« Prenons le handicap à bras le corps ! » : Témoignage et réflexion sur la perception du handicap
Témoignage adressé à Handirect par Nicolas Guillemot. Un printemps morose vient de s’achever. Nos esprits ont tous rêvé d’un autre monde. Le temps accordé à la réflexion ne peut pas faire de mal, c’est une certitude. La renaissance est encore fragile mais on veut déjà tous participer à la construction du monde de demain, essayons ! C’est peut-être motivé par cet élan que j’ai voulu partager les quelques lignes qui suivent, sur la thématique du handicap.
Avant de poursuivre vous devez savoir certaines choses, car ma situation influence forcément mon opinion : j’ai 34 ans, je suis atteint d’un handicap que je pense bien accepter, je suis fier de vivre dans un pays qui me permet d’être autonome, accompagné par des auxiliaires de vie 24h/24h. Tout n’est pas simple mais je fais partie des optimistes : améliorons les choses tout en savourant la chance qu’on a d’habiter en France.
Mon discours repose sur une idée assez simple : faire évoluer le handicap c’est avant tout le désacraliser. Aujourd’hui c’est très perceptible, les gens ont peur du handicap car ils ne savent pas comment réagir. Je les comprends, moi-même j’ai peur de mal faire quand je croise un « congénère » ! Je pense vraiment qu’il faut plus de légèreté autour du sujet.
Prenons l’exemple d’une expression qui symbolise à elle seule cette lourdeur du handicap : « personne en situation de handicap ». On ne dit plus « personne handicapée », c’est apparemment trop réducteur. Pourtant on ne dit pas d’une personne obèse « personne en situation de surcharge pondérale ». Arrêtons un peu cette hypocrisie. Je travaille moi-même dans une entreprise spécialisée dans le handicap, vous n’imaginez pas le temps perdu à dire ou écrire « personne en situation de handicap ». On en arrive à des acronymes : PSH / PMR. Là, les mêmes personnes qui se battaient pour dire « personne en situation de handicap » sont scandalisées d’être réduits à des « PSH », mais franchement ce n’est pas grave. Laissons les gens nous nommer comme ils peuvent, l’essentiel n’est pas là !
Le problème réside à mon avis à la place trop grande accordée aux personnes qui n’acceptent pas leur handicap. Je ne pense pas qu’on accorde autant d’empathie à un alcoolique qui n’accepte pas sa situation (vous avez vu, on ne dit pas « personne en situation de dépendance liée à l’alcool »). Pourtant il s’agit aussi d’une maladie. Certes les causes sont différentes, mais le handicap mérite aussi d’être pris à bras le corps.
Prendre le handicap à bras le corps, qu’est-ce que ça veut dire ? Peut-être arrêter de fantasmer sur l’idée qu’une personne handicapée est une personne normale : une personne normale ça n’existe pas. Je préférerais qu’on prenne en compte ma spécificité plutôt que de la fuir. Dès le plus jeune âge on apprend aux enfants à ne pas regarder les personnes handicapées. Moi je dis le contraire : regardez-nous, apprenez la différence. Le regard c’est le premier lien vers l’autre, et face à une personne en situation de handicap on baisse le regard. C’est une fuite ! Il y a quelques jours, lors d’une balade, un enfant d’environ 3-4 ans a échappé à la vigilance de ses parents et a fait la course avec moi à côté du fauteuil ! C’est formidable, ce petit a pris le handicap à bras le corps sans se poser de questions, vive la jeunesse ! Laissons nos gamins s’intéresser au handicap, et si par malheur on tombe sur une personne aigrie qui n’accepte pas sa situation ce n’est pas grave, il faut essayer !
Dans le monde de demain j’aimerais être critiqué, parfois malmené. Imaginez-vous que dans tous les stages que j’ai fait pendant mes études je n’ai jamais essuyé une seule critique. C’est vrai j’essaie d’être exemplaire dans mon travail, mais personne n’est parfait. J’ai l’impression que c’est trop difficile de faire une remarque à une personne handicapée. Malheureusement cela ne m’a pas aidé, je me suis toujours dit qu’on me cachait certaines vérités. La critique est pourtant constructive. J’ai beaucoup perdu confiance en moi et je pense que l’hypocrisie professionnelle n’a rien arrangée.
Pourquoi ne pas essayer de désacraliser le handicap ? J’ai été étonné d’entendre le discours de Michaël Jeremiasz le 5 mai dernier dans l’émission de Frédéric Lopez « Comme les autres » (titre que je ne cautionne pas forcément vous l’aurez compris). Michaël Jeremiasz est une personne que j’admire par ailleurs, mais je n’ai pas compris son plus grand souci lié au handicap : il est choqué par les gens qui lui demandent : « Qu’est-ce qui t’est arrivé ? ». J’en conviens la formule est un peu maladroite, mais elle a le mérite d’ouvrir le dialogue. Voilà ce qui fait encore peur aux gens avec le handicap, ils n’osent pas venir nous parler par peur de nous offenser. Moi je veux crier le contraire : n’hésitez pas, posez-moi vos questions, même maladroites.
Je salue l’initiative de Michaël Jeremiasz et Frédéric Lopez dont l’émission avait pour but de faire parler du handicap, mais elle est pour moi une publicité mensongère. Je n’aime pas cette vision un peu trop édulcorée de gens en fauteuil magnifiques, dans le type « gendre idéal », dont on a l’impression que la seule particularité du handicap est d’être assis et pas debout. Croyez-moi le jet ski n’est pas une activité que tout le monde peut faire. Le handicap ça peut être moche, dur, asymétrique. Je sais que le but était avant tout de faire rentrer chez les français le handicap en prime time, et c’est donc déjà une réussite, il faut le signaler.
Vous l’aurez compris, même si je vis bien ma situation, je sais que beaucoup de chemin reste à parcourir. En osant regarder, aider, parler, critiquer une personne handicapée, on franchit déjà un cap. Des réactions négatives ou malaisantes peuvent intervenir, mais ce n’est pas grave, soyez fier de prendre le handicap à bras le corps !
Nicolas Guillemot