Témoignage : L’engagement de l’ARS Pays de la Loire pour l’accès aux soins des personnes en situation de handicap
Dans le cadre de notre enquête, nous avons interviewé Jean-Jacques Coiplet, directeur général de l’ARS (Agence Régionale de Santé) des Pays de la Loire. Il nous explique sans faux semblants comment la question de l’accès aux soins des personnes en situation de handicap est traitée dans les Pays de la Loire depuis la prise de conscience que les résultats de l’enquête Handifaction ont suscité.
Comment la prise en charge des soins des personnes en situation de handicap est-elle répertoriée au sein d’une ARS (Agence Régionale de Santé) ?
La plupart des ARS sont dans ce que l’on appelle « l’universalisme proportionné » – ce qui est d’autant plus vrai dans les Pays de la Loire à travers les projets régionaux de santé qui en sont à la deuxième génération. C’est-à-dire que nous agissons pour la santé de tous en veillant à ce que ce soit d’abord et avant tout le droit commun qui s’impose, que ce soit pour l’accès aux acteurs de santé libéraux, aux établissements de santé, aux urgences, à l’hôpital, aux cliniques, aux accompagnements médicosociaux… Mais nous avons une attention particulière pour celles et ceux qui dans leur vie présentent des fragilités, c’est-à-dire des personnes vivant avec un handicap, des personnes précaires et/ou âgées, dépendantes. Cela signifie que l’intensité de l’attention est proportionnelle aux besoins.
Comment avez-vous pris conscience du problème ?
À travers les différents rapports et études sur le sujet que sont le rapport Jacob, le rapport de la Haute autorité de santé, une étude très intéressante de l’IRDES (l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé), les analyses de la Conférence Nationale du Handicap… L’ensemble de ces études ont convergé vers des attentes spécifiques en matière de santé de la part des personnes vivant avec un handicap. Il faut le dire, l’enquête « Handifaction », dans le prolongement de la charte Romain Jacob (signée par toutes les ARS) est un élément majeur qui révèle désormais de manière régulière la situation du ressenti des personnes vivant avec un handicap ou de leurs aidants. Il y a un chiffre à retenir même s’il n’est pas exhaustif de toutes les personnes vivant avec un handicap mais qui est révélateur : il y a presque une personne en situation de handicap sur cinq qui dénonce avoir subi un refus de soins. Cela doit tous nous mobiliser pour continuer à agir de façon déterminée car ce n’est pas tolérable dans un pays moderne comme la France. Il ne faut cependant pas juger ou condamner à la hâte car les facteurs de refus de soins sont multiples. Parfois pour des problèmes d’accessibilité, parfois pour des problèmes de temps, de formation ou de sensibilisation, mais aussi d’équipements ou de connaissances. Il ne faut pas jeter la pierre aux professionnels de santé car la plupart font le maximum.
Dans les Pays de la Loire nous sommes dans cette dynamique du droit commun d’abord, mais aussi dans l’optique d’avoir des réponses adaptées aux personnes qui en ont besoin.
Les personnes avec un handicap ont deux niveaux de prise en charge des soins. Le handicap est-il toujours pris en compte dans les demandes de soins ?
Il faut avoir en tête que selon le cas de figure, la prise en charge n’est pas la même selon que l’on est en ALD (Affection Longue Durée) qui permet de bénéficier de remboursements plus favorables dans le cadre du panier de soin, en lien avec l’AAH ou avec d’autres mesures de compensation. Il faut donc jouer sur les deux tableaux, c’est-à-dire avoir à la fois accès au droit amélioré et au droit commun. Et de fait on voit bien avec les résultats d’Handifaction qu’un nombre important de personnes en situation de handicap se sont retrouvées aux urgences faute d’avoir trouvé un professionnel de santé qui soit attentif à leurs besoins. Mais cela peut aussi venir des problèmes de démographie médicale. Dans certaines zones il est très difficile de trouver un médecin. Je constate pourtant encore trop souvent que le handicap semble effacer les besoins somatiques de la personne. Parfois, dans les établissements, la prise en charge de la douleur, le dépistage du cancer du sein, la problématique des maux de tête ou des maux de ventre, s’effacent au profit d’un handicap qui semble dominer la personne concernée. La prise en charge du handicap est essentielle mais ne doit pas faire oublier la prévention et la prise en charge des troubles somatiques comme aussi des problèmes psychologiques, de dépendance ou de troubles de santé mentale en général.
Il y a donc un véritable enjeu et il est bien repéré car c’est l’un des axes prioritaires annoncés par le CNH (Conseil National Handicap) et repris par la ministre de la santé, Agnès Buzyn et la secrétaire d’Etat, Sophie Cluzel. J’ai des statistiques de 2016 élaborées par la CNAM qui montrent que sur tous les soins et particulièrement les soins de spécialistes, les soins dentaires, gynéco…. quand on compare les chiffres, population générale et population en AAH ou en invalidité, à chaque fois la consommation de soins est inférieure à la population générale. Tout converge vers un devoir absolu d’agir dans ce domaine.
Quels sont vos axes prioritaires d’amélioration ?
Dans notre ARS des Pays de la Loire, comme dans beaucoup d’autres ARS, nous avons retenus 5 axes prioritaires : le premier c’est de sensibiliser, informer et former les professionnels de santé à l’accueil et à l’accompagnement, et je parle aussi des professionnels sociaux et médico-sociaux (IME, EHPAD, centre d’urgences sociales…). Le deuxième axe vise à mobiliser les acteurs de santé sur la coordination des outils. Le troisième axe consiste à réadapter les établissements de santé. Le quatrième axe, à déployer les consultations dédiées, et le cinquième axe concerne l’accès à la prévention et l’éducation à la santé.
Aviez-vous, vous aussi au niveau de votre ARS, fait des constats de dysfonctionnement de soins concernant des personnes en situation de handicap ?
Oui, bien sûr. Depuis que je suis dans les ARS, nous avons des plaintes de personnes, mais c’est vraiment la dynamique de Pascal Jacob qui a été un précieux révélateur. Nous avons, grâce à « Handifaction », un outil d’expression directe. Comme le dit le slogan « faites entendre votre voix » et de fait de plus en plus de personnes ont « Handifaction » sur leur Smartphone pour s’exprimer, et cela nous permet d’agir avec l’ensemble des collectivités. Sans « Handifaction », on ne mesurait pas à quel niveau étaient les besoins et la situation des personnes vivant avec un handicap. C’est vraiment un révélateur majeur. Les besoins sont très importants et nous ne sommes pas toujours à la hauteur, mais il y a aujourd’hui une vraie dynamique.
Il y a donc les moyens et une réelle volonté de faire bouger les choses ?
Absolument et au plus haut niveau car je sais que la ministre de la santé et madame Cluzel en ont fait leur priorité. L’accès aux soins est un besoin primaire et essentiel, pas d’autonomie sans santé ! Pour donner quelques exemples sur ce que nos faisons en Pays de la Loire, dans le premier axe, nous avons mené trois actions qui marchent plutôt bien : l’une d’elle par exemple, que l’on appelle Acsodent, concerne les premiers dépistages des problèmes dentaires.
Nous avons signé une convention avec 43 associations représentant 180 établissements des Pays de la Loire, pour lesquels sont formés des correspondants en santé orale qui permettent de faire un pré-dépistage. En 2018, environ 1500 personnes en ont bénéficié, ce qui est à la fois beaucoup et modeste mais c’est un début. Nous avons aussi passé un contrat d’objectifs et de moyens avec l’URPS (Union Régionale des Professionnels de Santé) pour financer et organiser des formations pour les chirurgiens-dentistes, et depuis le début ce sont plus d’une centaine de dentistes et 18 assistantes dentaires qui ont suivi ces formations à la prise en charge des personnes vivant avec un handicap.
Nous aussi amorcé un travail avec les écoles d’infirmières de la Région qui octroient une unité de 50 heures sur le handicap à chaque étudiante infirmière. Il y a un mois, j’ai réuni les doyens des facultés de médecine de Nantes et Angers, les directeurs de CHU ainsi que tous les acteurs et professionnels de santé, et nous nous sommes donné pour ambition qu’à l’échéance fin 2022, tous les étudiants en santé quelle que soit leur filière (2700 dans la Région) aient bénéficié d’un stage d’au moins une semaine dans un établissement et/ou une structure médico-sociale.
Il est nécessaire qu’ils soient confrontés à la réalité du handicap avant de commencer à pratiquer leur métier. Nous nous sommes beaucoup inspirés de la région Grand-Est qui a précédemment mis cette politique en œuvre. Ensuite nous allons développer les consultations dédiées pour bénéficier d’une réponse adaptée dans le cadre de l’universalisme proportionné. Aujourd’hui, elles sont mises en place dans trois départements et seront déployées sur les deux autres d’ici fin 2021. Nous avons de résultats très prometteurs.
À Saint Nazaire, l’une de ces structures, baptisée Handi-soins, accueille principalement des personnes avec un handicap mental ou polyhandicapées. Ce modèle de consultation est amené à largement se développer au niveau national. Plus onéreuses, ces consultations sont aussi mieux remboursées sous la forme d’un montant forfaitaire. Nous restons cependant modestes car le dispositif est encore loin de couvrir tout le territoire.
J’ajoute que depuis 2018, tous les CPOM (contrat annuel d’objectifs et de moyens) que nous signons avec les hôpitaux et les cliniques doivent comporter des actions pour favoriser l’accès aux soins des personnes en situation de handicap. Pour nous assurer que cela marche, nous nous appuyons sur la structure d’appui QualiREL Santé (Qualité-Risques-Evaluation – établissements Ligériens) et une Structure Régionale d’Appui (SRA) à la qualité et la sécurité des soins. Elle a pour vocation de contribuer à l’amélioration de la qualité, l’évaluation et la gestion des risques, dans les établissements sanitaires et médico-sociaux de la région. Elle va mettre en activité des « patients traceurs » : des patients témoins qui vont noter toute la démarche de soins dont ils ont ou non bénéficié. Ensuite QualiREL analysera ces données qui participeront à la certification ou non des établissements.
Grâce à Handifaction, plus personne ne peut ignorer ces situations et chaque directeur général d’ARS, en lien avec leurs partenaires en porte la responsabilité, conformément aux priorités et à l’engagement du ministère de la santé.
Plus d’infos sur : https://www.pays-de-la-loire.ars.sante.fr/
En photo : Jean-Jacques Coiplet, directeur général de l’ARS (Agence Régionale de Santé) des Pays de la Loire témoigne sur la question de l’accès aux soins des personnes en situation de handicap © Tangi Le Bigot