Secteur protégé et adapté: Pour Gérard Lefranc, responsable de la mission handicap Thales, « Les ESAT et EA doivent évoluer rapidement pour rester dans le peloton ».
Dans cette édition, nous abordons avec lui les relations entre l’entreprise et le secteur protégé et adapté (STPA) : celui-ci comprend les ESAT (Établissement et Service d’Aide par le Travail) et les EA (Entreprise Adaptée). Chacun ayant son propre mode de fonctionnement, ils n’évoluent pas avec la même législation, ni avec les mêmes types d’aides financières. La composition de leurs équipes est aussi très différente. C’est un secteur qui emploie plus de 155 000 personnes handicapées.
Quel regard portez-vous sur le STPA ?
Le terme « protégé » pose question, de quoi veut-on protéger ce secteur ? Des droits communs, du travail, des aléas de la vie ? Les ESAT et les EA évoluent quoi qu’il arrive en relation avec le marché concurrentiel, Malgré leurs spécificités elles doivent être sur le marché et au prix du marché de leur secteur. Il existe bien sûr une particularité pour les ESAT qui sont des établissements médico-sociaux accessibles aux personnes handicapées qui ne présentent pas, provisoirement ou définitivement, une autonomie suffisante pour travailler en milieu ordinaire. La personne accueillie en ESAT signe avec l’établissement un contrat de soutien et d’aide par le travail. Ce contrat décrit les conditions d’accompagnement médical, social et éducatif propre à la personne et les activités professionnelles possibles en milieu protégé. Ils évoluent sous le droit de la famille et non sous le droit du travail, .
Les EA sont depuis 2005 considérées comme des entreprises du milieu ordinaire. Avec pourtant une spécificité fondamentale, celle d’employer au moins 80 % de travailleurs handicapés. Leurs vocations est d’être pour les personnes handicapées une passerelle vers les entreprises classiques. Qu’ils relèvent du milieu protégé (médico-social), ou du milieu adapté (social), les ESAT et les EA ont pour vocation l’épanouissement par le travail et l’insertion professionnelle des personnes handicapées qui ne sont pas en mesure de travailler dans le milieu ordinaire.
ESAT et EA reçoivent des aides sous différentes formes pour mieux assurer leurs missions. Dans ce secteur, les travailleurs sont formés à l’acquisition de compétences censées leur permettre de travailler en entreprises ordinaires. Nous constatons cependant que seulement 1% des personnes sortent du milieu protégé et adapté avec un emploi durable. La tendance est-elle, pour des raisons économiques et afin de répondre à des demandes d’entreprises, de garder les meilleurs éléments ? La réponse n’est pas toujours aussi claire Je rappelle que l’une des vocations de l’un ou l’autre de ces modèles est la même, elle est de faire évoluer les personnes handicapées qui le peuvent vers le milieu du travail ordinaire.
Chez Thales, comment le choix de faire appel au secteur protégé et adapté (STPA) est-il conduit ?
Le choix entre le secteur ordinaire ou protégé dans le cadre d’une sous-traitance, est réalisé par la direction des achats. On ne peut pas privilégier un sous-traitant plutôt qu’un autre. Par contre lorsque l’on est reconnu comme sous-traitant chez Thales, on est considéré comme partenaire et donc accompagné dans la durée. Beaucoup de critères sont pris en compte dans le choix d’un sous-traitant. Lorsqu’un ESAT ou une EA est en lice, la mission handicap est consultée dans le cadre de la politique handicap du Groupe, mais au final c’est l’acheteur qui prend la responsabilité de la commande. Les ESAT et EA qui travaillent avec les grandes entreprises comme la nôtre connaissent bien cela. Du côté de la mission handicap, nous faisons valoir que l’accord d’entreprise impose une croissance des achats au secteur protégé et adapté (STPA). Cela reste un processus de décision collectif, stratégique et économique.
Quelle politique d’appel aux entreprises du secteur protégé et adapté (STPA) et sous-traitant pratiquez-vous chez Thales ?
Nous avons débuté par des achats de Facility Management et d’achats hors production à partir de 1999. Nous avons également participé à la création du réseau GESAT afin de mettre en place une coopération efficace entre notre direction des achats et les EA et ESAT sur les territoires où se trouvent les unités de Thales
Nous avons, dans un deuxième temps, fait appel à des sous-traitants pour des tâches de production ; Ainsi en région Rhône-Alpes nous avons par exemple confié à un ESAT le démantèlement des tubes électroniques. Cette tâche demandait un certain savoir-faire. Nous avons donc détaché du personnel de Thales pour former les encadrants et les travailleurs handicapés mentaux de cette structure. Nous leur avons également transféré les machines nécessaires au process de démontage. La collaboration se poursuit encore aujourd’hui avec beaucoup de succès. Les usagers ont changé leur vision d’eux-mêmes, ils parlent de leur métier et ne disent plus « je travaille à l’ESAT ». Ce sont de vrais travailleurs qui, pour certains, pourraient envisager d’aller vers le milieu ordinaire et c’est exactement ce que nous cherchons à produire.
Avez-vous des exemples de réussites au sein de Thales
Il y a quelques temps, j’ai visité une entreprise adaptée employant uniquement de personnes de haut niveau de diplômes atteintes d’autisme Asperger. Ces personnes peuvent tout à fait travailler chez Thales. Ce dont elles ont besoin, c’est d’un environnement sécurisant, d’un rythme de travail stable, adapté à leur rythme et à leur vision du monde.
Un tel environnement mis en place mis en place nous avons pu recruter des personnes Asperger, et qui ont été orientée vers un métier de recherche et développement. Dernièrement, nous avons recruté un jeune autiste issu de l’école d’ingénieur de Bordeaux. Grâce à nous il a fait son premier stage professionnel à l’étranger dans l’une de nos filiales. Suivi et écouté par le staff qui l’encadrait, il s’est montré très performant. Pour atteindre ce résultat, il faut avant tout avoir l’envie de le faire et appliquer des règles simples et pratiques pour que la personne autiste soit toujours rassurée dans son environnement, et surtout savoir écouter la personne quand il dit avec ses mots et comportement ce dont elle a besoin. Pour aboutir à ce succès dans un pays loin de la France, nous avons facilité le voyage à sa famille pour qu’elle l’accompagne le temps de son installation afin de lui permettre de trouver des repères, c’était indispensable. L’autre aspect qui doit-être respecté concerne la charge de travail. Les autistes Asperger, dans leur domaine, réfléchissent vite et ne supportent pas l’ennui. Il faut donc en conséquence répondre à leurs besoins. Forts de ces belles expériences, nous proposons aujourd’hui à des EA de faire des tests logiciels de certains de nos systèmes opérationnels en suivant un process bien précis, qui nécessite un bon niveau de réflexion et de concentration.
Quels avantages supplémentaires l’entreprise peut-elle en retirer ?
Les ESAT représentent aussi un véritable intérêt pour les entreprises car les travailleurs d’ESAT sont accompagnés par des personnes qui connaissent bien les pathologies, déficiences et les compensations à mettre en oeuvre. Ces accompagnants auraient toute leur place dans le futur projet de « l’emploi accompagné » en entreprise que Thales soutient d’ores et déjà. Le point de vigilance porte sur le statut de ces accompagnants issus du secteur médico-social. Un statut qui reste à « inventer »dans le monde de l’entreprise.
Quel sont les freins à la sortie du milieu protégé ?
Outre les devoirs que je rappelle plus haut en matière de formation et d’orientation, les freins sont nombreux : la peur du candidat à la sortie de l’établissement, le peu d’entreprises ordinaires qui acceptent ce type de recrutement. Le taux d’échecs est aussi important et les ESAT doivent prévoir le retour de la personne à son poste précédent en cas d’échec. Mais entre-temps, le poste peut avoir été attribué à une autre personne, ce qui pose de sérieux problèmes à l’ESAT.
Comment évolue le STPA sur le marché ?
Aujourd’hui le niveau de compétences des ESAT et EA évolue, en partie grâce à la pression du marché, à l’évolution des besoins des entreprises, et à la transition numérique. Les ESAT-EA doivent à tout prix prendre le train de la transition numérique pour proposer de nouveaux services aux entreprises et voire même devenir leader de leur secteur grâce à ces connaissances. Celles qui ne le feront pas risquent de disparaître. À leur place de nouveaux ESAT et EA vont apparaître, totalement rompus aux nouvelles technologies. Encore trop d’ESAT et EA sont ancrés dans des activités de conditionnement ou de gestions des espaces verts ou tertiaires. Certes c’est nécessaire mais cela ne représente pas un avenir florissant pour des entreprises qui doivent toujours en faire plus.
Chez Thales, nous réfléchissons à cette situation et nous sommes prêts à accompagner les ESAT-EA dans leurs réflexions stratégiques et sur les relations qu’elles veulent avoir avec nous dans le futur. Je pense que c’est une occasion unique pour elles d’entrer dans le jeu de l’économie actuelle et future.
Il me paraîtrait fort intelligent de mettre en place une cellule de réflexion sur la transition numérique au service des ESAT-EA. Le cadre pourrait être le Plan Régional d’Insertion des Travailleurs Handicapés, accompagné d’entreprises qui feront connaître leurs besoins actuels et futurs. Thales peut en être l’un des grands acteurs.
Que pensez-vous de la création d’une EA en interne d’une grande entreprise, comme cela se fait régulièrement ?
C’est intéressant, mais cela vient aussi du fait que les EA sur la place n’ont pas menée les réflexions nécessaires au bon moment pour répondre aux attentes des grandes entreprises. Les ESAT et EA doivent évoluer rapidement pour rester dans le peloton des entreprises qui bougent et vont de l’avant.