est devenu en une décennie un problème public global ?

En 1992, un nouveau modèle d’intervention s’expérimente à New York. (Tsemberis et al., 2004). Le « Housing first » est né. Il consiste à offrir, dès le démarrage de l’accompagnement du SDF ayant des problèmes de santé mentale, un logement permanent éliminant ainsi le recours à un hébergement d’urgence ou transitoire. De plus ce modèle d’intervention ambitionne d’inscrire la personne comme locataire et responsable du bon fonctionnement de son « chez soi » ainsi que des relations avec « son » voisinage. Deux principes d’actions caractérisent « le housing first » : l’attribution d’un logement personnel et permanent sans conditions de soins préalable et d’accompagnement qui donne une place importante aux choix des personnes et à leurs capacités à définir quelles sont leurs priorités de vie. La seule exigence vis-à-vis des locataires est qu’une équipe médico-sociale dite intensive (psychiatre, psychologue, travailleurs sociaux et pairs aidants) les rencontrent une fois par semaine à leur domicile ou dans un lieu de la cité qu’ils auraient choisi. Cet accompagnement pluri professionnel s’inspire de l’approche du rétablissement ; Le rétablissement s’est diffusé largement dans l’aire anglo-saxonne depuis deux décennies, donnant lieu à des définitions diversifiées mais dont le point commun concerne l’attention portée au recueil de l’expérience des personnes concernées. Comment font-elles pour vivre leur maladie tout en poursuivant leurs rêves et leurs projets de vie ? Leurs leçons tirées de leurs vécus sont valorisés comme des ressources possiblement mobilisables pour comprendre, faire face et conduire sa vie avec la maladie. De fait, cet intérêt porté sur l’expérience des personnes va légitimer la présence de pairs aidants dans les équipes d’accompagnement. En France, suite à un rapport officiel (rapport Girard, Estecahandy, Chauvin, 2010) un programme expérimental « un chez soi d’abord » commence en 2011 sous la forme d’un essai randomisé contrôlé. Cette expérimentation a pour objectif de permettre à un public de personnes vivant depuis longtemps dans la rue et ayant une pathologie psychiatrique dite sévère (schizophrénie ou trouble bipolaire) d’accéder directement à un logement ordinaire à la condition d’être accompagnées selon des modalités spécifiques par une équipe médico-sociale composée de travailleurs sociaux, médecins, infirmiers, et aussi de pairs aidants, travaillant selon une approche dite recovery oriented .L’intervention « un chez-soi d’abord » s’est  déployée sur les sites de Marseille, Lille, Paris et, Toulouse. Elle est Initialement prévue sur pour une durée de 3 ans (2011-2014), et prolongée jusqu’en 2016, elle est coordonnée au plan national par une délégation interministérielle : la DIHAL, Elle est accompagnée par une recherche évaluative, conduite sous forme randomisée, multi-sites. Une équipe de recherche évalue pour chaque personne participant à l’étude l’évolution de sa situation en termes sanitaire et social, de rétablissement et de qualité de vie. Outre cette évaluation quantitative, l’expérimentation inclut une étude de nature qualitative qui s’intéresse aux pratiques professionnelles développées par les équipes d’accompagnement, aux trajectoires individuelles des personnes participant à l’étude, ainsi qu’aux facteurs institutionnels et politiques d’implantation du Programme « Un Chez Soi d’abord ».





Plus de 700 personnes vont intégrer l’étude de 2011 à 2015. La moitié d’entre elles appartient au groupe dit “témoin” ; l’autre moitié au groupe dit « expérimental ». Le groupe témoin est suivi « comme d’habitude » par les services existants en matière d’hébergement et de logement, de santé, d’action sociale.

3 Des enjeux de la collaboration entre pair-aidants et professionnels
Le groupe expérimental bénéficie toujours des services habituels mais il est logé dans le cadre d’une sous-location et accompagné par une équipe mobile pluridisciplinaire de dix professionnels par site dont deux pairs aidants (deux pairs aidants par équipe et par site). Identifiés à la fois par des expériences antérieures de parcours dans le monde psychiatrique, de toxicomanie et des parcours de grande précarité (sans chez soi), les critères initiaux de recrutement des pairs aidants ont été au départ difficile à définir et ont donné lieu à des longues discussions site par site. D’une manière générale, dans la durée du programme, la question des indicateurs de recrutement est réapparue à chaque fois qu’un poste de pair aidant était à pourvoir : D’autant plus, que les points de vue sur les profils adéquats différaient entre pairs aidants déjà en poste, professionnels diplômés et acteurs externes aux équipes (porteurs et acteurs institutionnels). Cette introduction de pairs aidants dans le programme s’est conjuguée dès le départ avec une interrogation récurrente sur le contenu de leur activité en lien avec une problématique de professionnalisation incertaine.[1] Cette question récurrente s’est posée de façon d’autant plus aiguë, qu’aucun pair aidant n’avait bénéficié de formation initiale ou continue dans un contexte où la première formation de médiateurs de santé pairs en santé mentale est conduite par le CCOMS1 de Lille[2].

Un des enjeux de la collaboration pairs-aidants / professionnels du programme « Un chez soi d’abord » fut la reconnaissance de l’expertise des uns et des autres dans la constitution d’un équilibre entre une visée partagée d’autodétermination des personnes accompagnées et un mode d’intervention institutionnel où les normes d’action demeuraient pour partie celles de « la prise en charge » et de l’assistance. Promouvoir le multi référencement[3] a permis de ne pas reconduire les asymétries et la hiérarchie des identités professionnelles instituées. C’est seulement dans un second temps qu’ont pu émerger des différences de postures, de définition des situations entre professionnels du programme et pair aidants.

Dans le déroulé des interventions définies par une visée d’autodétermination, l’équipe s’est trouvé confrontée à des situations dites « limites ». Les pairs-aidants ont alors souvent été en situation de ressource/pivot concernant l’analyse de ces situations-limites (en permettant à l’équipe de continuer à soutenir une plus grande variété de situations), car mieux documentés par leur vécu expérientiel.  Ayant traversé certaines difficultés similaires à celles des personnes accompagnées, ayant plus facilement accès à elles dans des moments de rupture ou de conflit que les autres membres de l’équipe, tel ou tel pair-aidant selon sa sensibilité propre apportait en réunion d’équipe par le développement de son point de vue une nouvelle compréhension des risques encourus. En ce sens, le pair-aidant apporte une plus-value à la collaboration en cours.

Logo IDA-RennesLOGO ESO RENNES couleur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Lise Demailly, « Les médiateurs pairs en santé mentale », La nouvelle revue du travail [En ligne], 5 | 2014, mis en ligne le 11 novembre 2014. URL : http://nrt.revues.org/1952 ; DOI : 10.4000/nrt.1952

[2]La professionnalisation des « médiateurs de santé pairs » a été initiée par une alliance entre le ministère de la santé et le CCOMS et défendue par des ’associations familiales et d’« usagers » de la psychiatrie comme l’UNAFAM2 et la FNAPSY3.Cette impulsion aboutit à la fin des années 2000 à la mise en œuvre d’une formation expérimentale de 30 médiateurs pairs destinés à être professionnalisés dans différents services de santé.

[3] Au lieu de la traditionnelle relation de référence entre un professionnel et un usager conduisant à une relation exclusive, le programme « Un chez soi d’abord » a opté pour le multi référencement, autrement-dit chaque usager peut solliciter selon ses besoins chacun des membres de l’équipe professionnelle. D’une certaine manière la personne est son propre « case manager ». Il s’agit d’un mode d’intervention théorisé par les équipes elles-mêmes où tous les intervenants de l’équipe ne sont pas assignés à un savoir et à une expertise de métiers.

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